Chapitre 12

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Le paysage défilait à travers la vitre arrière du taxi, hypnotisant le regard de Vittorio. Au sortir du bureau de Xavier Dennoyer, il avait récupéré son bagage et son porte-documents avant de partir précipitamment de la maison, furieux. Il n’avait pas revu Marion. Il n’avait revu personne.

Descendant l’allée de gravier qui menait au grand portail de la résidence, il appela un taxi depuis son portable, qui arriva moins de vingt minutes plus tard.

- Quelle adresse, Monsieur ?

- A la gare TVG, s’il vous plaît.

La voiture s’éloignait, soulevant dans son sillage, un nuage de poussière sur le chemin qui menait à la route, et autant de questions dans la tête de Vittorio.


***


Marion avait surgi dans le bureau de son père, en larmes, les joues rougies par la peine et la colère. Malgré ses nombreuses tentatives, il n’avait pas lâché un mot, répétant pour seule réponse que cela ne la regardait pas.

Fulminante, elle décida d’aller dans la chambre qu’occupait Vittorio quelques minutes plus tôt. Elle se jeta sur le lit et s’enroula autour du drap comme pour étreindre son amant, sa tête posé sur son oreiller pour respirer son parfum naturel. Elle espérait le ressentir encore et atténuer cette douleur qui martelait en elle. Fermer les yeux et imaginer les mains du jeune dessinateur sur ses cuisses qu’elle faisait glisser en caresse sur le drap enserré. Elle s’endormit bientôt, bercée par des sanglots incontrôlables et sporadiques.


***


- Quelque chose ne va pas, Monsieur ? s’aventura le chauffeur du taxi, épiant Vittorio dans le rétroviseur.

- Disons qu’il y a certaines journée qu’on préférerait écourter, répondit le jeune homme dans un soupir.

- Ma femme me dit toujours que quand ça ne va pas, il faut en parler… ça libère.

- Je vous remercie, ajouta Vittorio avec un sourire. Ça va aller.

Le chauffeur qui avait compris qu’il ne s’épancherait pas et lui renvoya à son tour un sourire par le biais du rétroviseur qui servait de contact visuel entre les deux hommes.

Le taxi avalait le long ruban d’asphalte gris de l’autoroute qui se déroulait à perte de vue. Gris, semblait être la couleur prédominante de cette journée pourtant ensoleillée et chaude. Vittorio aurait voulu débrancher, appuyer sur le bouton « off » mais sa discussion avec Xavier Dennoyer tournait dans sa tête, inlassablement, se heurtant aux images de Marion qu’il avait laissée dans le couloir, désarçonnée par son mutisme. Il l’avait plantée sur le marbre froid sans lui donner d’explication, sans un mot pour ainsi dire… A part qu’il était désolé. Cette scène qu’il se remémorait lui comprimait le cœur – il aurait voulu crier, hurler pour expier sa souffrance et celle qu’il avait engendrée.

Vittorio tenait son portable à la main, caressant nerveusement l’écran noir du pouce, les yeux dans le vide. Il crevait d’envie de lui envoyer un message… mais pour dire quoi ? Quel message serait à même de faire pardonner son comportement inqualifiable ? Et que pourrait-il lui dire maintenant ? Comment pouvait-il envisager un quelconque avenir avec Marion après ce qui venait de se passer avec son père ? Leur relation était devenue impossible. Il enrageait. Il en voulait d’autant plus à Dennoyer qu’il l’éloignait de celle dont il se découvrait des sentiments forts jamais ressentis auparavant.

La voiture lancée à vive allure berçait le jeune dessinateur quand son téléphone prit vit. Il décrocha sans même regarder l’écran.

- Allô ! envoya-t-il d’une voix qui en aurait fait reculer plus d’un.

- Monsieur Scilacci, je suis l’inspecteur Gautier du service de la répression des fraudes du commissariat central de Bordeaux. Je crois que nous devons nous voir de toute urgence.

- Excusez-moi, Monsieur… inspecteur. Mais comment ?… je ne comprends rien à ce que vous me dites.

Vittorio était d’autant plus déstabilisé que cette voix au bout du fil ne lui était pas inconnue.

- Je n’ai ni le temps ni l’envie de vous expliquer quoi que ce soit au téléphone, reprît l’inspecteur d’un ton autoritaire.

- Mais c’est que j’allais prendre un train… retourna Vittorio qui cherchait un échappatoire.

- Je vais être plus clair, Monsieur Scilacci : ramenez vos fesses au pas de charge et toute affaire cessante au commissariat central.

- Mais de quoi parlez-v…

Vittorio resta un moment hagard, regardant son téléphone comme s’il en attendait une réponse. L’inspecteur lui avait raccroché au nez.

Après quelques secondes de flottement, Vittorio s’adressa au chauffeur :

- Changement de programme ! Emmenez-moi au commissariat central de Bordeaux s’il vous plaît.


***


Lovée dans le drap qu’elle tenait fermement dans ses mains contre sa poitrine, les yeux ouverts, absents, Marion émergeait de sa torpeur. Un instant, elle crut à un mauvais rêve mais réalisa vite que ce n’était pas le cas. Elle se recroquevilla davantage à cette triste pensée, cherchant instinctivement à se protéger du monde qui l’entourait. Abasourdie par la peine, elle resta silencieuse encore de longues minutes avant de s’asseoir au bord du lit.

La chambre était remplie d’une atmosphère particulière. Une présence que Marion cherchait, tournant la tête aux quatre coins de la pièce. Un détail attira son attention. Sur le bureau, quelque chose. Elle se leva lentement et s’approcha du meuble. Une feuille y était posée, qu’elle prit délicatement découvrant qu’il s’agissait d’une esquisse la représentant lors de leur rencontre sur la terrasse du café le soir où Vittorio lui était venu en aide. Un sourire doux se dessina sur son visage. Quelque chose était écrit en petit dessous :

« Fou est celui qui aurait l’audace de penser qu’il peut reproduire de sa main ta beauté, fût-il le plus grand ! »

Une larme chaude trébucha, signant l’œuvre d’un point final… indélébile.

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