Chapitre 14

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Les yeux rougis et gonflés, Marion s’était assise sur le rebord de la piscine, son pull échancré tiré sur ses jambes recroquevillées contre sa poitrine, les yeux sur l’horizon, absente de toute réalité.

La peine, la colère, l’effondrement soudain de ce qui commençait à ressembler à un rêve, la chute dans un abîme d’incompréhension, sombre, froid, sans fin, avait eu raison de son énergie. Incapable du moindre geste, elle restait là, immobile. Même la nature compatissait à sa détresse profonde, se taisant à son tour, le soleil tentant de la réconforter en caressant sa joue de ses rayons doux et chauds, le vent léger du petit matin se retirant sans bruit, l’eau du bassin qu’il taquinait retrouvant son aspect miroir.

Dans la maison où plus rien ne vivait, Sylviane attendait derrière la baie vitrée du salon, adossée au billard. Elle avait laissé sa sœur de cœur dans sa solitude. Elle savait qu’elle en avait besoin pour se reprendre, évacuer la négativité, renaître. Elle l’observait avec tendresse, une certaine douleur au ventre. Puis, comme une évidence, elle s’approcha lentement et s’assit au côté de son amie, les yeux fixés sur le même point où le ciel et la terre se rejoignent. Elle ne la dérangerait pas. Elle ne lui dirait pas une parole. Elle voulait juste être là si besoin, un bâton d’Abraham à portée de main, à portée de mots.

Une larme trop longtemps contenue dévala la joue de Marion, que Sylviane effaça de son pouce.

- Je ne comprends pas, p’tite sœur, engagea la danseuse d’une voix trop calme, ses yeux débordant de tristesse cherchant des réponses dans ceux de Sylviane.

- Je n’sais pas ma douce, je n’sais pas !

La voix de Sylviane était une étoffe de velours qui enveloppa les épaules de la danseuse, apaisant son corps tremblant, réchauffant son âme. Une bouée à la mer, sécurisante. Un lien essentiel à son retour.

- Écoute ma belle, s’aventura-t-elle, on va bientôt rentrer à Paris. Ça va te faire du bien de te retrouver chez toi. Si tu veux, je resterai quelques jours avec toi. Faudra juste faire le plein de quelques bouteilles de Vodka, taquina gentiment Sylviane.

Le visage de la jeune danseuse s’éclaira d’un sourire chaleureux devant la bienveillance de son amie.


***


Dennoyer tournait comme un lion en cage. Il arpentait son bureau de long en large, réfléchissant, le visage marqué. Le refus de Vittorio l’avait mis dans une situation qu’il n’avait pas prévue. Il pensait le tenir avec cette histoire du passé. Il avait eut tort.

Le courroux qu’il avait ressenti à la fin de son entretien avec le jeune dessinateur se muait peu à peu en peur. La panique s’invita également lorsqu’il prit conscience de ce que le refus de Vittorio impliquait de conséquence : sa fille était en sursit. Un sursit qui prendrait fin dans sept jours.

L’alliance savamment dosée du maïs, de l’orge maltée et du blé, emplissait l’air d’effluves épicés et ronds alors que le liquide ambré se déversait dans un verre en cristal lourd au large fond : un bourbon qu’il faisait venir des Etats-Unis d’Amérique et qu’il gardait précieusement dans son bureau. Il était encore un peu tôt, mais il avait besoin d’un remontant.

La douleur cognant dans ses tempes et le stress l’empêchaient de réfléchir… et il devait trouver une solution ! Lui qui faisait la pluie et le beau temps dans sa profession était démuni. Lui si fort, si sûr de ses décisions, tenant dans sa main puissante la vie d’artistes que son seul avis suffisait à propulser ou à éteindre à jamais. De tout ça, il ne restait qu’un homme perdu, vulnérable.

Verre en main, il se dirigea vers son bureau et s’écroula sur son siège. Faisant tourner le récipient du bout de ses doigts, comme une marionnette, il semblait chercher une quelconque réponse dans la transparence du cristal. Il l’approcha enfin de ses lèvres, avalant d’une traite la moitié de son bourbon. Une grimace s’afficha sur son visage au passage de la boisson dans son gosier puis il ferma les yeux, cherchant l’apaisement de ses pensées. Il n’eut que peu de répit avant que le téléphone ne se manifeste.

- Allô, jeta-t-il d’un ton qui n’inspirait pas la bienvenue à son interlocuteur.


***


Vittorio était pris dans un engrenage sans issue. Il avait beau tourner la situation dans tous les sens, sa carrière était finie… et il y avait Marion !

Marion, qui sans le savoir, avait mis sa vie sur le plateau de la transaction. Il réfléchissait : s’il rentrait chez lui, Dennoyer sabrerait son avenir artistique et Marion pouvait d’ores et déjà prévoir de recevoir l’extrême onction. S’il l’aidait de son propre chef, tournant le dos à Gautier, certes il sauvait Marion mais il s’attirerait les foudres de l’inspecteur. Et à l’entendre, il n’était pas homme à lâcher le morceau. Et que penserait la jeune danseuse d’un homme qui se fourvoie dans une telle entreprise ? Et s’il choisissait de s’associer au flic, Dennoyer risquait de prendre très mal cette trahison et Marion de lui en vouloir à jamais d’avoir tendu un piège à son père. Quoi qu’il fasse, il ne s’en sortirait pas !

Il n’avait pas le choix. Du moins, l’idée de ce que risquait Marion avait tranché sur son propre avenir. Il était prêt à la perdre mais pas de cette façon. La pensée d’une issue funeste lui tira un frisson d’horreur.

- Bien ! entama Vittorio, résigné. C’est quoi la suite ?

- Hum ! J’ai eu le temps de réfléchir à ça depuis que je suis sorti de la piscine, s’amusa le flic, un petit sourire en coin, cherchant le regard de Vittorio qui ne cilla pas. Ne vous en faites pas, je ne suis pas rancunier… d’autant que je jouait un rôle. Mais revenons à nos moutons. J’ai besoin que vous jouiez sur deux tableaux.

- J’apprécie le jeu de mots mais… qu’entendez-vous par là ?

- Je veux que vous reproduisiez cette foutue toile pour Dennoyer. Enfin que vous fassiez semblant. Et j’ai besoin de vous dans un autre rôle un peu plus… délicat !

- Semblant ? Délicat ? rétorqua le jeune homme totalement perdu.

- Minassian ne va pas se contenter de prendre ce que va lui tendre Dennoyer. L’enjeu est trop important pour lui. Il va vouloir faire authentifier son acquisition. Et pour ça, il faut qu’il fasse appel à un expert qu’il pourrait acheter pour l’occasion… Vous !

Le jeune dessinateur aurait pu tomber par terre s’il n’était pas déjà assis.

- Vous plaisantez j’espère ! Je ne suis ni expert, ni suicidaire alors il n’est pas question que je rentre dans votre combine. Vous devez bien avoir quelqu’un dans votre belle grande famille qui fera l’affaire ? s’enquit Vittorio, faisant un geste circulaire du bras comme pour présenter l’endroit.

- Non, Ça, ça ne marche pas. Minassian n’est pas né de la dernière pluie et parano comme il l’est, il connaît très certainement chacun d’entre-nous. Je ne peux pas prendre ce risque. Et puis, vous ne risquez rien puisque c’est l’original qui subira votre « expertise », renchérit l’inspecteur Gautier, agitant ses doigts en signe de guillemets.

Vittorio n’était pas tombé de la dernière averse non plus. Il voyait bien que le fait d’avaliser la toile n’apporterait rien à l’inspecteur.

- Et si vous me disiez tout, inspecteur Gautier, reprit le jeune homme. Ne me dites pas que vous m’envoyez à la rencontre du diable juste pour un amen, continua-t-il s’appuyant des deux mains sur le bureau.

- Non effectivement, Monsieur Scilacci, rétorqua le flic en ouvrant l’épais dossier qu’il avait jeté sur son bureau en début de séance.

L’inspecteur Gautier tourna quelques pages et tendit un document à Vittorio après s’être assuré que ce fut le bon.

- Un plan ? !

- Le plan de la maison de Minassian qu’on a récupéré au cadastre.

- Vous n’avez tout de même pas l’intention de m’envoyer dans la fosse aux lions ! s’étrangla Vittorio.

- Laissez-moi vous expliquer. Minassian, une fois en possession du tableau, ne prendra pas le risque de le sortir de chez lui avant son départ. Il ne peut pas risquer de le perdre une seconde fois. Il voudra forcément que son étude se fasse intra-muros.

- Mais il y a quand même quelque chose que je ne comprends pas, inspecteur. Pourquoi ne pas le coincer quand Dennoyer le lui donnera en mains propres ?

- Pour deux raison : D’abord, l’avocat de Minassian n’aurait aucun mal à démonter les charges, prétextant… qu’on lui a mis dans les mains quelques choses qu’il ne désirait pas. Ou mieux… qu’un ami lui a confié un objet, se gardant bien, pour des raison de discrétion, de demander ce que le colis contient. On irait pas bien loin avec ça. Ensuite, Dennoyer à été contraint de rentrer dans le jeu pour la raison que vous connaissez maintenant. Et je n’oublie pas qu’il m’a ouvert les bras et sa maison. Je ne veux pas qu’il soit impliqué dans cette affaire. Vous voyez, Monsieur Scilacci, je ne suis pas si mauvais que ça, ironisa-t-il.

Le jeune dessinateur se rendit à l’évidence : Il était pris au piège !

- Je veux que vous vous étudiez ce plan afin de connaître où se trouve chaque pièce. Quand Minassian vous invitera, vous n’aurez que peu l’occasion d’être seul et il faut que vous sachiez vous diriger aussi bien que si vous étiez chez vous.

- Me diriger pour quoi faire ? s’inquiéta Vittorio.

- Hum, oui !.. Je sens que vous allez adorer, fit le flic presque pour lui. Lorsque vous serez à l’intérieur il faudra trouver le moyen de poser un petit émetteur dans le bureau de votre hôte, continua-t-il scrutant la réaction de Vittorio.

- Et c’est tout ? retourna le jeune homme faussement blasé.

- Eh bien à vrai dire, non ! Il y aura un dernier petit travail à faire. Je vais vous équiper d’un smartphone un peu particulier. Il faudra vous arranger pour qu’il soit dans un périmètre de trois mètres maximum de celui de Minassian pendant une durée de trois minutes. C’est le temps nécessaire pour cloner son appareil sur le notre une fois l’application démarrée. Une fois tout ça en place, nous aurons tous les moyens de savoir avec qui, où et quand il aura rendez-vous pour sa transaction. Il n’y a que comme ça qu’on pourra le coincer.

L’inspecteur Gautier fouilla de nouveau dans son épais dossier et en retira un autre plus petit qu’il tendit à Vittorio.

- Quoi encore ? s’enquît le jeune homme dont la patience frisait la limite haute.

- Ça, c’est vous ! C’est le personnage que vous aller camper. Je vous invite à vous en imprégner le plus rapidement possible. Vous avez également un glossaire de réponses que vous devrez donner à Minassian pour ne pas avoir l’air d’accepter son offre trop rapidement. Ça éveillerait ses soupçons. Il faut qu’on la joue fine avec lui. En fait, l’homme que vous allez incarner existe réellement. Par chance, il est en périple je n’sais où, en quête de spiritualité… allez savoir ! Bref ! Pour vous la faire court, il est injoignable.

L’inspecteur Christophe Gautier marqua une pause, cherchant quelque chose dans la poche intérieur.

- On a détourné son numéro de téléphone sur ce portable, reprit-il, jetant l’appareil sur le bureau, devant Vittorio.

L’air désabusé, le jeune homme se demandait à quel moment ça s’arrêterait.

- Autre chose peut-être ? soupira-t-il.

- Nous nous sommes arrangés avec la compagnie du téléphone pour que les appels de Minassian ne soient pas masqués de sortes que son nom s’affiche. Vous ne devrez répondre qu’à ses appels. Il devrait prendre contact dans un ou deux jours maximum.

- Mais quelque chose m’intrigue, inspecteur. Comment savez-vous que ce Minassian va m’appeler ? Enfin appeler ce… Jérôme Tavernier ? demanda Vittorio en lisant le pedigree dans le dossier que lui avait tendu le flic.

- N’oubliez pas que vous êtes sensés expertiser un faux. Il fallait donc quelqu’un dont l’argent ferait lever les scrupules. C’est Dennoyer qui lui a indiqué.

Le flic se mit à demi-assis sur son bureau et croisa les bras.

Ne vous inquiétez pas, Monsieur Scilacci, reprit-il encore, nous serons collés à vos basques. Vous ne serez seul qu’en apparence. J’aurai des hommes en permanence autour vous et je vous piloterai si nécessaire pour avancer dans cette aventure. Pour l’heure, et avant que je vous fournisse le micro que vous devrez déposer dans le bureau et l’appareil qui vous servira à cloner le portable de Minassian, il faut que vous rappeliez Dennoyer pour lui dire que vous avez changé d’avis.

Projeté dans un monde totalement inconnu, à mille lieues de sa vie heureuse et passionnante, le jeune dessinateur ne savait trop que penser de l’inspecteur Gautier mais il était sûr d’une chose : il était le maillon qui permettrait à Marion de sauver sa peau. Il n’avait pas le choix. Il devait s’impliquer… pour elle !

Il décocha son portable, composa le numéro de Dennoyer, plantant son regard dans celui du flic alors qu’il attendait que son interlocuteur décroche.

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