Partie 4 — Fin

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Le château s’avéra plus grand que celui de Bartohl et je repassai plusieurs fois aux mêmes endroits pour être certaine de mémoriser le plan correctement. L’agencement du bâtiment était curieux et la décoration des pièces laissait à désirer. Bartohl nous avait habitués à un mobilier moderne dans une infrastructure ancienne. Néanmoins, mon malaise ne prenait pas sa source dans l’incommodité d’un vieux château. À l’image de celui où j’avais grandi, celui-ci semblait osciller entre plusieurs époques.

Je laissai ces réflexions de côté et revins à des problèmes plus importants. Mes pérégrinations, parfois hasardeuses, m’avaient menée dans tous les coins du château et je n’avais pas réussi à mettre la main sur mon frère. Il ne me restait que les quartiers de la princesse à explorer. Sauf qu’ils étaient deux fois mieux surveillés que les autres pièces du château ! J’avais même réussi à m’introduire en douce dans la chambre du prince, mais je ne voyais pas comment je pouvais m’y prendre cette fois-ci. Si je ne pouvais pas entrer, il fallait faire sortir Soane. Plus facile à dire qu’à faire…

Un garde me jeta un drôle de regard en passant devant moi. Je lui rendis son amabilité par une grimace puérile et tournai les talons. Ma position repérée, je devais trouver un nouveau plan.

Comme tous les châteaux dignes de ce nom – du moins à ma connaissance – celui-ci possédait plusieurs passages secrets et alcôves offrant un peu d’intimité. Je prévoyais d’entraîner Soane dans l’un d’eux, mais il me fallait d’abord le faire sortir des quartiers de la princesse. Elle s’agrippait à lui et lui ordonnait de rester à ses côtés quoi qu’il advienne. Comment avait-il pu se mettre dans une situation pareille…

Je m’engouffrai dans un nouveau couloir et profitai d’une fenêtre pour observer l’extérieur. Dans la cour, Jordan donnait des ordres et se retournait sans cesse pour regarder autour de lui. Il apostropha un écuyer et lui cria dessus. Le pauvre gamin baissa la tête et s’enfuit vers le château. Était-ce moi qu’ils cherchaient ? Je devais trouver mon frère avant que l’écuyer ne me rejoigne !

En jetant un dernier regard au palefrenier, une idée me vint. Je filai aux quartiers de la princesse à toute vitesse. J’empruntai même un détour pour accentuer ma fatigue et la fausse urgence de la situation. J’arrivai devant les gardes essoufflée et pris quelques secondes pour reprendre mon souffle. Le regard sévère et les doigts serrés sur le pommeau de leur épée, les guerriers se tenaient prêts à me repousser. Je fis mine de vouloir entrer et ils dégainèrent, de quelques centimètres, leurs lames aiguisées.

— Laissez-moi passer ! m’écriai-je assez fort pour être entendue depuis l’autre côté. C’est urgent !

Les gardes ne firent pas le moindre mouvement. Leur discipline dépassait largement ce dont j’étais moi-même capable, mais je ne me laissai pas intimider.

— Je vous dis que c’est important ! Le palefrenier a bien insisté, il veut voir la princesse sans attendre !

Il y eut des bruits de pas précipités, puis la porte s’ouvrit brusquement sur Natalie. Elle ne portait plus ses vêtements d’équitation, mais une magnifique robe à corset qui faisait ressortir sa poitrine. J’eus presque mal pour elle et la difficulté qu’elle devait avoir à respirer. Toutefois, si c’était le cas, elle n’en laissa rien paraître et fit un pas vers moi, l’air autoritaire. D’un regard appuyé, elle exigea une explication.

— J-Jordan a… (Je fis une pause volontaire, le regard fuyant.) sollicité votre présence. Il aimerait vous… parler.

— Vraiment ?

Mes mots piquaient son intérêt au vif et je me félicitai du succès de ma combine. La princesse passa un doigt fin sur sa bouche, réfléchit et sourit, dévoilant des canines pointues qui se posèrent sur sa lèvre inférieure. Elle les dissimula vite et, d’un geste de la main, m’ordonna de me pousser. J’obtempérai et m’écartai de quelques pas. Sur le seuil, Soane dardait sur moi un regard plein d’interrogations.

L’un des gardes emboîta le pas au duo tandis que le second restait près de la porte. Ils débordaient de confiance en eux et imposaient crainte et respect mêlés. Comment faisait Soane pour marcher tranquillement devant l’un d’eux ? Je m’inspirai de son calme pour suivre le redoutable guerrier. Mon frère se retourna, s’arrêta et attendit que je sois à sa hauteur pour reprendre le pas. Natalie et le garde ne firent pas attention à nous.

— A quoi tu joues ? chuchota Soane.

Comme d’habitude, il m’avait démasquée. Je ne pouvais guère mentir sans qu’il ne le remarque. Néanmoins, ce n’était pas un problème. Il n’était pas la cible de mes mensonges.

— Suis-moi, soufflai-je en lui agrippant le bras.

Je profitai d’une porte ouverte sur la gauche pour quitter le cortège et y entraîner mon frère. D’un pas rapide, je le guidai tout au fond, m’engouffrai dans un autre couloir et traversai une nouvelle pièce. Enfin, j’activai un passage secret.

Le mur se referma derrière nous. Nous pouvions maintenant discuter en toute sécurité. Seul inconvénient : il n’y avait pas la moindre lumière.

— T’as pas perdu de temps, se moqua Soane en se tournant plusieurs fois.

Comme je ne répondais pas à la remarque, il tendit la main et tâtonna dans le noir. Ses doigts percutèrent ma joue et je le repoussai. Amusé, il recommença en ricanant. Je reculai de plusieurs pas et il battit l’air précipitamment, paniqué par mon absence.

— Eve ? appela-t-il, la voix tremblante.

— Arrête tes conneries, on n’a pas que ça à faire.

Comme il ne se calmait pas, je tendis la main et attrapai la sienne. Soane comprenait les actes, beaucoup moins les mots. Il se détendit instantanément.

Maintenant que mes yeux s’étaient habitués à l’obscurité, j’apercevais vaguement sa silhouette dans le noir. Sa présence me rassura et retira un poids considérable de mes épaules. Je n’étais pas seule dans cette épreuve, mon frère était là pour m’aider.

— Tu as un plan ?

— Je comptais plutôt sur toi pour ça, répondit Soane tout naturellement.

Je m’en doutais un peu… Il était du genre à foncer dans le tas et réfléchir ensuite. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Mes propres mots dépassaient souvent mes pensées.

— J’ai exploré tout le château et toi, t’es même pas capable de trouver un moyen de mettre ton idée à exécution. Mais qu’est-ce que t’as foutu tout ce temps ?

— Je… euh…

Son hésitation me pinça le cœur. La jalousie revenait au galop. Elle remonta ma gorge et irradia mon cerveau. Tout ce temps, il l’avait passé avec la princesse. Alors que je cherchais désespérément un moyen de nous réunir, lui, que faisait-il ? Je n’étais plus sûre de vouloir le savoir…

— C’est compliqué.

— Mais tu vas t’expliquer, exigeai-je, autoritaire.

— Toi d’abord.

— Non, Soane, ça ne marche pas comme ça.

— Mais… Bon, d’accord.

J’étais têtue et mon frère s’avouait vaincu facilement. Cela avait toujours été ainsi. En plus, je n’avais rien à lui expliquer. Ce que je faisais de mon temps était assez clair pour qu’il n’ait pas besoin de le demander. Il ne s’agissait que d’une vulgaire distraction qui ne fonctionnait pas sur moi. Peu importait ce qu’il voulait cacher, je saurai découvrir la vérité.

— Quand on est passés dans le bouquin, j’ai atterris dans la chambre de la princesse Natalie. Je pensais être envoyé en prison ou tué sur-le-champ ! Un homme dans la chambre de la princesse ! Mais non. Ça l’a amusée et elle m’a demandé… Je sais pas trop comment on en est arrivés là…

— Ne tourne pas autour du pot, Soane, le mis-je en garde.

— Je… je lui raconte des histoires, avoua-t-il en baissant la tête, honteux.

Je ne sus pas quoi répondre. Je devrais dire : « Quoi ? Ce n’est que ça ? », mais les mots étaient bloqués au fond de ma gorge. Une nouvelle douleur me déchira la poitrine. C’était notre secret à nous. Bartohl nous avait demandé de ne pas perdre notre temps de la sorte, mais je ne pouvais m’en empêcher. J’avais toujours préféré écouter les histoires plutôt que les lire. Cela me rappelait maman… Nous avions pris l’habitude, Soane et moi, de nous retrouver en cachette. Je m’asseyais devant lui et je l’écoutais conter. Même à vingt-six ans, il m’arrivait de lui réclamer une histoire.

C’était cela qu’il faisait avec la princesse. C’était pour cette raison qu’elle le sollicitait sans cesse. Étonnement, j’aurais presque préféré entendre qu’il était son amant…

— Pourquoi tu en fais tout une histoire ? J’ai cru qu’elle te demandait des trucs bizarres. Tu m’as fait peur !

Je profitai de l’obscurité du passage secret pour lui mentir. Il valait mieux dédramatiser la situation. Je ne fus pas sûre que la supercherie fonctionna, mais Soane ne fit aucune remarque. À la place, il resserra sa prise sur mes doigts et enchaîna :

— Donc, nous n’avons pas de plan.

— Non, répondis-je, en me retenant de lui faire la remarque qu’il s’agissait de son idée.

Aussi étonnant que cela me parut, mon frère se mit à réfléchir. Porté par ses pensées, il tapotait le dos de ma main avec le bout de ses doigts. Je décidai de ne pas le déranger et tendis l’oreille aux bruits du château. Quelqu’un passa devant le passage secret. Je retins ma respiration, mais il s’éloigna. Si l’on nous trouvait ici…

Soudain, Soane lâcha ma main et tapa dans mon dos. Son enthousiasme ne me disait rien qui vaille.

— Le problème, c’est qu’on n’a plus de temps, avoua-t-il.

— De quoi ?

— Eh bien… Ils ont mis en place le bûcher. La sorcière sera brûlée aujourd’hui.

La nouvelle me pétrifia. Je pensais avoir plus de temps pour préparer le sauvetage de la sorcière, mais ils avaient sûrement peur qu’elle ne s’échappe à nouveau et l’exécuteraient sans attendre.

Qu’allions-nous faire ?

— On n’a pas le choix, continua Soane. On va faire les choses à ma façon !

Je voulus protester, mais il s’enfuit aussitôt ! Je clignai plusieurs fois des yeux pour m’habituer à la lumière qui pénétra le passage quand il ouvrit la porte.

Il est complètement fou !

Je fulminais de rage, mais ne pouvais plus rien faire pour l’arrêter. Soane allait foncer tête baissée et c’était à moi de réfléchir aux conséquences de ses actes. S’il échouait ? S’il mourait ? S’il se faisait capturer ? Même s’il sauvait la sorcière, qu’adviendrait-il ensuite ? Il ne suffira pas de s’expliquer gentiment. Ils devront fuir et seront poursuivis comme des fugitifs !

Que devions-nous faire ? Bartohl nous avait jetés dans cette situation sans rien expliquer. Avait-il trop confiance en nous ou était-ce de l’inconscience ? Quoi qu’il en était, je jurai de lui faire regretter ceci.

Néanmoins, la vengeance attendrait. Pour le moment, il me fallait surveiller Soane et assurer ses arrières.

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