Partie 1

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Il y a bien longtemps, dans un univers lointain…

C’est à peu près de cette façon que commencent toutes les histoires. Elles enchaînent ces quelques mots et s’écrivent jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à lire et que vienne la fin. C’est ainsi que sont les choses et qu’elles seront à jamais. Personne ne le critique, moi-même je n’oserais pas. Ce n’est pas le but de cette histoire, mais celle-ci… peut-elle commencer ainsi ? Ce n’est ni vieux, ni lointain. Commençons autrement.

Je m’appelle Eve-Lyne et ceci n’est pas mon histoire.

Tout a commencé un jour ordinaire, à l’école primaire. J’avais six ans et nous apprenions tout juste à lire. La maîtresse posait ses grands doigts fins sur le livre de conte, caressait les feuilles avec tendresse et tapotait les pages de ses ongles longs. Elle pinçait parfois les lèvres, fronçait les sourcils devant les mots. L’histoire la happait, la laissait sans souffle à la fin d’un chapitre. Elle relevait alors ses petits yeux par-dessus ses lunettes rouges, nous regardait tour à tour et souriait gentiment. Plus que l’histoire, j’étais captivée par ses réactions, ses intonations, par la façon qu’elle avait de raconter ce qu’elle lisait. Il n’y avait aucun suspense, aucun doute ; à la fin, le prince épousait la princesse, la sorcière était vaincue et fuyait. Pourtant, je tressautais par moment, accrochée à ses mots, je transpirais à chaque pause qu’elle faisait, retenais ma respiration quand elle reprenait la sienne. Je ne pouvais m’empêcher, chaque jour, de continuer à y penser : et si l’histoire ne s’arrêtait jamais ?

— Et ils vécurent heureux pour toujours, chuchota-t-elle avec un sourire complice.

— C’est déjà fini ? demanda la petite blonde du premier rang.

— Toutes les bonnes histoires ont une fin, Marie.

— Et les mauvaises, alors ? tentai-je plus fort que je ne l’aurais voulu.

La maîtresse se redressa sur son siège pour chercher des yeux où j’étais assise. Recroquevillée derrière trois garçons, je baissai la tête, comme si cela suffisait à me cacher, mais elle finissait toujours par me trouver. Je sentais son regard posé sur moi et je n’arrivais pas à savoir si j’avais dit une bêtise ou non. Cependant, vrillant mes entrailles, je sentais au fond de moi ce pressentiment qui murmurait à mes oreilles que, dorénavant, rien ne serait jamais plus pareil.

— Très bien, les enfants. C’est l’heure de la récré. Eve-Lyne, viens me voir, s’il te plaît.

Comme un chêne en pleine tempête, je restai debout à attendre que les autres me contournent et s’échappent de la classe en sautillant, heureux de quitter une atmosphère studieuse pour quelque chose de plus distrayant. Je fixai la maîtresse qui, en retour, me fixait également, retirant ses lunettes pour les laisser pendre à son cou. Ce ne fut que lorsque Marie, dernière comme à son habitude, sortit de la salle, que nous bougeâmes enfin. La maîtresse referma le livre qu’elle tenait entre ses mains, caressant la couverture du bout des doigts et moi, captivée par son amour des histoires, j’approchai à petits pas, espérant qu’elle réponde enfin à ma question.

— Quelle différence crois-tu qu’il y ait entre une mauvaise et une bonne histoire, Eve-Lyne ?

Si sa question paraissait anodine, déjà à six ans j’avais compris qu’il n’en était rien. Faire sortir tout le monde, ne pas me répondre, tout ceci cachait quelque chose qui ne me plaisait pas. Les bras croisés sur le ventre pour me protéger, en vain, de ce qu’il adviendrait ensuite, je fis la moue. Je n’avais pas envie de dire les mots qui me brûlaient les lèvres. Effrayée, je restai muette, mais elle m’invita à me détendre d’un sourire chaleureux. Je le voyais dans ses yeux : la même boule au ventre que la mienne lui serrait la gorge. Pourtant, ce n’était pas de la peur, c’était de l’espoir. Elle ne voulait pas que je réponde, elle voulait que je réponde bien.

— Si les bonnes histoires ont une fin, alors les mauvaises continuent pour toujours…

Les larmes lui vinrent immédiatement et, sans plus faire attention à son livre, elle m’assit sur ses genoux et m’enlaça comme elle le faisait si rarement, et jamais quand nous étions à l’école. Je ne savais plus que faire, ne comprenant pas ce qu’il se passait. Perplexe, je lui rendis son câlin et pleurai également.

— Eve-Lyne, ma chérie. Maman est si fière de toi.

Ses mots avaient un arrière-goût d’adieu qui m’est resté à jamais coincé en travers de la gorge. Notre bonne histoire venait de prendre fin et ma mauvaise de commencer pour ne plus s’arrêter…

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