Chapitre 32

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Ses doigts forts se relâchèrent sur la main d'Iluth et celle-ci sentit l'arme glisser. Le néant ouvrait la gueule sous leurs pieds, avide, prêt à faire disparaître leur seul espoir.

– Me lâche pas, chiure de putain ! gronda Iluth d'un ton si noir que l'homme plein de ténèbres, au-dessus d'elle, arrêta son geste.

Elle referma son autre main sur celle d'Alban, bloquant toute sa force dans le petit étau de sa paume.

– Tue cette saloperie, ajouta-t-elle d'une voix débordante de rancœur, qui ne lui appartenait plus. Elle te bouffe depuis trop longtemps. Tue cette bête avant qu'elle ne te tue.

Une larme noire, froide et humide, glissa sur son visage. Elle provenait des yeux de l'homme qui la surplombait.

– Je veux la sauver, murmura-t-il dans un spectre de voix. Elle ne mérite pas de mourir. Ils ne méritent pas de mourir.

– Par les cornes d'Asmodée, il est trop tard pour ça ! jeta la démone. Tu n'as pas pu les sauver à l'époque. Ni ton père, ni ta mère, ni même ce chat ! Tu n'as rien pu faire. Rien. Tu crois vraiment en être capable à présent ?

Décidée à vider l'outre de venin qui gonflait dans sa gorge, elle poursuivit d'une voix hideuse :

– Ils étaient condamnés. Leurs âmes sont mortes. Elles sont mortes ! Elles ont été détruites et jamais, jamais tu ne pourras les ramener à toi.

Une autre larme, puis deux, coulèrent sur son visage après avoir glissé sur celui d'Alban. L'esprit occulté par le cauchemar qui déversait sa noirceur en elle, la démone introduisit une main dans le puits sanglant de son torse. Elle la referma sur son cœur visqueux. L'ombre au-dessus d'elle eut un hoquet de douleur. Le visage grimaçant, Iluth commença à serrer le poing. Serrer de toutes ses forces.

– Ecoute-moi bien, murmura-t-elle d'une voix rauque qui avait perdu tout simulacre d'humanité. Ecoute-moi bien, stupide humain. Cette bête souffre le martyre et toi, faible égoïste, tu entretiens sa douleur et la tienne au lieu d'y mettre fin. J'ai chassé tes démons. Je les ai brûlés jusqu'à l'os. Mais ce monstre-là, c'est toi qui vas le tuer et c'est cette épée qui va lui trancher la gorge. Mes efforts ne seront pas vains. Je veux voir ses têtes immondes se décrocher du reste de son corps, je veux le voir crever, répandre des litres de sang, hurler comme un chien battu à mort.

Elle retira sa main d'un coup sec, l'éraflant sur les côtes brisées qui saillaient hors de la carcasse d'Alban. Laissant l'homme exsangue, le corps affaissé de douleur, ses joues floues et ténébreuses couvertes du sillage noir de ses larmes.

– Alors maintenant, tu vas saisir cette épée à deux mains, tu vas marcher vers cette charogne et tu vas l'abattre. Une bonne fois pour toutes.

Sous l'impulsion de sa fureur, son aura éblouissante enfla comme un brasier, les avala tous les deux dans une étreinte de lumière. Elle gagna le cœur d'Alban et Iluth vit sa grande silhouette se redresser. Il se campa sur ses jambes ; elle sentit sa main se raffermir sur la garde de l'épée, et retira la sienne.

Il souleva lentement la lame teintée de son sang, puis fit volte-face et marcha vers le monstre qui, poisseux de douleur dans sa peau mangée par les flammes, semblait l'attendre.

Iluth se brûla la rétine en regardant l'homme s'avancer vers lui à grands pas. Alban leva l'espadon au-dessus de son épaule, projetant des gouttelettes de sang dans l'obscurité ; la licorne le vit fixer la bête, les épaules tendues d'angoisse et de force retenue, les bras prêts à lui trancher les vertèbres.

Les trois visages avaient cessé de s'entre-dévorer. Ils le regardaient fixement, en silence. Toute la peine du monde se lisait dans leurs prunelles déchirées. Glacée d'horreur, Iluth vit Alban faiblir.

C'est à cet instant qu'elle se réveilla.

– Non !

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