Chapitre 1: Deux naissances

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  Le soleil était au zénith. La lumière traversait le feuillage et créait une douce atmosphère apaisante. L’air était chargé d’odeurs printanières, de fleurs ; la canopée contenant la fraîcheur de l'aurore.

 Thorn était forgeron à Distrie, la capitale. Un homme dans la fleur de l'âge, assez grand et bien bâti, des cheveux roux, une petite barbe de la même couleur, les yeux bleus. Il portait une tunique de tissu et de cuir rouge et marron. Il était bien réputé au sein de la ville pour la qualité de son travail. Afin de répondre à la demande toujours croissante, il partait parfois dans la forêt non loin de la ville. Il y avait de cela un an ou deux, il avait trouvé une petite grotte contenant beaucoup de minerais, notamment du fer, mais surtout de la nérolite, une pierre noire aux vertus magiques extraordinaires.

 Il arriva près de la caverne. Elle se situait au pied d’une petite colline, en partie dissimulée par des buissons de ronces et de plantes grimpantes. Thorn arrêta sa charrette et descendit. Il prit ses outils : pelle, pioche, sac, lampe... et donna une pomme à ses deux chevaux, un alezan et un palomino. Allumant sa lampe à huile, il pénétra dans la petite caverne. L’entrée n’était pas très grande, il pouvait à peine s'y tenir debout. Lorsqu’il ressortait avec des sacs remplis de minerai, l'étroitesse de l’ouverture le gênait.

 Il avait pris soin de consolider la grotte en posant des poutres afin de soutenir le plafond. Le forgeron commença à miner. Cela dura un moment, il avait trouvé un gros filon de nérolite et il s’en donna à cœur joie. Après quelques heures, Thorn avait réussi à extraire une demi-douzaine de sacs. Alors qu’il finissait son travail, un reflet attira son attention. Il approcha sa lampe et observa l’objet. C’était un œuf, un énorme œuf noir avec des formes serpentines vert foncé dessinées à sa surface. Cette coquille semblait être presque aussi grosse que le torse de l'homme.

 Le forgeron fut surpris, indécis, mais il comprit rapidement de quoi il s'agissait. Un œuf de démon. Il commença à paniquer, son premier réflexe fut d’essayer de le briser. Il frappa de toutes ses forces. Sous l’impact, sa pioche vibra et le son résonna dans toute la cavité rocheuse. La douleur fut insupportable l'espace d'un instant. Il eut l'impression que ses os vibraient si fort qu'ils allaient se déboiter. Il observa avec stupéfaction ses bras trembler pendant quelques instants. « Quelle solidité... c’est incroyable. » pensa-t-il. Il réfléchit : « Que faire de cet œuf ? » Thorn hésita de longues minutes entre s’enfuir et le laisser, ou l’emmener. Il choisit de l'emporter et vida son dernier sac de Nerolite avant d'y mettre l’œuf. Il combla celui-ci avec un peu de minerai pour le cacher. C’était lourd, plus que la simple pierre magique. Thorn eut beaucoup de difficulté à ramener le chargement à la surface, il termina de remplir sa charrette et repartit en direction de Distrie.

 Au crépuscule, le forgeron sortait à peine de la forêt. Bien qu’un peu éloignée, la capitale était visible par-delà les champs : une grande ville en arc de cercle au pied d’une montagne, protégée par une imposante muraille blanche. De petits villages entretenant les champs alentours siégeaient à ses pieds. De loin, on pouvait même voir le château majestueux. La demi-lune que formait la cité était divisée en quartier par des canaux prenant leur origine depuis le fleuve qui la traversait.

 Thorn arriva enfin à la capitale. Une imposante herse permettait de verrouiller les grandes portes en bois massif renforcées de métal. L’artisan rentra juste à temps. Les soldats en poste le prévinrent que la prochaine fois, ils n’attendraient pas aussi longtemps pour fermer le portail. Il remercia les gardes et poursuivit. Heureusement qu’il les avait informés le matin de son potentiel retard. Il arriva chez lui, se demandant s'il n'aurait pas dû remettre sa trouvaille à la garde.

 Sa forge était attenante à sa maison, toutes deux majoritairement en pierre pour limiter les risques d’incendies. Il entra dans son atelier par une double porte en bois sur le côté du bâtiment. A quelques pieds en face de l'entrée se trouvait un petit entrepôt où il stockait son matériel, ses composants et certains produits finis. Son atelier était circulaire, un grand fourneau permettait de fondre les minerais, occupant facilement le quart de la pièce. Au centre se trouvait une grosse table en pierre où attendaient un bon nombre d’outils, de morceaux de métal et pièces non finies. Sur le mur opposé au fourneau, quelques fours et enclumes pour travailler, ainsi que des étagères contenant encore des outils et d’autres bricoles.

 Thorn rangea les sacs dans un coin de la pièce, ce minerai était vraiment trop précieux pour être entreposé n’importe où. Il sortit l’œuf du sac et le posa entre deux plans à charbon, caché dans l'ombre. Après avoir fini de ranger le reste de son matériel, il décida de mettre de l'ordre sur sa table, replaça les instruments dans leurs armoires, posa les équipements terminés sur des tréteaux de bois prévu à cet effet. Il rentra chez lui par une porte communicante. C’était une belle maison pour un artisan. Au rez-de-chaussée, on trouvait la cuisine, la pièce à vivre ; à l’étage, des chambres et une petite salle de jeu. Celle-ci avait été récemment aménagée par le forgeron car sa femme attendait un heureux événement d'ici peu. Il monta pour aller la voir mais elle dormait vu l'heure avancée de la nuit. Thorn contempla le visage de sa Gabrielle, elle était très belle, le visage arrondi, de longs cheveux blonds, le teint légèrement pâle. Il prit une couverture et s’installa dans une autre chambre pour le reste de la nuit.

  Au petit matin, il fut réveillé par quelqu’un qui toquait à la porte. Il descendit pour ouvrir, c’était la sage-femme. Elle venait tous les jours afin de s’assurer de l’état de la future mère. Après quelques salutations, elle monta voir sa patiente. Le forgeron la suivit pour embrasser son épouse puis alla dans sa forge travailler un peu. L’œuf demeurait toujours à sa place. Il essayait de ne pas faire trop de bruit pour ne pas déranger sa compagne. Soudain, en plein milieu de la journée, la sage-femme entra brusquement dans la forge et ordonna à l’artisan :

  • Vite, votre femme va bientôt accoucher ! Le travail a commencé ! Préparez-moi une bassine d’eau chaude !
  • Quoi ?!
  • Allez, on se remue !

 Le forgeron comprit la situation et s’exécuta le plus rapidement possible. Le stress monta d’un seul coup. Vu qu’il était en train de travailler, l'un de ses plans à charbon, une petite table a rebord remplie de braise et faite pour maintenir le métal chaud, était allumé. Il tendit les bras et saisit une bassine sur une étagère. Dans la précipitation, il fit tomber des seaux en acier dans les braises ardentes. Il ouvrit un tonneau destiné au refroidissement du métal, remplit d’eau son récipient et se retourna. il observa les deux seilles maintenant rougeoyante. Il posa sa petite cuvette et attrapa un marteau sur la table. Il dégagea d'un coup chacun les deux seaux qui tombèrent juste à côté, entre les deux plans à charbon. Il saisit sa bassine et la mit dans le brasier quelques secondes. Grâce à l’énorme chaleur, elle chauffa très vite.


 Après une bonne heure à attendre sur le pas de la porte, à entendre les cris de sa femme, Thorn commençait à s’inquiéter. Il priait pour que tout se passât bien quand il entendit les pleurs d’un bébé, les larmes coulèrent le long de ses joues. La sage-femme ouvrit la porte et annonça : « Mes félicitations. C’est un garçon. » Elle l’invita à entrer. Dans le lit, sa femme tenait leur nouveau-né, enveloppé dans un petit drap blanc. Son teint était redevenu éclatant. On pouvait lire le bonheur sur son visage. Le forgeron s’assit sur le bord du lit :

  • Il est magnifique.
  • C’est notre fils, lui répondit-elle en souriant.
  • Comment allons-nous l’appeler mon amour ?
  • Que penses-tu... d'Auriel ?

 Thorn passa les jours suivants au chevet de Gabrielle et d'Auriel. Deux aurores après la naissance de son fils, il lui parla de l’œuf de démon :

  • Mais tu es fou, lui répondit-elle. Ça va devenir un monstre tueur d'hommes. On met en danger toute la ville en le gardant ici. Tu sais que l’on risque l’exécution si le roi l’apprend. Plus encore, cela met la vie de notre fils en danger !
  • Je sais. Mais…

 Le forgeron pensa à l'ancienne reine, tuée par un démon. Depuis, la colère du roi envers eux n'avait fait que grandir et il entrainait le peuple avec lui dans sa haine.

  • Mais…
  • Je ne sais pas. Sur l'instant, j'ai eu peur et je n'ai pas réfléchi. Je l'ai pris et suis rentré le plus vite possible. Puis j’ai eu comme l'espoir qu'en éduquant bien cette créature, elle pourrait nous aider à nous défendre de ses congénères, à stopper les tueries.

 Gabrielle le regarda quelques secondes puis répondit :

  • Tu es gentil, Thorn, mais je ne suis pas rassurée. Savoir cette créature sous notre toit me fait peur. Nous devrions le remettre vite à la garde.
  • Mais il s'agit d'un bébé lui aussi. Peut-être qu'avec une bonne éducation il ne deviendra pas un monstre assoiffé de sang.
  • Puis-je le voir ?
  • Tu es sûre ?
  • Oui, après on décidera ce que l'on fait de ce démon.

 Elle déposa le nouveau-né dans son landau et suivit son mari. Le forgeron entra dans la forge, alluma une lampe et avança vers les plans à charbon. Il se figea. Les seaux chauffés tombés avaient atterri près de l'œuf. Celui-ci était maintenant éclaté. Des morceaux de coquille étaient éparpillés un peu partout entre les deux meubles. La jeune maman demanda :

  • Que se passe-t-il ?

 Il ramassa un fragment et lui montra.

  • C’est ça, l’œuf ?
  • Oui... quand j'ai ramené la bassine d'eau, j'ai fait tomber des seaux dans les braises. Pour la faire chauffer, je les ai poussés sur le côté... là où je l'avais caché.
  • La chaleur l’a fait éclater ?
  • Non, je pense qu’il a éclos.
  • Quoi ? Dans ces conditions ?
  • Nous ne savons pas comment naissaient les démons. Voilà un élément de réponse : la chaleur.
  • S’il a éclos, tu crois qu’il est toujours là ?
  • Sûrement, les portes étaient fermées et je ne vois pas de trou dans les murs. Je vais le chercher. Rentre à la maison, on ne sait jamais.

 Thorn se mit à faire le tour de son atelier. Il regarda plus en détails les morceaux de coquille. Il se remémora le bruit, la sensation dans ses bras lorsqu'il avait essayé de le tuer. Quelle force avait-il fallu pour en sortir ? Il continua à chercher la créature.

 Gabrielle regarda un instant son mari parcourir la zone avant de décider de retourner auprès de son fils. Un léger bruit attira son attention sur sa droite. Dans un coin de la pièce, elle vit des sacs, surement ceux que son compagnon avait ramenés récemment. Cependant le bruit avait l'air de venir d’eux. Elle s’approcha, l'un des contenants en tissu semblait remuer un peu. À l’intérieur elle vit un bébé. Le haut du corps ressemblait à celui d’un humain, mais à la place des jambes, il possédait une petite queue de serpent. Elle mesurait à peu près quatre pieds de long. Sa base était aussi large que ses hanches. Les écailles étaient noires avec de beaux reflets verts. Le reste de son corps était similaire à celui d'un bébé normal de quelques mois : de petits bras, un torse rose, de petits cheveux noirs sur la tête. Gabrielle se rendit compte que la créature était en train de manger les pierres du sac, d’où les bruits étranges. Elle appela son mari. Au moment où il arriva, le monstre leva le visage vers eux. Il avait les yeux d’un vert émeraude magnifique, presque envoutant. Le contour de sa bouche et ses mains étaient couleur obsidienne, probablement à cause de son repas. Voyant le couple l’observer, il sourit et émit quelques petits rires. Thorn se pencha et le saisit sous les bras. Il se laissa faire, le forgeron l'examina puis annonça à sa femme :

  • C’est une fille.

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