Chapitre 4

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Bigre ! Cela se compliquait. On pouvait donc suspecter une blessure sérieuse ou une mort. Les gendarmes avertirent le Procureur de Brive qui désigna comme enquêteur un OPJ de la Brigade de Recherches, en attendant de diligenter sur place une équipe du GIR de Limoges, si l’on découvrait un cadavre.

Depuis le passage des pandores de maison en maison, le village était en émoi. Les conversations n’avaient plus qu’un objet : le possible crime commis ; les commerçants en oubliaient de demander à leurs clients le but de leur visite, les vieux couples reléguaient leurs querelles aux calendes grecques et les amoureux de tout poil en perdaient le désir de l’autre ! La divulgation – on ne sait comment – du résultat du prélèvement opéré dans la fontaine ne fit qu’augmenter la tension d’un cran.

Immédiatement, les imaginations se mirent à battre la campagne et les soupçons les plus fous à circuler ; selon une loi atavique vieille comme le monde, on commença par cibler les étrangers, les hors-venus, les pièces rapportées. Il se trouvait qu’il y en avait beaucoup. Trop. Dans chaque famille ou presque on recensait un ou plusieurs membres concernés et chacune accusait l’autre ! La piste se perdit dans les méandres familiaux.

On se rabattit ensuite sur les originaux, les hors-normes, les marginaux. Le champ des possibles se restreignit, mais resta néanmoins trop important pour dégager un consensus.

Les vieux réflexes révolutionnaires ressurgirent alors et l’on porta son dévolu sur les plus riches, toujours soupçonnés des turpitudes dont les pauvres n’ont pas les moyens.

En l’occurrence, le choix se réduisait à une poignée de châtelains, hommes d’affaires et commerçants aisés, connus de tous. Mais un seul de ceux-là avait une femme jeune et belle, susceptible de pousser au crime : Joss Vanderlaeren ! Et lui, c’était un hors-venu, étranger de surcroît, comme son épouse, et il collectionnait les fossiles et les voitures anciennes ! C’était donc là un homme dont on avait tout lieu de se méfier, non ? Et sa femme est tellement plus jeune que lui, vingt ans au moins, n’est-ce pas ? Trente, vous dites ? Ça finit toujours mal des mariages comme ça. C’est pas sûr qu’ils soient mariés ? Comment vous savez ça, vous ? Chez le notaire, lors d’une vente ? Ah, bon !...

En quelques heures, les propriétaires du Manoir de la Barrière se retrouvèrent sous le feu des interrogations. Nul n’avait vu Annelore de la journée. Pas plus que Joss. Avaient-ils pris leurs quartiers d’hiver au village, d’ailleurs ? Après tout, on n’était qu’à la mi-septembre. Peut-être étaient-ils toujours sur une île au soleil ou en croisière sur un océan quelconque ?

Lorsqu’un témoignage digne de foi rapporta avoir vu la Jaguar vert bouteille du couple anglo-néerlandais quelques jours auparavant, leur absence commença à paraître louche.

Cette information, recueillie par le Capitaine Soubeyrol, renforça la conviction populaire : c’était autour du Manoir de la Barrière qu’il fallait chercher la clé du mystère !

Devant le mutisme des forces de l’ordre, l’opinion publique, emmenée par un quarteron de résidents de vieille souche, revanchards et xénophobes, décida de prendre les choses en main et de mener contre-enquête. On allait voir ce qu’on allait voir ! Ce mystère ne leur résisterait pas longtemps.

À leur tête se trouvait Goulvestre Le Sénéchal, qui déduisait de son nom de famille une ascendance prestigieuse qu’aucun arbre généalogique ne venait corroborer. C’était le Receveur des Postes. Il y avait aussi Mademoiselle de Carignan, Coralie de son prénom, vieille fille montée en graine, qui consacrait sa vie à nourrir les chats errants, Gonzague Porthus, pharmacien qui se prétendait encore apothicaire, c’est vous dire sa modernité, et Pierre Godefroy, un restaurateur de la place, aux étonnantes moustaches en guidon de vélo !

Cette équipe élut quartier général dans l’arrière-salle de l’auberge et tint séance tenante son premier conseil : il fut décidé d’ouvrir l’œil, en organisant, chaque nuit, des rondes en binôme toutes les deux heures. On vit donc, ce premier soir, à minuit, deux heures, quatre heures et six heures du matin, Godefroy flanqué de Coralie, couple des plus improbables vu que l’une était aussi grande que l’autre était rond, et le Receveur, suivi à petite distance de Porthus, qui traînait la jambe, parcourir le village, gourdin en main et sifflet en bouche, tels des « serenos »(1) castillans expatriés en terre limousine, prêts à fondre sur tout danger qui ne fût pas trop grand.

C’était une nuit claire, étoilée ; l’air, rafraîchi, exhalait les dernières senteurs de l’été : une belle soirée ! Hélas, mis à part quelques chats sur lesquels Coralie s’apitoya, un ivrogne face contre terre qu’ils adossèrent plus confortablement contre un mur et ce noctambule invétéré de Lorféon et sa saucisse sur pattes de basset artésien, aucune des deux équipes ne vit rien d’anormal. Nib. Chou blanc sur toute la ligne.

Le jour se leva sur une population encore plus remplie de perplexité et d’inquiétude que la veille.

(1) Du temps du Franquisme, en Espagne, les "serenos", instruments du régime, étaient des veilleurs de nuit, qui sécurisaient les rues la nuit et ouvraient les portes des immeubles de leur quartier, dont ils possédaient les clés, aux noctambules attardés.

(à suivre)

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