Chapitre 8

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Le soleil de juillet emplissait la chambre d’une belle luminosité. Après une douche réparatrice, la taille ceinturée d’une serviette éponge, Vittorio s’installa au bureau non sans avoir hésité à s’effondrer sur le lit. Mais la fragrance légère, restée suspendue dans l’air après le départ précipité de la jeune danseuse, l’enivrait à nouveau.

Le fusain glissait, frottait le support blanc que le jeune artiste avait extrait de son porte document. Sa main s’agitait, dessinait des courbes, des droites. Son majeur estompait, lissait, rehaussait des plats en reliefs, légers, contrastés, parfois durs. Les sens des premiers traits laissaient peu à peu la place à l’émotion. Sous la main précise, les doigts agiles, Marion revivait.

Restée sur le plan de l’atelier improvisé, l’esquisse révélait une présence étrange dans la pièce, quasi palpable. La serviette glissa de la hanche du dessinateur, se dévoilant dans sa plus simple nature à celle dont il ressentait presque les baisers brûlants. Sa peau frémit à cette pensée. La réalité le rattrapa. Il était attendu.

Des voix s’élevèrent lorsque Vittorio ouvrit la porte de sa retraite et guidèrent ses pas dans le couloir. Tout le monde était déjà là.

- Ahhh ! Vittorio. Vous voilà enfin, s’exclama joyeusement Dennoyer. Nous n’attendions plus que vous… ou presque ! Mais approchez mon cher ami que je vous présente.

Tous les regards se tournèrent dans la direction du dessinateur et les conversations cessèrent. Rompu au contact du public lors de vernissages, il avança avec assurance en direction de son hôte.

- Vittorio, je vous présente mon épouse, Adèle.

Adèle était une femme de quarante-deux ans dont la grâce n’avait d’égale que sa beauté. Il émanait d’elle une emprise naturelle sur quiconque se trouvait dans le même espace. Une attirance irrépressible qui lui prodiguait une autorité que nul n’osait remettre en question.

- Mon mari m’a tant parlé de vous, je suis heureuse de faire enfin votre connaissance, articula-t-elle posément, tendant sa main droite vers le jeune homme.

- Croyez bien que le plaisir est pour moi, Madame, répondit-il en serrant avec précaution la main de la maîtresse de maison. Vous avez une maison magnifique et décorée avec beaucoup de goût.

- Madame ? Appelez-moi Adèle, je vous en prie. Est-ce ainsi que vous me voyez, Vittorio ? Une femme triste et vieille ? taquina-t-elle avec aplomb.

- Assurément non, reprit-il à la volée un rien déstabilisé.

La réaction du dessinateur ne passa pas entre les filets du regard profond de la femme qui afficha une satisfaction discrète de l’effet qu’elle venait de produire.

- Et voici, reprit Dennoyer, mon fils Stéphane, et mon gendre Christophe.

- Ex !

Ce mot avait claqué plus fort qu’un coup de feu derrière l’épaule du dessinateur.

- Ah ! Voilà ma fille, s’exclama Xavier un peu pris au dépourvu.

Pivotant sur lui-même, le jeune artiste se figea à la vue de celle qui venait de faire une entrée fracassante, un regard de plomb planté dans celui de son père.

- Marion, je te présente Vittorio, certainement le plus célèbre des dessinateurs au fusain que la terre n’ait jamais porté.

Le cœur de la jeune femme s’arrêta de battre. Le prénom de Vittorio résonna dans sa tête, ricochant sans fin contre les parois de sa boîte crânienne. Partagée entre la crainte que ce fut réellement celui qui l’avait sorti la veille d’un mauvais pas et l’espoir tout aussi fort que ce fut cet homme-là, elle resta interdite une poignée de secondes. Sa tête tourna finalement, lentement. Ses pupilles vertes se dilatèrent. L’émotion de son regard se mêla à celui de son sauveur en un mystérieux enlacement d’incompréhension et de désir. Une caresse abstraite qu’ils reconnurent et dans laquelle ils se laissèrent envelopper.

Christophe, qui avait vu toute la scène, s’approcha de Marion et pencha la tête pour déposer un baiser qui s’écrasa sur la joue de la danseuse, esquivant son approche d’un mouvement de tête.

- Bon sang Marion, tu en es encore là ? ! déplora-t-il.

Pour toute réponse, la jeune femme soutint son regard d’un œil noir, lèvres pincées. Il en aurait fallu peu pour qu’elle ne lui vole dans les plumes. Sentant l’orage au bord de l’éclatement, l’homme ne renchérit pas. Revenant à une humeur plus clémente à la pensée du dessinateur qui l’avait quittée pour l’occasion, elle lui reporta son attention.

- Vittorio, je vous présente Sylviane, mon amie de toujours.

- Enchanté, amie de Marion.

Emportée par une sorte de black out, rien ne put sortir de sa bouche. Marion colla ses lèvres à l’oreille de son amie.

- Ferme la bouche, ça fait de l’écho ! chuchota la jeune femme.

A ces mots, Sylviane se sentit rougir et bredouilla un bonjour maladroit à l’adresse du dessinateur.

Voyant que son père, surpris par ce qui venait de se passer, allait renchérir, Marion coupa court.

- Si nous nous servions un verre, Vittorio ? Il semblerait que nous soyons les seuls à la diète !

Avant même que Dennoyer puisse ajouter quoi que ce soit, la danseuse prit la main du jeune homme et l’entraîna vers le bar, laissant Sylviane dans son sillon.

Les conversations suspendues lors de l’irruption du dessinateur dans le salon reprirent. Bientôt, le salon fut inondé par le brouhaha des voix, de bruits de glaçons, de rires parfois, créant un rempart acoustique isolant les deux jeunes gens.

- Il me semble me souvenir que vous êtes plutôt Whisky ? s’enquit Marion. Vous avez une préférence ?

- Glenfiddich, si vous avez. Si je m’attendais à vous revoir ici, fit Vittorio à la fois décontenancé et ravi. Sans glace s’il vous plaît, précisa-t-il alors que la jeune femme s’apprêtait à servir.

- Eh bien, sister ! Tu aurais au moins pu me laisser le temps de saluer l’invité de papa ! s’exclama Stéphane, tendant la main à Vittorio, un sourire généreux aux lèvres.

- Excuse, frangin. Mais entre l’entêtement de papa et la tentative de l’autre, il y avait urgence à changer d’air. Tu veux boire quelque chose p’tit frère ?

- Je suis déjà servi là-bas. On se voit plus tard, Vittorio, d’accord ?

- Absolument ! Et pardon pour tout à l’heure. Je ne voulais pas vous snober.

Stéphane leva la main pour dire que la chose était entendue et rejoignit le petit groupe au milieu du salon.

Sylviane se profila dans le champ de vision de la danseuse, croisant les pas du frère.

- Oh putain ! J’l’avais zappée, ânonna la serveuse. Une Vodka, p’tite soeur ? reprit-elle d’un ton mal assuré, teinté de culpabilité.

- D’abord tu me plantes à l’entrée de ton immeuble, et là, tu m’abandonnes comme une nouille, fit Sylviane, blessée et agacée. Un double, s’te plaît, continua-t-elle dans un soupir.

- Fais pas la gueule, ma belle, renchérit Marion d’une voix emplie d’amour. T’as bien vu ce qui s’est passé.

- Sers-moi mon verre au lieu de tes excuses à deux balles ! renvoya la victime, un sourire en coin.

Le liquide ambré se déversa dans un verre large en cristal. Puis deux de Vodka se remplirent, dont un double que Sylviane saisit avant de s’éclipser, prétextant qu’on lui faisait signe de venir.

- Mais dites-moi, Vittorio. Que faites-vous ici ? s’enquit Marion.

- Eh bien, Xav… votre père m’a invité afin de me parler d’un projet.

- Un projet, hum ! En quoi consiste-t-il ce projet si je ne suis pas trop curieuse ?

La danseuse planta ses émeraudes dans les yeux noisette de Vittorio en avançant le verre de whisky devant ses mains. Désarçonné par son regard intense, il lui sembla qu’elle venait de prendre possession de son âme. Une chaleur intense traversa son corps. Il eut envie d’embrasser sa bouche comme une gourmandise irrésistible. De ces envies si fortes qu’il suffirait d’un rien pour y plonger et s’y perdre.

- Ça je n’en sais encore rien, réussit-il à articuler, réprouvant au mieux sa pulsion.

Les verres s’entrechoquèrent alors qu’ils se souhaitaient la bonne santé. Leurs yeux s’affrontaient en caresses soyeuses. Les visages se rapprochaient, chacun voulant s’étourdir du parfum corporel de l’autre.

- Je suis heureuse que vous soyez là, Vittorio, avoua la jeune femme de sa voix suave qui fit mouche aux oreilles du dessinateur.

- Je le suis aussi, Marion !

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