Chapitre 2

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On pourrait croire que dans nos villages de province la vie s’écoule plus paisiblement qu’ailleurs. Eh bien, l’on se trompe ! Les passions humaines y sont les mêmes qu’en ville et conduisent à des débordements identiques. Seules les tentations, jadis, y étaient moins nombreuses. Mais, aujourd’hui, à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, sur ce plan, bourgades, cités, métropoles et capitales se valent, pour peu que la 3G, l’ADSL et le haut débit y parviennent.

À la fin du siècle dernier, notre région a été marquée par une ténébreuse affaire, un double meurtre resté inexpliqué, à 20 kilomètres à peine de chez nous, à Cressensac. Un couple anglo-batave avait été retrouvé étranglé dans une forêt éloignée de son domicile, bâillonné, pieds et poings liés. Vingt ans après, la presse en parlait encore. Pourquoi ce double crime a-t-il enflammé les imaginations à ce point ? C’est sans doute que la femme était jeune et belle et son mari encombré d’un passé sombre et mystérieux, fait d’un riche premier mariage, d’émigrations successives et d’escroqueries d’envergure.

Tout ceci pour dire qu’en matière criminelle, il n’est pas bon bec que de Paris, tant s’en faut.

Notre village devait jusqu’ici la seconde partie de son nom à la couleur du grès dont sont bâties nos maisons : rouge. Et voilà que c’est au sang répandu qu’on voudrait l’associer à présent !

Depuis 35 ans, grâce à notre grand homme Charles Ceyrac, nous sommes le premier des « Plus Beaux Villages de France » et le site le plus visité du Limousin. Il faut dire qu’avec sa dizaine de châteaux et manoirs, ses multiples maisons anciennes, ses divers monuments publics et son reste d’enceinte, plus de la moitié du village est classée ou inscrite aux Monuments Historiques. Et que voir le soleil levant ou couchant enflammer nos rues et nos façades est un spectacle qui ne s’oublie pas de sitôt !

À ce riche passé correspond une vieille noblesse, souvent désargentée hélas, qui peine à entretenir son patrimoine et s’est vue contrainte à l’aliéner au profit d’étrangers fortunés en mal de légitimité historique.

C’est ainsi qu’au cœur du village le manoir de la Barrière avait été vendu, dix ans en arrière, à des Hollandais comme il y en a beaucoup par ici, qui l’avaient restauré de leur mieux et y vivaient dix mois sur douze, fuyant l’arrivée des touristes en juillet et août au profit de villégiatures plus calmes.

Joss Vanderlaeren avait fait fortune dans les logiciels pour collectivités, au point de détenir, avant sa retraite, un des dix premiers groupes mondiaux en ce domaine. Veuf sans enfant, sa jeune seconde épouse, Annelore, longue liane, archétype de la blondeur scandinave, était une ex-miss Pays-Bas. Et, après quelques années de vacances passées entre Limousin et Périgord, séduits par le village, le climat, la cuisine et la proximité de nombreux compatriotes, le couple avait acquis, pour quelques centaines de milliers d’euros, le manoir de la Barrière, laissé en piteux état par des héritiers peu intéressés par ce gouffre financier.

Affable et loquace, parlant un français châtié avec un soupçon d’accent, l’homme avait intégré au fil des ans les différents cercles sociaux du secteur, le club de golf de Puy d’Arnac, le Lion’s Club d’Ussel, la Société Scientifique Historique et Archéologique de Corrèze, et bien entendu, l’Association des Amis de Collonges, dont il était devenu l’un des principaux mécènes... Son épouse, plus effacée, gardait ses distances et avait des relations plus réduites, se complaisant dans la culture de ses roses, des parties de bridge et l’éducation de ses deux enfants, garçon et fille, de dix et sept ans.

Un couple apparemment sans histoires, donc. Mais toute vie cache des mystères, petits ou grands.

C’est ainsi qu’il y a deux ans, alors que débutait ce que nous appelons ici « la saison calme », celle où les commerçants s’octroient des congés bien mérités, où les artisans commencent à reconstituer leurs stocks et où les simples résidents comme nous se réapproprient leur village, l’eau de la fontaine prit dans la nuit une couleur nouvelle, incongrue, inquiétante : rouge sang !

(à suivre)

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