Chapitre 11

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Un « Salut tout le monde ! » surgit sur la terrasse en même temps que Stéphane.

- Eh bien salut p’tit frère, s’étouffa Marion avec la gorgée du thé qu’elle venait de prendre. Vous avez donc tous décidés de me tuer… trois fois en moins de vingt-quatre heures, ajouta-t-elle en reposant sa tasse.

- Oh oh ! Loin de moi cette idée, p’tite sœur. J’ai pas envie de finir dans la piscine, moi, retourna-t-il, un clin d’œil entendu à l’adresse de Vittorio.

- Bonjour Stéphane. Vous ne risquez rien… toutes les pierres ont été retirées de la pelouse, ironisa-t-il, un sourire en coin tandis que Stéphane piquait un croissant.

- En tous cas, après le service que vous nous avez rendu, j’vous aime déjà ! Bon, je filoche. Suis déjà en retard.

Un autre « salut ! » fusa de sa bouche en croisant Sylviane qui arrivait à son tour pour déjeuner, un signe d’une main molle sur un bras désarticulé pour toute réponse.

Sylviane s’installa sur le côté de Marion, se laissant choir sur son siège comme une poupée de chiffon. Elle était plus guidée par l’odeur du café et des croissants que par une réelle volonté consciente. Avec Mylène toujours en mouvement, s’affairant autour du banquet, allant et venant, s’inquiétant de ce que rien ne manqua à personne, on aurait pu croire à deux scènes de film superposées dont l’une sur pause.

- Café ? s’enquît Marion qui savait que les phrases les plus courtes avaient plus de chance d’atteindre le cerveau de Sylviane dans cet état semi-végétatif.

La danseuse resta suspendue à une réponse qui devait bien arrivée à un moment ou à une autre. Quelque chose sembla bouger sous les mèches hirsutes du pantin sans vie que Marion prit pour un « oui ». Le fumet du café installé sous son nez excita quelques neurones. Assez pour qu’une main prenne vie et se meuve jusqu’au mug. La première gorgée de cet or noir eut un effet relevant de la magie : Sylviane reprenait vie !

- Monsieur Vittorio, intervint Mylène. Monsieur Dennoyer vous attend dans son bureau lorsque vous aurez terminer votre petit déjeuner.

- Merci beaucoup, Mylène. Je viens justement de finir… pouvez-vous m’y conduire ?

- Certainement Monsieur !

- C’est l’heure de vérité, fit Vittorio à Marion en se levant de table.

Vittorio emboîta le pas de Mylène qui l’attendait près de la porte fenêtre donnant sur l’espace de vie de la maison. Ils arpentèrent le long couloir opposé à celui qui menait à la chambre qu’il occupait. Seuls les escarpins de l’intendante sur le marbre rythmaient leur progression. Après s’être assurée de sa tenue stricte, Mylène frappa à la porte du bureau de Xavier.

- Oui ?

Mylène entra et fit un pas de côté afin de laisser l’espace d’entrée à Vittorio.

- Monsieur Vittorio, Monsieur ! lança-t-elle avec la séance due à son métier.

Dennoyer qui était resté jusque là le nez plongé sur son ministre, releva la tête et afficha un sourire crispé.

- Mais entrez Vittorio ! fit-il d’une composition un peu trop théâtral qui ne fit que mettre en avant ce qu’il cherchait à cacher : Son malaise. Je vous en prie, reprit-il, avançant les deux mains en direction d’un des deux fauteuils installés en regard du bureau.

Le jeune homme parcourut les quatre ou cinq mètres qui le séparaient de son hôte tandis que Mylène sortait, refermant la porte derrière elle. Il était intrigué par un je ne sais quoi qu’il percevait difficilement dans le comportement de Dennoyer. S’il ne pouvait pas vraiment dire ce qui était différent, il ressentait néanmoins une sorte de tension. Comme si l’air de la pièce était traversé par un champ magnétique. Peut-être par instinct de survie, Vittorio ne s’assit pas. Il dévisageait Xavier Dennoyer.

- Mais asseyez-vous donc, mon cher ami !

Devant l’insistance de Dennoyer, Vittorio se cala sur le siège.

- Avez-vous apprécié la petite soirée préparée en votre honneur ? reprit Dennoyer. Et avez-vous bien dormi ?

- Je ne m’attendais pas à tant d’attention. C’était tout simplement un accueil princier, Xavier, retourna Vittorio dans une certaine retenue étant donné l’étrange ressenti qui l’habitait.

- Vittorio, reprit Xavier d’un ton solennel en se levant de son siège. Je vous ai fait venir ici pour vous demander un travail… assez particulier. Connaissez-vous l’œuvre de Pispicolli : « La terre sauvage » ?

- Assez bien pour l’avoir étudié aux Beaux-Arts. Mais je ne vois pas où vous voulez en venir, répondit Vittorio, fronçant les sourcils.

- Eh bien… comme vous le savez certainement, cette œuvre a été volée lors de son transfert du Louvre au Palazzo Ducale d'Urbino en Italie il y a six ans et n’a jamais été retrouvée.

Le jeune dessinateur suivait du regard Xavier qui arpentait la pièce derrière son bureau, les yeux hagards, ne comprenant ni où Dennoyer voulait en venir ni en quoi cela pouvait le concerner.

- En effet, mais…

- Je veux que vous le reproduisiez pour moi, coupa Dennoyer, s’appuyant des deux poings sur son bureau.

Vittorio resta interdit. Son cerveau refusait de traiter l’information. Un silence pesant s’installa entre les deux hommes qui se regardaient mutuellement sans bouger d’un iota. Puis, le dessinateur put enfin sortir quelques mots.

- Plagier, s’apostropha-t-il les yeux partant dans le vide. Vous me demander de plagier une œuvre, un artiste ? ramenant son regard dans celui de Dennoyer. Vous n’êtes pas sérieux !

Le ton du dessinateur avait claqué dans l’air. Il n’en revenait pas. Dennoyer l’avait fait venir pour faire une copie ? Il refusait d’y croire. Il avait certainement mal compris ses propos. Un homme qui a vouer sa vie à l’art au point de devenir le meilleur critique de la planète, ne pouvait pas lui faire une telle proposition. Vittorio se sentit trahi au plus profond de lui-même.

- Croyez bien que je suis on ne peut plus sérieux, mon ami !

- Je refuse !

Dans un déplacement lent, Dennoyer retira ses poings plantés sur le meuble et se tourna vers la porte-fenêtre qui donnait sur la piscine.

- Je crains malheureusement que vous n’ayez les moyens de refuser, très cher.

- Mes moyens se portent très bien, je vous l’assure ! Il n’est pas question que je fasse ce que vous attendez de moi.

- Je me suis mal fait comprendre, mon ami. Je ne parlais pas d’argent.

Dennoyer laissa peser un silence calculé avant de se retourner vers son interlocuteur et de reprendre.

- Comment va votre cicatrice ? reprit-il en signant son torse du bout des doigts.

- Je ne comprends pas, retourna fébrilement le jeune homme.

- Vous ne comprenez pas, hein ? Hum ! Que penseriez vous qu’il arriverait si la cause de cette cicatrice venait à se répandre. Vous connaissez ma réputation, n’est-ce pas ? Ne doutez pas un instant que je puisse détruire votre carrière, mon cher. Et je le ferai !

Excédé, Vittorio s’éjecta de son siège, faisant face au critique d’art.

- Quand bien même ! L’œuvre à laquelle vous faites référence à été réalisée sur un vélin, à la craie. Craies fabriquées par le maître avec son propre mélange de pigments. Il était droitier, je suis gaucher. Et croyez-moi, c’est un des détails les plus importants. De plus, je ne maîtrise pas du tout sa technique, et pour couronner le tout, le modèle à disparu. Et je vous passe tous les détails, comme le temps qui a passé sur l’œuvre donnant une couleur et un craquellement particulier aux vernis utilisés à l’époque en couches de protection.

- Oh ! Vous me faites un cours ? rétorqua Dennoyer dans un rire sarcastique. Je connais vos compétences et je sais aussi que vous êtes le seul à pouvoir le faire. Maintenant, je me fiche de savoir comment, mais il me faut cette œuvre vendredi prochain.

Le jeune dessinateur soutînt un moment le regard de Dennoyer dans un silence de plomb.

- Je refuse ! Faites ce que vous voudrez mais ne comptez pas sur moi. Vous admettrez aisément que je ne puisse rester une seconde de plus dans cette maison.

Sur ces paroles, Vittorio tourna les talons et se dirigea vers la porte.

- Encore une chose, mon cher. Ne tournez pas autour de ma fille. Elle n’est pas pour vous. Rappelez-vous… vendredi !

Vittorio avait marqué l’arrêt sans se retourner, la main sur la clenche. Marion ! Tout s’effondrait. Il ne pouvait plus envisager cette relation. Un uppercut aurait eu semble de caresse à côté de cette réalité. Les murs se refermaient sur lui. Le plafond l’écrasait. Il fallait qu’il sorte. Il étouffait.

Envahi d’un mélange de colère, de déception et d’un sentiment de trahison, il remontait le couloir, aveuglé et submergé par ses pensées. Au point qu’il ne vit pas Marion qui venait à sa rencontre, tout sourire. Il lui passa devant sans même sentir sa présence. La danseuse se figea. Son cœur se fêla.

- Vittorio… Vittorio, attends !

Mais les mots de la jeune femme moururent aux portes des oreilles du dessinateur qui continua sur sa lancée. Elle courut et l’attrapa par le bras.

- Qu’est-ce qui se passe Vittorio ? s’enquît la jeune femme,

Le jeune homme se retourna et planta son regard ambré dans les émeraudes de Marion. Il aurait tellement voulu lui dire quelque chose, la rassurer, l’étreindre et lui dire que tout va bien. Ses yeux s’embrumèrent. Des larmes sillonnèrent ses joues, silencieuses.

- Expliques-moi, je t’en prie, hoqueta Marion qui comprit le regard de son amant, ses larmes se mêlant au siennes.

- Désolé Marion… je ne peux pas !

- Tu ne peux pas quoi, Vittorio ? demanda-t-elle la voix chevrotante par sa peine et la peur de sa réponse.

Leurs yeux restèrent à se supplier pendant un moment qui sembla une éternité. Puis Vittorio décrocha la main de la danseuse qui était restée cramponnée à son bras et le lâcha délicatement. Sa pomme d’Adam montait et descendait, contenant sa douleur autant qu’il le pouvait. Il se retourna et partit sans un mot. La jeune femme resta immobile dans ce couloir qui lui sembla si long, regardant Vittorio disparaître au fil de ses pas, sans qu’elle ne put faire un mouvement, paralysée par l’incompréhension et la douleur qui frappait sa poitrine.

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