Chapitre 3

7 minutes de lecture

Marion arrivait au pas de charge en bas de son immeuble. Elle n’en revenait pas d’avoir oublié son amie. Sa sœur jumelle pour ainsi dire ! Une petite pointe lui piqua le cœur à cette pensée mais elle fut aussitôt contrebalancée par la remémoration de son intermède avec cet inconnu qui avait suscité chez elle une attirance forte au point de vouloir lui succomber sans qu’il ne fit le moindre geste.


Adossée à la lourde porte de bois du hall d’entrée, Sylviane attendait les bras croisés. Le mouvement répété en cadence rapide de son pied gauche trahissait une certaine impatience, pour ne pas dire, une certaine nervosité.


- P’tain ! Mais qu’est-ce que tu fous  ? Ca fait une heure que j’t’attends ! grogna Sylviane.


- Ouais ben n’exagère pas non plus !


- Ok ! Mais ça fait je sais pas combien de temps que je poireaute ici à faire la conversation à ta porte d’entrée.


- Excuse-moi mais il m’est arrivé un truc insensé sur le chemin du retour.


- Oh ! Et… il avait les yeux de quelle couleur ton truc insensé, dis-moi ? s’enquit Sylviane d’un ton taquin et radouci.


- Non c’est pas ça ! Enfin si… mais non, c’est pas ce que je voulais dire. Ce n’est pas ce que tu crois même si tu n’as pas tout à fait tort !


- J’adore quand tu t’exprimes clairement, Marion ! Un vrai plaisir !


Alors qu’elles pénétraient dans le hall, Marion expliqua son début de soirée avec le groupe de jeunes puceaux qui avaient fini pas se faire virer de la boîte, puis sa mauvaise rencontre sur le chemin du retour.


- Tu as dû flipper ma belle ?!


- En réalité, les choses sont allées très vite. Je n’ai pas vraiment eu le temps d’avoir peur. Et puis, il y a eu cet homme, fit-elle rêveusement.


- AH ! Je savais bien qu’il y avait un mec là derrière ! J’savais bien que tu n’étais pas dans ton état normal quand t’es arrivée.


- Excuse-moi  ?


- Ben… il y a un je ne sais quoi qui émane de toi. Je sais pas trop te dire mais tu sembles sur une sorte de nuage.


Montant les deux étages qui séparaient les deux jeunes femmes de l’appartement, la danseuse avait résumé cette rencontre étonnante avec son sauveur. Elle se souvenait parfaitement de ce premier regard quand, encore à terre, cet homme l’avait prise par le coude pour l’aider à se relever. Elle s’était sentie immédiatement en sécurité. Quelque chose de diffus. Un bien-être surprenant étant donné la situation de stress dans laquelle elle se trouvait.
Arrivées devant la porte, Marion eut un moment d’absence au souvenir du frisson doux qui avait parcouru son corps lorsque la main de Vittorio était entrée en contact avec sa peau. Quelques secondes qui n’échappèrent pas à son amie.


- Eh ben ! Il t’a tapé dans l’œil celui-là, fit-elle en la dévisageant.


Sans répondre, la danseuse engagea la clé dans la serrure. Deux « clacs » s’en suivirent et la porte s’ouvrit.


Jetant ses clés dans la petite corbeille prévue à cet effet et son sac à main sur le retour du bar de la cuisine américaine face à l’entrée, Marion se planta devant sa sœur de cœur.


- Écoute, je n’ai plus trop envie de sortir. Cette fin de soirée m’a atteinte plus que ce que je pensais. Que dirais-tu d’un verre ici, entre filles ?


- Ca me paraît être une bonne idée effectivement, rétorqua Sylviane d’un ton suspendu, hochant la tête en signe approbation, les yeux écarquillés. Tu nous sers un verre ? reprit-elle en se dirigeant vers l’un des deux fauteuils qui faisaient face au canapé, une table basse comme point central.


- Vodka ? interrogea Marion qui se marchait déjà vers le bar, dos aux fauteuils, face à la cuisine.


- What else ?  s’étonna faussement Sylviane qui venait de s’effondrer sur le coussin, jetant sa jambe droite à l’horizontal sur l’accoudoir.


Marion sortit deux verres qu’elle posa sur le bois cérusé gris qui formait le plan du bar. Bouteille à la main, elle sourit au moment où elle s’apprêtait à verser la boisson dans le premier verre. Elle s’aperçut que ces verres ressemblaient en tout point à celui que tenait son sauveur quelques minutes plus tôt sur la terrasse. Son sourire fendait maintenant délicieusement son visage d’ange tandis que le liquide remplissait un à un les deux récipients.


- Et toi p‘tite sœur ? Comment va ta vie en ce moment ? s’enquit Marion en tendant un des deux verres à son amie, portant le sien à ses lèvres pour une première rasade.


- Oh ben moi j’ai changé de mec ! retourna-t-elle à la volée.


La danseuse manqua s’étouffer pour la seconde fois de la soirée. La vodka passa de papilles à fosses nasales en un éclair. La main sous son nez pour retenir le liquide qui  pourrait s’en échapper.


- Encore !?!? s’étrangla-t-elle.


- C’est pas de ma faute si ce Patrick était un vrai connard !


- C’était pas plutôt, Philippe  ?


- Oui bon ! Philippe, Patrick… Ca n’empêche que c’était quand même un sacré con !


- Ainsi que tous ceux avant lui, ânonna la danseuse.


- Tu disais  ?


- Non rien ! Je disais, fais tout de même attention à toi p’tite sœur. Un de ces jours tu vas tomber sur un tordu.


- Mais oui, t’inquiète. répondit Sylviane un sourire doux aux lèvres devant l’inquiétude de son amie. Mais assez parlé de moi ! Parle-moi de celui qui a mis ces paillettes dans tes yeux, reprit-elle d’un ton taquin, plantant son regard dans celui de Marion.


Les mots de Sylviane renvoyèrent Marion une demi-heure en arrière. Elle se retrouvait sur cette terrasse avec Vittorio. Elle prit soudain conscience qu’elle avait totalement occulté sa mésaventure en sa compagnie. Elle se sentait un peu décontenancée par ce sentiment qui la transportait. Elle avait vécu des émois par le passé bien sûr, plus ou moins fortement mais là, c’était différent. Elle se sentait planer au dessus du sol. Tout ce qui se passait à ce moment-là, la rue, les gens, les bruits venant du bar et de la terrasse, tout ceci était comme étouffé dans du coton.


Les mots de son amie lui revinrent en écho et la ramenèrent à la réalité.


- Eh bien… je sais pas trop, fit-elle rêveusement.


- Comment ça tu sais pas ? railla Sylviane. Tu parais avoir quitté la terre, tes yeux brillent tellement qu’on jurerait qu’ils ont été photoshoppés et ton sourire a dû s’emmêler dans tes oreilles parce qu’il ne redescend pas  ; et toi, tu me dis juste, « je sais pas trop» ?


La jeune danseuse eut un haussement d’épaules prolongé d’un soupir  d’extase et planta ses yeux verts dans ceux de son amie.


- C’est parce que je ne comprends pas ce qui m’arrive p’tite sœur. On s’est vu quoi ?.. une vingtaine de minutes à tout casser. Et depuis, j’ai cette impression de plus être totalement là. J’ai commencé à parler comme un moulin. Je crois que je lui ai raconté toute ma vie. Il était là, juste à m’écouter. Et moi, je lui ai tout déballé !


La jeune femme s’arrêta un moment, prenant conscience de ce qu’elle disait. La surprise se lisait sur son visage. Elle paraissait  perdue, le regard rond en regardant fixement le sol. Soudain, elle eut un moment de panique furtif.


- Tu te rends compte, p’tite sœur ? reprit-elle après une timide gorgée de vodka. Je me suis dévoilée à cet homme que je ne connaissais pas et pourtant, je n’ai eu aucun problème à le faire !


Ébahie, Sylviane regardait la scène se dérouler, hochant la tête comme si elle était suspendue à un balancier.


- Eh ben ma vieille, on dirait qu’il t’a tapé dans l’œil ce mec ! taquina-t-elle avant d’avaler le reste de son verre cul-sec. Tu nous en ressers un ? reprit-elle en tendant son verre.


- Tu sais, je comprends pas ce que je ressens. Je veux dire, je n’ai vu cet homme que quelques minutes et… C’est idiot, laisse tomber !


Marion se leva, prit le verre de son amie à la volée et se dirigea vers le bar. Elle arrêta de nouveau son regard quelques secondes sur ces verres qui la ramenèrent à cette terrasse.


- Qu’est-ce qui est idiot ? s’étonna Sylviane.


- Non… c’est idiot j’te dis ! fit la danseuse un peu gênée, remplissant le verre de son amie et complétant le sien qu’elle avait à peine touché.


- Je croyais que j’étais ta p’tite sœur, s’offusqua faussement la jeune femme.


- Ecoute, c’est trop bizarre… je ressens comme un manque ! se décida-t-elle à lui consentir tendant le verre à sa copine.


Sylviane, habituellement exubérante et taquine, s’enfonça dans son fauteuil, reposa sa jambe sur l’accoudoir et prit subitement un air sérieux et calme.


- Tu vas le revoir ce… comment s’appelle t-il  ?


- Vittorio, fit-elle de sa voix suave. Il s’appelle Vittorio.


Prononcer son prénom fit envoler une nuée de papillons dans son ventre, suivi immédiatement par ce sentiment de manque qu’elle ressentait depuis qu’elle était arrivée chez elle.


- Je lui ai dit que je l’appellerai bientôt pour le remercier de m’être venu en aide, reprit-elle.


- Appelle-le maintenant ! lui intima son amie voyant que sa rencontre avec cet homme l’avait chavirée. Tu l’appelles, tu lui donnes un rendez-vous. Comme ça, tu seras apaisée de savoir que tu vas le revoir bientôt.


- C’est peut-être un peu tôt. Il va penser que je lui saute dessus !


- Maintenant ! Tu n’auras qu’à prétexter t’excuser pour ton départ en trombe et tu en profites pour lui poser un rencard.


Marion regarda un moment son amie sans dire un mot. Une nouvelle nuée de papillons s’envolèrent à l’idée d’entendre Vittorio. Après tout, elle devait s’excuser de sa conduite un peu cavalière, plantant son sauveur de la sorte. Encore une seconde d’hésitation et elle se leva, récupéra son portable dans son sac à main posé sur le comptoir de la cuisine. Elle revint s’asseoir sur le bord du canapé, triturant l’appareil dans ses mains.


- Tu crois ? interrogeat-elle aussi peu à l’aise qu’excitée.


- J’en suis sûre. Appelle !


Le cœur de la danseuse battait la chamade et ses mains tremblaient. Elle finit par chercher le numéro de téléphone qu’elle avait enregistré avant de s’enfuir et envoya l’appel en fixant son amie dans les yeux.


- Allô ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Frédéric GRANVILLE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0