Chapitre 45: la vision de l’autre.

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  Natalia se réveilla ligotée, bâillonnée. Un homme la maintenait sur le cheval qui les transportait, tel un vulgaire sac. La peur l’envahit. Un enlèvement, comme Auriel l’avait vécu. Tous ses muscles se tendirent en même temps. Elle se débattit de toutes ses forces. Son ravisseur le remarqua et finit quelques signes rapides. La princesse suivit ses gestes et déglutit. Il n’était pas seul. Trois autres bandits l’accompagnaient. L'un d’eux sembla répondre au premier. La panique prit contrôle des émotions de la jeune femme. La magie parcourut son corps. Il fallait qu’elle se libérât. Le flux d’énergie continua sa montée en puissance. Elle était prête à tout relâcher, à les geler tous, mais brutalement, tout s’envola. La surprise remplaça la terreur. Natalia regarda frénétiquement autour d’elle, cherchant une explication à ce qui venait de se produire. 

 Elle paniqua et tenta de se libérer mais la poigne de son kidnappeur était trop fort pour elle. La princesse tenta d’utiliser sa magie. Elle se concentra, tentant de retrouver un semblant de calme, mais impossible. Auriel apparut dans son esprit. Lui aussi avait été enlevé il y a plus plusieurs années. Comment avait-il fait pour le supporter. Elle était effrayée, n’arrivait pas à réfléchir ou se concentrer. La pensée de son chevalier la réconforta faiblement. Elle essaya de se remémorer la soirée : le défilé des prétendants, la fête, le retour à sa chambre. Elle avait bu un verre puis c’était senti malade. Et après, plus rien... le trou noir. Depuis combien de temps chevauchaient-ils ? Est-ce que Auriel allait bien ? Elle espérait qu’il n’ait pas été blessé en tentant de la secourir. Peut-être était-il en train de les suivre.

 Soudainement les chevaux s’arrêtèrent. Tournant la tête, elle vit qu’ils se trouvaient maintenant aux abords d’une forêt. Elle put aussi observer ses ravisseurs : quatre hommes portant de longues capes à capuche. L'un d’eux la baissa, révélant son visage et s’approcha d’elle. Il avait la quarantaine, les cheveux bruns court et une barbe assez longue.

  • Tiens ? Notre invitée est réveillée ? Constata-t-il.
  • Oui, chef, répondit celui qui transportait la jeune femme. Il y peu. Elle a tenté de se libérer mais sans succès. Qui plus est, la drogue fait toujours effet. Elle ne peut pas utiliser sa magie. 
  • En effet, et c’est mieux comme ça. Son pouvoir de la glace pourrait se révéler très gênant. Portes-là. Nous allons rejoindre le campement.
  • Bien, patron.

 Il la saisit et la mit sur son épaule à la manière d’un vulgaire sac. Natalia sentit soudain une vive douleur lui parcourir le ventre. Surement les contre-coup de son voyage peu confortable sur le cheval. Elle ne put que gémir à travers le bâillon. 

 Après une demi-journée de marche, ils firent une pause afin de se restaurer. La princesse fut adossée à un arbre et les regarda manger. Son ventre criait famine, mais une fierté qu’elle ne soupçonnait pas l’empêchait de se plaindre, même si elle ne pouvait pas parler. L'un de ses ravisseurs, le chef semblait-il, s’approcha d’elle et lui dit d’une voix douce :

  • Voici une gourde d’eau, tout ce qui a de plus naturel. Je vais te donner a boire. Ne t’en fais pas ce n’est pas empoisonné pour te tuer. Ce n’est pas ta mort que nous voulons. Tu es bien trop précieuse vivante.

 Il retira le tissu qui lui bloquait les lèvres et approcha son outre. Elle tourna la tête pour esquiver. Elle ne voulait rien boire venant de ces bandits. Après quelques minutes à jouer à cela, le brigand s’énerva. Il saisit sa tête au niveau de la mâchoire. S'il descendait un peu, il pouvait l’étrangler. Les larmes perlèrent dans les yeux de Natalia. La peur reprenait le dessus. Son corps tremblait. Son agresseur serra sa prise. Ses doigts appuyèrent sur ses joues, forçant l’ouverture de sa bouche. Il enfonça lui brutalement le goulot de la gourde, arrachant à Natalia un haut de cœur. Elle fut contrainte de boire. Lorsqu'il la retira, elle cracha ce qu’elle n’avait pas avaler et toussa. Son esprit se troubla à nouveau. Sa vision se remplit de brume.

  • Mais... que... Barbouilla-t-elle.
  • J'ai dit que ce n’était pas empoissonné pour te tuer, juste pour te faire dormir et bloquer tes pouvoirs. Dors. 

 Lorsqu’elle réouvrit les yeux, elle se trouvait dans ce qui semblait-être une tente, attaché à l’un des poteaux de celle-ci. Elle regarda autour d’elle. La lumière orangée venant face à elle et l’obscurité lui firent comprendre qu’il faisait maintenant nuit. Elle tenta de se libérer mais les liens qui la retenait étaient bien serrer. Elle abandonna vite l’idée et réfléchit à une manière de s’enfuir. Elle entendit un petit ricanement proche d’elle. Elle regarda frénétiquement autour d’elle pour en trouver la source.

  • Je suis là, juste devant toi.

 Elle se figea et tourna la tête doucement. Un vieil homme se tenait juste là, son visage à un pied du sien. Elle poussa un cri de surprise. L'intru avait de longs cheveux blancs ainsi qu’une barbe de même couleur. Il portait une étrange robe et un chapeau multicolore.

  • Veuillez m’excusez si je vous ai fait peur, princesse.
  • Mais... qui êtes-vous ? Vous êtes avec eux ?
  • Qui je suis ? Vaste question, ma chère. Difficile d’y répondre avec précision. Et non, je ne suis pas avec vos kidnappeurs. Je profite juste de l’occasion.
  • Profiter de... à l’aide ! À l’aide !
  • Ne vous fatiguez pas, très chère, rigola-t-il en agitant l’index de gauche à droite. J'ai créé une barrière magique qui nous isole de tout.
  • Ne... ne me faites pas de mal... pitié...
  • Hélas... il est fort probable que je vous en fasse. J'espère que vous me croirez si je vous dis que ce n’est pas mon but premier.
  • Quel est-il alors ?
  • Vaste question encore. Vous irez loin, très chère, très loin. Vous posez les bonnes questions. Mais je ne puis vous le révéler en ce jour. 

 Il posa sa main sur le front de Natalia.

  • Veuillez m'excusez, princesse.

 Le corps de la jeune femme se crispa. Une vive douleur lui saisit la tête. Elle serra les dents pour ne pas crier. Soudainement, elle crut qu’un feu liquide se rependait dans tout son être. Ses muscles, ses os... tout la brûlait. C'était insupportable. Elle ne put se retenir. Elle hurla, de toute son âme. Elle avait l’impression que sa peau se fissurait, laissant sa chair à vif bruler à l’air libre, que son crâne allait exploser. Elle supplia son bourreau d’arrêter :

  • Pitié ! Faites que cela s’arrête ! Je vous en prie !!
  • Ne vous en faites pas, très chère. C'est bientôt fini. 

 Elle n’en pouvait plus. La douleur la vidait de toute ses forces. Elle perdit la volonté de cris, subissant juste les assauts de ce feu liquide parcourant ses veines.

 Aussi vite que c’était apparu, cette torture s’en alla. Elle ferma les yeux, fatigué. Une vision lui parvient avant de s’évanouir : celle d’un feu, en bord de mer. Les étoiles brillaient de concert avec la pleine lune. 

  • Médusa, murmura-t-elle.

  Le soleil se couchait tandis que la femme serpent observait la mer, assise sur un rocher au milieu de la plage. Elle aimait se détendre tranquillement en observant les vagues aller et venir. L'air était frais, la brise douce. L'un des rare instant de paix qu’elle avait vécu depuis sa nouvelle vie. 

 Il lui fallait rentrer sur Pandora à présent. Drace devait s’inquiéter. Elle était partie bien plus longtemps que prévu. La traversée était longue et éprouvante. Il fallait bien se reposer et se préparer. 

 Une douce mélodie se joint au chant des vagues et du vent. La démone se surprit à suivre l’air de la tête. Ses serpents eux-aussi dansaient au rythme des notes. Intriguée, elle se leva et chercha la source de ce son. Elle perçut de la lumière, un peu plus loin sur la plage, et décida d’aller voir.

 Médusa se trouvait proche d’un petit campement humain. Trois hommes étaient assis sur des pierres, autour d’un feu, au bord de la plage. Ils portaient tous des tenues très jolies, très colorées, principalement de vert, rouge. L'un d’eux était couvert d’un grand chapeau décoré d’une longue plume blanche. C'était eux qui produisaient l’agréable mélodie qu’elle avait entendu. Chacun jouait avec un objet que la dardéone ne connaissait pas. Le premier, un homme fort au cheveux court et à la barde brune tapait sur gros pot fermé par une peau de bête. Le second, blond sans pilosité, avait un morceau de bois posé sur l’épaule qu’il maintenait avec sa main. Cette chose avait plusieurs fils sur le dessus, et de son autre main, il faisait aller et venir un bâton dont les extrémités étaient elles-aussi relié par de fines cordes. C'était lui qui portait le chapeau. Le dernier, quant à lui, soufflait dans un tube en agitant les doigts dessus. Celui-ci lui tournait le dos.

 La femme serpent s’approcha encore. Ce qu’elle écoutait était si agréable qu’elle voulait en profiter au maximum. Elle entrait dans le halo de lumière du feu. L'un des campeurs, celui qui tapait sur le pot, la remarqua :

  • Bonsoir, mademoiselle. Que faites-vo... un démon !! S'écria-t-il.

 Les deux autres arrêtèrent de jouer et se levèrent pour faire face à la menace. Aucun ne semblait armé. Ils reculaient lentement, sauf celui qui l’avait lu le premier.

  • Attendez, tenta d’expliquer Médusa. Je ne vous veux aucun mal.
  • Comme si on allait croire un monstre... que nous veux-tu alors ? Cracha celui avec le tube.

 Maintenant qu’il lui faisait face, elle remarqua qu’il était lui aussi blond, et ressemblait beaucoup à son collègue à chapeau. Peut-être étaient-ils de la même famille. Il semblait plus vieux que l’autre.

  • Euh... comment dire ? Je...

 Elle n’arrivait pas à trouver les mots juste pour ne pas les faire fuir. Elle souhaitait juste continuer de les écouter encore un peu. Formuler une demande comme cela était plus dur qu’elle ne l’aurait cru.

  • J'ai entendu ce que vous faisiez, et...
  • Et quoi ? Tu t’es dite : Oh, des humains à dévorer. À table ! Faisons cesser cette musique ! 
  • Non, non, reprit-elle en agitant les bras. Au contraire.
  • Comment ça ? Intervint l’homme aux morceaux de bois.
  • J’étais sur la plage un peu plus loin et ai été interpelée par cette mélodie. Je n’ai pas pu m’empêcher de m’approcher. C'était très beau. Pourrais-je... rester un peu avec vous et... vous écouter ? 

 Les trois musiciens se regardèrent, bouche-bée. Eux non-plus ne savaient pas quoi dire dans cette situation. Si on leur avait dit un jour qu’un démon leur demanderais cela. 

  • Nous promets-tu que tu ne nous feras aucun mal ? L'interrogea le barbu.
  • Tu es fou, l’interrompit le blondinet au tube.
  • Tais-toi. Elle ne semble pas agressive. Je n’ai pas envie que ça change. Puis pour moi c’est ça aussi la musique : rapprocher et partager avec des gens de tous les horizons, passer de bon moment autour d’un feu comme cela. C'est ça la vraie magie ! J'ai très envie de savoir si les démons aiment vraiment la musique. Ça vous convient ?
  • J'ai le choix ?
  • Ça me va, répondit le dernier.
  • Je vous le promets, jura Médusa en s’inclinant légèrement.
  • Viens t’assoir, la pria le jeune au chapeau en indiquant un rocher non loin de lui.

 Elle s’exécuta. Tous s’assirent et la démone rompit le silence un peu gêné en se présentant.

  • Enchanté de te rencontrer, enchaina celui qui l’avait invité à prendre place. Moi c’est Lionel. Là, c’est mon grand frère, Gwenaël. 
  • Hmmm.
  • Et le chef de notre petit groupe, c’est Guillaume.
  • Enchanté.
  • Et donc... tu aimes notre musique.
  • Oui. Beaucoup. C'est elle qui m’a attiré ici. Sinon je serais repartie sur Pandora. D'ailleurs, quels sont ces objets ?
  • Ce que j’utilise moi, s’appelle un violon. Mon frère joue de flûte et Guillaume du tambour. On lui fait une petite démonstration instrument par instrument ? Lança-t-il à l’intention de ses compères.

 Ils acquiescèrent. Chacun lui joue un petit morceau. Elle les apprécia plus mais montra une préférence pour le violon. Ses serpents semblaient s'amuser à suivre le rythme des notes et elle aussi.

  • Voila. Qu'en as-tu pensé ? 
  • J'aime beaucoup. Merci à vous.
  • Je peux te poser une question ? 
  • Moi, je peux te faire une demande ? L'interrompit Gwenaël. Couvre-toi un peu. Mon frère semble troublé par ton... apparence. J'ai entendu deux trois fausses notes et vu quelques regards.
  • Frérot !!

 Elle s’examina et comprit vite de quoi il parlait. Elle soupira et répondit.

  • Je suis un démon. Je n’ai pas de vêtement ou autre, donc rien dissimuler mes parties génitales.

Les trois hommes se raclèrent la gorge. Elle les regarda, perplexe.

  • Bon, reprit Lionel. Si on lui faisait une répétition tous les trois. 

 Sans se concerter, ils commencèrent à jouer le même air qui l’avait attiré. Elle ferma les yeux et savoura chaque son, chaque note. Sans s’en rendre compte, elle s’était levée et dansait près d’eux. La mélodie respirait et transpirait la joie de vivre, le bonheur, le plaisir. Ces musiciens aimaient faire profiter de leur talent, et ça se sentait

  • On dirait presque une humaine comme ça. C'est troublant, murmura guillaume à l’intention de Lionel.

 Médusa n’y préta pas attention, trop absorbée par la musique. Les serpents de sa chevelure, eux aussi, ondulait avec leur maitresse. Elle oublia l’espace de cette symphonie le monde, tout. Plus rien n’existait : son frère, son amant, son ami, son ancienne famille... rien. Seul comptait l’instant présent, sous la direction de cette mélodie.

 Soudain une violente douleur la saisit à la tête. La dardéone se figea, puis ça se répandit en elle comme un feu liquide, comme si son sang entrait en ébullition. Elle plaqua ses mains sur ses yeux et tomba au sol en hurlant. Ses cheveux vivants sifflaient aussi fort qu’ils pouvaient.

 Le violoniste voulut l’aider mais ses camarades l’en empêchèrent et reculèrent de plusieurs pas, ne sachant pas ce qui se passait. 

 La démone roulait sur le sol sans savoir elle non plus ce qui arrivait, ce supplice qui la prenait brutalement. Par instinct, réaction, elle se transforma. Ses jambes fusionnèrent et formèrent une longue queue de serpent, dépassant les trente pieds. Ses bras s’allongèrent. Ses mains s’agrandirent. Ses doigts se munirent d’épaisses griffes de presque un pied de long. Heureusement que ses hôtes avaient bougé car dans la confusion, elle frappa le rocher sur lequel était assis Lionel juste avant, l’envoyant a plusieurs pieds de là. Dans sa frénésie, elle se redressa, face à la mer. 

 Tout s’arrêta : la douleur, le temps, le son, absolument tout. Médusa dégagea ses yeux et regarda la mer, le ciel face à elle, mais c’est tout autre chose qu’elle vit : un vieil homme barbu portant une robe arc-en-ciel, enlevant sa main du front de la femme serpent. Non ce n’était pas son front. Elle se retourna vers la forêt.

  • Natalia ! Cria-t-elle avant de s’élancer.

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