Chapitre 15

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Lorsqu’il comprit que son interlocuteur à l’autre bout du fil n’était autre que Vittorio, Xavier Dennoyer reposa son verre lentement, comme s’il avait peur de réveiller quelqu’un. Il se demanda un instant si son bourbon ne l’avait pas transporté dans un espace où rêve et réalité se mélangeaient. L’improbable était en train de se produire. Essayant de récupérer au mieux ses esprits, Dennoyer écoutait Vittorio.

Briefé par l’inspecteur Gautier, le jeune dessinateur déroulait son histoire : Il s’en voulait d’être parti de la sorte jetant aux ordures son hospitalité, qu’il vivait mal son incorrection et qu’après tout, il n’était pas interdit de copier une œuvre, fut-elle réalisée par l’un des plus éminent artiste de sa période, tant qu’il n’en reproduisait pas la signature. Nombreux sont ceux qui, n’ayant pas atteints les hautes sphères, en faisaient leur métier et en vivaient confortablement, en toute légalité. Dennoyer accepta ce détail sans mot dire, pensant qu’il n’aurait pas de difficulté à la faire ajouter par quelqu’un d’autre, pour peu que quelques billets tombent sur la table.

Le jeune dessinateur fut surpris que Xavier Dennoyer gobe son histoire sans réagir, tant les raisons qu’il avait évoquées lui parurent cousues de fil blanc. Mais le fait est que le critique d’Art fut si soulagé par cette nouvelle qu’il aurait même pu lui faire prendre des vessies pour des lanternes. Et puis, le pourquoi du comment, ça, il s’en fichait. Ce coup de fil venait de sauver Marion et c’était bien tout ce qui comptait.

Un peu abasourdi, Dennoyer posa le téléphone sur son bureau et s’enfonça dans son fauteuil, rejetant la tête en arrière, fixant un moment le plafond le temps d’assimiler la nouvelle, laissant la pression retomber qui se muait en une fatigue lourde après la montée d’adrénaline qu’il avait subit.


***


- Alors dit moi ma chérie, comment ça va ton boulot ? demanda Adèle, un mug de thé à la main, rejoignant Marion et Sylviane qui s’étaient installées à la table sur la terrasse.

- Maman ! Tu sais bien que je ne parle jamais de ça ici fit Marion surprise, suivant des yeux sa mère qui prenait place à son côté.

- Oh tu sais, ton père fait le bourru mais il s’inquiète surtout pour toi ma puce. Tu as les yeux tout rouge… ça ne va pas ? s’inquît-elle, tout à coup inquiète.

- Ca va ! Ne t’inquiète pas, retourna la jeune femme avec un sourire qui invitait au changement de conversation.

Attentive à leur bien-être, Adèle respectait néanmoins toujours les choix et l’intimité de ses enfants, préférant les laisser maîtres de leur vie. Elle savait attendre en souffrance silencieuse, gardienne des chemins secrets qu’ils empruntaient lorsque le besoin de se confier se faisait sentir. Mais là, son cœur de mère chavira à la vue du visage de Marion à la fois meurtri et angélique, les yeux irrités par les larmes, hagards.

Thé en mains, coudes sur la table, Adèle renvoya un sourire protecteur à sa fille, avant de porter ses lèvres sur le bord de la porcelaine, soufflant sur la boisson chaude et fumante avant d’en prendre une petite gorgée.

- Je vois bien que ça ne va pas ma puce, se risqua-t-elle, jetant un regard à Sylviane qui haussa les épaules en signe d’impuissance.

- C’est papa… je me suis prise la tête avec papa, répondit-elle avec une pointe d’agacement.

Adèle posa son mug sur la table, décontenancée par la réponse de Marion. Certes, elle avait l’habitude que son mari et elle se chamaillent – ils étaient de toutes façons d’accord sur rien – mais jamais elle n’avait vu sa fille dans cet état après une discussion mouvementée avec son père.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? revînt-elle à la charge, le regard trahissant sa surprise.

Marion soutint un instant le regard de sa mère avant que ses pensées ne l’emmènent ailleurs. Son regard tomba sur ses mains, inexpressifs. Sentant que la dose devenait trop lourde, Sylviane posa une main amicale sur le bras de Marion. Un geste qui voulait dire : Shuuut, tite sœur, je prends le relais.

- Vittorio est parti précipitamment après son entrevue avec votre mari, Madame Dennoyer, intervint Sylviane. Comme ça. Sans un mot d’explication, ajouta-t-elle, ouvrant les mains en signe de résignation.

- Et tu sais ce qu’il s’est passé, s’enquît à nouveau Adèle, revenant sur Marion.

- Papa n’a pas voulu m’expliquer… Je n’sais pas ! Il était énervé et n’a rien voulu me dire, s’aggaça-t-elle.

- Je vais allez lui parler ma puce.

- Non… non, maman. Laisse, c’est pas grave. C’est rien… je vais reprendre mes esprits dans un moment, assura-t-elle, soulignant sa réponse d’un sourire peu convainquant.

- Ma chérie, je ne t’ai jamais vu dans un état pareil. Je veux savoir ce qu’il s’est passé, insista Adèle.

- Je t’en prie, maman… je n’ai plus quinze ans ! Je… Je n’ai pas besoin que tu m’aides, renvoya Marion sur un ton qu’elle aurait souhaité moins dur, regrettant déjà ses mots.

Un silence qui sembla durer une éternité s’installa entre les deux femmes, le regard de l’une, suppliant, celui de l’autre, cherchant des réponses.

- C’était une belle soirée, Madame Dennoyer, lança Sylviane, espérant dévier la conversation,

- Je te remercie, Sylviane, retourna la maîtresse de maison après quelques secondes de latence. Tu t’es bien amusée ? s’enquît-elle encore un large sourire aux lèvres.

- C’était divin ! Je dois dire que le clou de la soirée fut sans doute le moment où Christophe a fini dans la piscine, plaisanta le jeune femme.

- Il n’a eut que ce qu’il méritait celui-là ! affirma Adèle non sans avouer son plaisir au goût de revanche, tant elle avait espéré qu’il s’éloignât de Marion. Il me semble que ce Vittorio soit toujours là pour te sauver, ma chérie, renchérit-elle d’une voix taquine.

- Il est parti, maman.

Ces mots tombèrent comme un couperet de guillotine qui emportât, en son temps, la tête de Louis XIV. Adèle se figea un instant, comprenant que le vrai problème n’était pas la dispute avec son père, mais le départ précipité de Vittorio.

- Oh ! Vittorio est déjà reparti ?

- Tu sais ma chérie, reprit Adèle d’une voix douce et apaisante, posant tendrement sa main sur le bras de Marion, je suis persuader qu’il va te rappeler. Je vous ai vu hier soir tous les deux… un peu avant le passage de la piscine, remarqua-t-elle ironiquement, et j’ai vu comment il te regardait.

- Ah ! Et comment ? objecta Marion que l’amertume plongeait dans la tristesse d’un souvenir heureux mais déjà loin.

- J’ai vu quelque chose de particulier dans son regard ma puce, rétorqua Adèle, reprenant son mug à la main. Quelque chose qui ne peut pas tromper l’œil d’une femme, ma chérie, ponctuant sa phrase d’un clin d’œil, portant la tasse encore chaude à ses lèvres.

- Je n’veux plus penser à tout ça pour le moment… J’me sens vidée ! avoua Marion dans une inspiration profonde comme pour reprendre de la vitalité.

- Sois patiente ma puce… Je pense que tu peux faire confiance en ce que Vittorio ressent pour toi.

Une porte fenêtre s’ouvrit brusquement sur l’aile droite de la maison, une fraction de secondes avant de Xavier Dennoyer ne surgisse, un autre verre de bourbon à la main.

- Il revient ! explosa-t-il, les bras levés en croix, regard tourné vers le ciel comme s’il louait le ciel de lui avoir apporté la solution par son action divine.

- Qui revient, chéri ? s’entend-il dire d’une voix lointaine sur son côté gauche.

- Hein ? ! bafouilla Dennoyer décontenancé par la surprise de ne pas être seul, découvrant alors les trois femmes assises sur la terrasse, ses bras reprenant lentement leur place le long du corps.

- Qui revient ? répéta Adèle.

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