Chapitre 4

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- Allô ?


- Bonsoir… Vittorio ?


- Lui-même ! ?


- J’ai eu votre numéro par un ami commun, Bertrand Steinmeyer. Je m’appelle Xavier Dennoyer.


- Votre nom me dit quelque chose, mais... vous aurais-je déjà rencontré ? s’enquit l’artiste en portant son verre de whisky à la bouche.


- D’une certaine manière, oui ! Voyez-vous, je suis… comment dire ?.. critique d’art. Ma réputation mondiale est peut-être parvenue jusqu’à vos oreilles ? On dit de moi, même si je ne valide pas les propos, que je fais et défais les carrières.


- En quoi puis-je vous être utile, monsieur Dennoyer ?


- Je vous en prie appelez-moi Xavier, répondit l’homme sur un ton jovial et amical. Après tout, nous faisons partie de la même famille, pour ainsi dire. Vittorio, reprit l’homme d’un ton inspiré, j’ai souhaité entrer en contact avec vous parce que j’ai un travail à vous proposer. Comme je vous l’ai dit il y a un instant, je suis critique d’art et bien sûr, votre réputation est arrivée jusqu’à moi.


L’homme parlait avec emphase et une lenteur calculée, comme s’il jouait Hamlet. L’assurance dans sa voix imposait un charisme indéniable même au travers du téléphone.


- Je me suis donc penché sur votre travail, et je dois bien vous avouer que j’ai été… stupéfait. J’ai rarement ressenti dans toute ma carrière, une telle magie, si ce n’est bien sûr pour les plus grands qui ont donné à l’art son sens profond. Voyez-vous, Vittorio, il y a dans vos œuvres un mouvement, une force dans la représentation que je ne saurais définir justement avec des mots. Quelque chose qui m’emporte sans que je puisse le formuler. Vous m’avez cueilli et croyez-moi, cela n’est pas chose aisée. A ce titre, j’aimerais vous rencontrer et vous présenter ce que j’attends de vous.


L’artiste aux fusains écoutait son correspondant enfoncé dans son fauteuil sur cette terrasse où, quelques minutes plus tôt, Marion se trouvait en sa compagnie. Il était encore empreint de son parfum léger, de sa présence. Il était concentré sur sa conversation mais l’image de la danseuse et sa voix planaient dans sa mémoire, comme une nappe de brouillard immobile au-dessus d’un champ.


Le signal d’un double appel résonna dans son oreille. D’un geste machinal, l’homme aux fusains jeta un coup d’œil rapide à l’écran de son portable. Le numéro ne lui disait rien. Ce n’était pas quelqu’un de son répertoire.***- Alors ? s’impatienta Sylviane, voyant son amie téléphone collé à l’oreille sans bouger ni parler.


- Ben alors rien du tout, finit-elle par dire sur un ton de déception. Y a un message qui dit que mon correspondant est déjà en ligne et qu’il lui signale mon appel. Mais au bout d’un moment… boîte vocale !


- Tu n’as qu’à lui laisser un message.


- Non ! Et puis je lui dirais quoi ? «Allô, c’est la folle qui vous a planté sur la terrasse tout à l’heure… Vous vous souvenez » ? Et après ? Que je m’excuse et que je voudrais le remercier ? On sera bien avancé !


- Dis plutôt que t’as envie de l’entendre, taquina la jeune femme en jetant le reste de sa Vodka au fond  du gosier.


- N’importe quoi ! C’est juste que si c’est pour lui laisser un message genre « Je m’excuse blablabla  » fit-elle en agitant les mains au-dessus d’elle, je n’en vois pas l’intérêt.


- Mmmhhh, interjecta Sylviane la bouche encore pleine. Tu m’as prise pour un lapin de trois semaines ? ! Tu meurs d’envie de l’entendre.


Marion ouvrit la bouche tout en inspirant brusquement mais rien ne sortit. En fait, son amie avait raison, elle en prit subitement conscience. Les quelques mots que Vittorio avait placés dans son presque monologue, avaient gravé son timbre de voix dans sa tête ; velouté, charmant, apaisant.


La jeune danseuse s’enveloppa un moment dans un songe qui lui fit perdre toute notion de réalité. Un doux frisson lui parcourut le bas du ventre au souvenir du regard de Vittorio qui s’était invité sous sa robe. L’idée qu’il caressât de ses yeux les lèvres fines de son éden lui procura un désir soudain. Une chaleur sauvage s’installa entre ses cuisses qu’elle serra machinalement, exacerbant son plaisir. Elle avait subitement envie de cet homme. Un brasier délicieux s’empara de son intimité et irradiait jusque dans son ventre. Les fibres de sa dentelle finement facturée se gorgèrent de cyprine. L’étoffe mouillée se plaqua en seconde peau, dessinant gracieusement les contours et la fente de son fruit de la passion.


Elle avait envie de lui ! Comment était-ce possible, se demanda-t-elle ? Elle ne l’avait vu que le temps d’un café puis était partie en trombe. C’était incompréhensible.


Tout à coup, prise dans un tourbillon étrange, Marion était tiraillée entre la peur d’une force inconnue qu’elle ne contrôlait pas et le plaisir de s’y laisser emporter. Elle s’apprêtait à relancer le numéro quand son index stoppa à quelques millimètres de l’écran tactile. Elle resta figée une poignée de secondes puis, perdue quelque part dans ses pensées, retira lentement son doigt de l’écran et déposa l’appareil au bord de la table basse.


La peur l’avait envahie et l’instinct primaire de survie avait pris la décision à sa place. Elle ne l’appellerait pas… pas ce soir !

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