Chapitre 34 : amie ?

8 minutes de lecture


    Médusa se réveilla en sursaut. La pleine éclairait la clairière où elle s’était temporairement installée avec Drace et Mooniras. La respiration haletante, elle observa ses compagnons, toujours endormis. Elle se frotta les yeux et le front pour se réveiller. Sa chevelure s’activa et se pencha vers elle, comme pour la réconforter. Elle caressa certains serpents du bout des griffes et se leva pour s’éloigner un peu. 


  De nombreuses questions, nouvelles, occupaient son esprit : Qui était cette fillette ? Cela faisait déjà plusieurs fois qu’elle sentait sa présence, mais aujourd’hui, dans l’un de ses plus violents cauchemars depuis la mort de ses parents, elle l’avait vue. Pourquoi ? De plus, elle avait brisé son tourment ce soir. Elle voulait savoir comment. Elle ressentait un calme qu’elle avait presque oublié. Un état sans colère, presque sans peine. Ses émotions étaient toujours là, mais pour la première fois, elles ne la dominaient pas. Mais ça ne dura pas. Après une heure à observer les étoiles, perchée dans un arbre, ses sentiments revinrent à la charge : sa colère contre les hommes, contre elle-même, sa tristesse, la voix dans sa tête. Un nouveau besoin naquit en elle : revoir cette fille. Elle voulait ressentir encore cet état de plénitude, même partiel.


  Médusa passa les deux semaines suivantes à espérer qu’elle se réimmisce dans son esprit, mais rien. Elle ne sentait plus sa présence. Et ses nuits étaient de nouveau tourmentées par ses cauchemars, les mêmes scènes en boucle : la mort de ses parents, l’attaque dans l’oasis, le village. De temps en temps, elle voyait et entendait son frère la juger, l’accuser :

  • C’est de ta faute ! Pourquoi tu les as tués ?! Pourquoi tu nous as trahis ?! Pourquoi tu m’as abandonné ?! 

  Souvent, elle était sauvée par Drace qui la réveillait. Ses cauchemars la faisaient se remuer dans tous les sens. Le démon avait lui aussi le pouvoir de la calmer. Sa compagnie l’apaisait. En journée, elle s’entrainait avec lui. Elle voulait devenir plus forte, pour ne plus être dominée par ses émotions, ou par personne d’autre.


  Deux semaines passèrent sans qu’elle n’eût d’apparition de cette fille dans ses cauchemars. Regardant la lune, perchée encore dans un arbre, Médusa réfléchit. Si elle ne revenait pas, peut-être devait aller la chercher elle-même. Elle passa plusieurs nuits à se concentrer, à se remémorer la sensation qu’elle avait lorsqu’elle ressentait la présence de la fillette. Mais rien ne venait. Elle s’endormit, mais cette fois, ses cauchemars ne la tourmentèrent pas. La démone perçut la présence de la fillette. Était-elle revenue ? Non, c’était différent. 


  Elle apparut dans la capitale. Perturbée, Médusa tourna sur elle-même observer les lieux. C'était bel et bien la ville où elle avait grandi. Elle grimpa sur le toit d’une boutique et tomba face à face avec la désolation. La cité était partiellement détruite. Des flammes couvraient la moitié extérieure des quartiers, près des murailles. Les cris des habitants résonnaient à travers la fumée. 


  Un puissant hurlement retentit, près du centre-ville, suivit une violente onde de choc. La démone descendit et s’y précipita. Si ses cauchemars lui avaient apprise au moins une chose, c’est qu’ils se déchainaient toujours près du rêveur. 


  Elle arriva au bord de la place, mais ne vit personne, pourtant les impacts se rapprochaient. Quelque chose d’énorme poursuivait et détruisait les bâtiments. Soudain elle aperçut la fillette, totalement apeurée, pénétrer l’endroit. Dans sa fuite, elle trébucha et tomba dans des gravats. Elle se retourna et rampa à reculons, le visage tordu par la peur. Médusa leva les yeux et s’immobilisa. La créature qui la poursuivait n’était autre qu’elle-même, une version gigantesque d’elle. La chose balaya les deux dernières maisons qui la bloquaient et avança vers sa cible. La démone resta interdite un instant. C'était elle qui avait provoqué ça ? Elle était tiraillée entre sa haine des hommes, et son envie de retrouver un semblant de calme. Pas de temps à perdre. 


  Natasha vit les immenses griffes arriver vers elle. Elle ferma les yeux, attendant de se réveiller, mais rien. Elle ouvrit doucement une paupière et se figea, ne comprenant pas ce qui se passait. D’innombrables ronces ligotaient la main géante du monstre, l’empêchant de bouger. Elle tourna la tête et vit une autre médusa, plus petite, tendant les bras vers son agresseur. Elle les écarta brutalement et les lianes épineuses glissèrent sur leur cible et la découpèrent. Les morceaux tombèrent devant la princesse et disparurent dans un étrange nuage noir, tandis que leur ancien propriétaire hurlait de douleur.


  La créature reporta son attention vers son nouvel adversaire. Sa main restante faucha Médusa à une vitesse ahurissante. Elle fut projetée dans une maison sur le bord de la place. À peine fût-elle relevée que le poing de la gorgone géante s’abattit sur elle. L’impact propulsa la princesse contre un bâtiment proche. 


  Médusa commençait à plier sous la force de son opposant. Ses bras croisés au-dessus d’elle lui avait permis de parer si l’on puit dire, le coup. Mais elle ne tiendrait pas longtemps. Elle jeta un œil sur la fillette, immobile. Il ne fallait pas attendre d’aide de sa part. La démone perdit patience. Ses yeux devinrent jaunes. Ses pupilles se teintèrent de noir. Elle cria de toute son âme :

  • Ne me fais pas rire ! Drace frappe bien plus fort toi ! Pâle copie de moi-même !!

  Cet élan de colère la gava en énergie. Elle brisa sa garde et d’un mouvement d’une rapidité incroyable, frappa le poing du colosse. Sa main fut projetée au-dessus de sa tête, le laissant vulnérable aux assauts. La dardéone rassembla tout sa magie, oubliant que ce n’était qu’un rêve. Elle voulait juste détruire son adversaire. Le sol trembla. Les bâtiments en ruines aux alentours s’effondrèrent. Une forêt de ronces, de toutes tailles, encerclèrent la place, surgissant de la terre tel des geysers. L’immense gorgone tenta de répliquer mais n’en eut pas l’occasion. Les lianes d’épines réagirent plus vite qu’elle et la transpercèrent de part en part. Elle beugla de douleur. Les plantes continuèrent leur œuvre et recouvrir totalement leur proie. D'étranges bruits de torsion se firent entendre, de chair déchirée. Le monstre fut écartelé et disparut dans un nuage de fumée noir.


  Médusa s’avança au centre de la place et observa la fillette, toujours blottie contre un bâtiment en ruine. La dardéone s’avança encore mais s’aperçut que plus elle gagnait du terrain, plus l’expression de panique de la gamine grandissait. Elle s’arrêta à une dizaine de pieds d’elle et s’écroula, épuisée. “Ce n’est qu’un rêve et pourtant je n’ai plus d’énergie.” s’étonna-t-elle. Allongée face contre terre, elle observa Natasha grâce aux serpents de sa chevelure. Elle avait appris récemment qu’en se concentrant, elle pouvait voir à travers leurs yeux. Mais une question lui traversa l’esprit : comment sortir de là ?


  Une petite voix l’interpella :

  • Tu... tu es la vraie ?
  • Si par vrai tu entends : pas un fruit de ton imagination, oui je suis la vraie...
  • Comment ?
  • Comme tu l’as fait avec moi. 
  • Pourquoi tu m’as aidée ?
  • Je ne sais pas.

  Médusa se redressa difficilement. Sa queue s’enroula autour d’elle et elle s’affala comme dans un fauteuil. 

  • Toi qui t’es déjà immiscée dans mon rêve. Comment en es-tu sortie ? 
  • Je... je ne sais. Je n’ai jamais voulu y entrer.

  Elle posa la tête dans les genoux et les serra dans ses bras.

  • Je peux te poser une question ?
  • Euh... 
  • Même si je me doute de la réponse. Pourquoi suis-je le centre de tes cauchemars ?

  Natasha n’osa pas répondre. Mais après quelques minutes, elle reprit :

  • Depuis l'arène, j'avais peur de toi. Pour une raison que j’ignore, l’espace d’un instant, j’ai pu voir à travers tes yeux, ressentir tes émotions. Tellement de haine et de tristesse, que j’en ai été malade. Après, j’ai perçu encore tes sentiments. En écoutant Auriel et mon père, ça correspondait à l’attaque que tu as fait au village côtier et à l’oasis. 
  • Ce petit bourg, rigola-t-elle. Peut-être la seule chose que je ne regrette pas totalement depuis que tout ça a commencé.
  • Tuer autant de personne ne te donne aucun regret ?! S'offusqua la princesse.
  • Eux non ! Cria-t-elle. Ça m'avait même fait du bien, pour tout avouer. 
  • Mais pourquoi ?
  • Parce qu’ils ont tué la seule personne qui m’avait aidée !

  Une larme coula sur la joue de la démone. La princesse sentit la tristesse et le chagrin, toujours accompagnée de colère.

  • Quand j’ai traversé la mer, sans bras, un homme m’a recueilli sur le rivage. Il m’a soignée, nourrie. Et ils l’ont assassiné presque sous mes yeux. Ce culte... ce culte... je les exterminerai tous.
  • Je... je peux te poser une question moi aussi ?
  • Vas-y.
  • Pourquoi tu as tué les parents d’Auriel ? Tu sembles le regretter plus que tout.
  • Si seulement j’avais eu ne serait-ce que le choix.
  • Comment ça ?
  • Crois-le ou non. Mais je n’ai de souvenir à partir du moment où j’ai senti le sang de ma mère dans la bouche.

  Elle porta ses doigts à sa bouche et tira sa langue fourchue comme pour se débarrasser du gout.

  • Je le sens encore dans ma bouche. Et j’entends les os de mon père se briser.

Le corps de la démone commença à se dématérialiser. Un léger sourire s’afficha sur son visage.

  • Au revoir... comment tu t’appelles ?
  • Natasha.

  

  Et elle disparut. La princesse se réveilla, calme et sereine. Ses épaules ne lui faisaient plus mal. Elle s’assit sur le bord de son lit regardant ses chevilles marquées de deux cicatrices rondes. Elle se leva et se rendit dans la salle de bain de sa chambre. Elle fixa le miroir et dévêtit ses épaules, dévoilant les larges stigmates en forme de cercle. Elle se pencha et regarda ses chevilles, elles-aussi marquées d’une plaie en forme d’impact. 

Quelqu’un entra. Natasha se rhabilla et sortit de la pièce. Sa mère se tenait près du lit. Quand elle aperçut sa fille, elle se précipita vers elle et l’enlaça.

  • Ma chérie, tu vas bien ?!
  • Oui mère. Je vais mieux.

  Cela faisait deux semaines qu’elle était recroquevillée dans son lit, terrorisée, mangeant à peine. 

  • Mais d’où viennent ces marques, Natasha ?

  Elle s’apprêtait à lui dire, mais s’arrêta. Quelque chose en elle lui demandait de ne rien dire. Elle pensa même que ce n’était pas une bonne idée de dire qu’elle était liée d’une manière ou d’une autre à un démon. Son père tenterait surement de l’utiliser pour les chasser. Après ce rêve, elle avait l’impression d’être devenue amie avec Médusa.

  • Est-ce en rapport avec ce que tu m’avais racontée il y a quelques semaines ? Reprit la reine.

  Elle avait deviné, mais n’eut aucune réponse. La princesse cacha son visage dans le cou de sa génitrice. Celle-ci serra un peu plus son étreinte, pour tenter de la rassurer, tout en lui caressant doucement l’arrière de la tête. Après de longue minute dans le silence, la souveraine annonça le but de sa visite :

  • Je venais t’annoncer qu’Auriel quitte la capitale aujourd’hui.
  • Quoi ? Pourquoi ?
  • Il a fini sa formation, du moins celle-ci. Le commandant Stringer la sélectionné pour qu’il fasse parti de son unité.
  • Depuis quand vous savez qu’il doit partir ?
  • Quelques jours. J'ai hésité mais j’espérais que cette nouvelle...

  Natasha se libéra des bras de sa mère et courut vers la porte, mais la reine l'interpella :

  • Attends ! Tu es encore en chemise de nuit.

Annotations

Vous aimez lire Blacksephi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0