Chapitre 2

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Vittorio avait oublié sa belle blonde qui, dans sa course, cheveux au vent, avait mis quelques heures plus tôt le feu à sa mémoire. Il ne pensait plus non plus aux délices de la serveuse où ses yeux s'étaient égarés quelques minutes auparavant. Même les nombreux essais manqués qui gisaient encore sur le sol de son atelier, et qui l’avait mis dans une humeur maussade, semblaient s’être évaporés de son esprit. Envoûté par sa voix suave, il écoutait Marion lui expliquer ce qu'elle faisait dans la vie entre deux gorgées du grand café qu'il lui avait commandé afin qu'elle se remette de sa mésaventure.


- Et vous faites cela depuis combien de temps ? S'enquit Vittorio, portant son verre de Glenfiddich à ses lèvres.


- Je danse au Sixty Seven depuis trois ans, répondit-elle. J'ai bien fait quelques petits boulots avant - Vendeuse en parfumerie, en prêt-à-porter... mais c'était pas pour moi.


- Une vocation si je comprends bien ? renchérit Vittorio.


- On peut dire ça, oui. J'ai pourtant essayé de rentrer dans le moule ; un peu pour mes parents d'ailleurs, qui voyaient d'un mauvais œil mon attirance pour ce monde « décalé » comme ils disent.


Vittorio écoutait la jeune femme avec une hypnotique concentration, Il était happé par son aura - Ses gestes gracieux caressaient sa peau, son superbe sourire immuable délivrant des dents blanches parfaites irradiaient ses pupilles et sa voix mélodieuse sonnait en symphonie à ses oreilles. Cela lui rappelait ses envolées au fusain lorsque parfois il laissait le hasard décider des lignes et courbes que sa main envoyait sur un support de travail vierge. Elle avait toute la grâce de l’artiste. Elle lui donnait tout à coup l'impression que ces traits et ces courbes couchés sur une de ses esquisses s'extrayaient de son support et s'animaient devant ses yeux ; que l'un de ses dessins venait de prendre vie, ici, sur la terrasse de ce café. Il se sentait emporté au milieu d'un cyclone qui le chahutait entre des émotions contraires. Douces et fortes à la fois. Elle avait lancé un délicieux grappin sur son torse, l'attirant comme le chant d'une sirène au marin déjà perdu. Il tentait de garder une certaine distance devant cette femme dont il ignorait tout il y a encore quelques minutes, lutant pour se raccrocher à leur conversation dont il essayait de suivre le fil.


-  Voyaient ? Cela veut-il dire qu'ils se sont finalement rangés à votre choix ?


-  Eh bien... Disons que nous évitons le sujet, souffla Marion. Ils ne me posent pas de question. En contrepartie j’évite d’amener tous sujets susceptibles de se rapporter à mon job. Une sorte de pacte tacite implicite.


Vittorio perdit le fil de la conversation dans le jeu de jambe de la jeune femme. En reposant sa jambe droite sur la gauche, elle avait laissé juste assez d’espace pour que le regard de son interlocuteur se faufile sous sa robe courte, suivant la ligne de ses cuisses finement musclées. Un moment qui ne dura qu’une seconde ou deux tout au plus mais qui suffit à son œil entraîné. En l’espace d’un battement de cils, il fondit sur son paradis qu’il imaginait aussi doux que la peau d’une pêche. Il ne vit rien - les lumières artificielles qui couvraient la terrasse ne propagèrent que des ombres, voilant l’endroit épié furtivement. Un sentiment de frustration l’effleura, attisant l’attraction qu’il ressentait pour cette femme depuis que leurs regards s’étaient croisés.


- Tout va bien, Vittorio ? s’enquit-elle, observant l’absence soudaine dans son regard.


- Oui ! Pardonnez-moi, répondit-il un peu trop rapidement en se renfrognant dans son fauteuil. Je… Enfin, je pensais à un truc… rien d’important, bafouilla-t-il. Mais je vous en prie, continuez, ajouta-t-il avec un sourire gêné.


Un sourire coquin se profila sur le coin gauche des lèvres de Marion. Elle avait compris ce qui avait perdu son interlocuteur. Ce n’était pas pour lui déplaire d’ailleurs. D’autant que cet homme ne la laissait pas indifférente. Elle se sentait attirée par lui. Une attirance sauvage, brute, qu’elle fut surprise de ressentir pour un inconnu, qui certes lui était venu en aide, mais dont elle ne savait rien. Une envie de contact qu’elle contenait difficilement et qu’elle n’avait jamais ressentie avec autant d’intensité. Cela la déstabilisait un peu mais elle voulait se laisser porter par cette sensation douillette.


- Je vous disais donc, reprit-elle d’une voix taquine en conservant son sourire en coin, que…


Elle fut interrompue par la sonnerie d’une notification qui venait d’arriver sur son portable. Elle s’en saisit machinalement en tendant le bras dans son sac à main posé à ses pieds. Tout en ouvrant l’application des SMS, elle reprit une gorgée du café tiédi qui la fit grimacer et, découvrant le message qui venait de s’afficher à l’écran, manquât de le recracher par le nez.


- Merde ! éructa-t-elle. Je l’avais complètement oubliée ! Je suis désolée, je dois partir ; j’avais donné rendez-vous à une amie chez moi. Avec tout ça, je l’ai totalement zappée ! Pardonnez-moi, mais je dois vous laisser.


Vittorio abasourdit par cette situation soudaine, ne sut trop quoi répondre.


-  Oh… D’accord ! bredouilla-t-il maladroitement.


-  Vous avez un numéro où je peux vous joindre ? fit-elle en se levant promptement de son fauteuil. Je tiens à vous remercier d’être venu à mon secours tout à l’heure.


- Vous n’y êtes pas obligée, je vous assure, retourna-t-il mécaniquement.


-  J’y tiens absolument, rétorqua la jeune femme, plantant ses yeux verts dans ceux de Vittorio. Vous avez un numéro ? insista Marion, téléphone à la main.


L’homme un peu déstabilisé par l’interruption inopinée de leur conversation se leva à son tour et lui communiqua son numéro. A peine enregistré, elle l’appela pour faire un essai puis jeta son portable au fond de son sac qu’elle prit à la volée.


- Je vous appelle très vite, promis ! fit-elle en s’enfuyant déjà.


Vittorio, la regarda disparaître puis se rassit sur son fauteuil, dans un mouvement si lent que l’on eut crut que la scène fut tournée au ralenti, le regard figé sur la rue maintenant déserte.


D’un geste brusque, il avala la dernière gorgée de son breuvage ambré et en recommanda un autre, sans glace. Il ne prêta guère d’attention à la serveuse qu’il avait pourtant trouvé si délicieuse en début de soirée lorsqu’elle revint avec sa boisson.


- Voici Monsieur, fit la barmaid avec un large sourire gracieux.


- Euh… merci ! annona-t-il, ne lui jetant qu’un regard de circonstance suivi d’un sourire aimable.


Enivré par le parfum de la jeune femme qui persistait encore autour de lui, il porta son verre à ses lèvres dans un geste machinal. Son esprit flottait en dehors de toutes rationalité. Un encéphalogramme aurait juré que plus aucune activité n’animait la région cérébrale et aurait délivré un graphe plat. Il s’apprêtait à reprendre une autre gorgée de sa boisson favorite lorsque son téléphone sonna, le projetant brutalement dans la réalité. Reposant son verre sur la petite table, il se saisit de l’appareil et décrocha.


- Allo ?

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