Chapitre 29 : L’arène de glace

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  Médusa passait la plus grande partie de son temps à se reposer, blottie dans sa queue. Elle se sentait comme chez elle, cette atmosphère qui lui avait été enlevée était là, plus chaude, plus douce. Lorsqu’elle ne dormait pas, elle s’entraînait, seule. Elle testait la puissance de ses nouveaux bras en arrachant de la pierre aux murs. Elle remarqua par ailleurs des marques de griffes sur toute la surface de ceux-ci. C’était peut-être une grotte naturelle mais elle avait été agrandie à la main. En s’exerçant, elle prit conscience de sa force grandissante, elle réduisait en miettes des pierres pouvant tenir dans sa paume. La fille serpent se concentra aussi sur sa magie. À chaque fois qu’elle l’avait utilisée, c’était sous le coup de l’émotion, elle voulait apprendre à la contrôler.

 Au début, ce fut difficile. Elle ne faisait pousser que quelques lianes épineuses autour d’elle, comme elle l’avait fait chez Nicolas, et celles-ci obéissaient à sa volonté. Mais dès qu’elle les lâcha, celles-ci vivaient librement telles des serpents, puis finissaient par faner et se dessécher. Après quelques jours, elle réussit à augmenter leur taille, leur épaisseur, leur nombre, mais pas au point de recréer les énormes mastodontes qu’elle avait fait apparaître au village. Elle en déduisit que ses émotions avaient augmenté la puissance de sa magie, car même lorsqu’elle avait tué l’homme qui lui avait arraché les bras, les ronces étaient plus vives, plus rapides. Là, celles qu’elle avait créées étaient lentes.

 Après une semaine elle commença à s’inquiéter. Elle faisait des allers-retours entre l’entrée glaciale de la grotte et la douceur de la caverne. Elle commençait à avoir peur que Drace et Mooniras l’ait abandonnée. Le huitième jour, elle fut réveillée par des tremblements. Le sol vibrait fortement de manière répétée. Médusa sursauta. Elle regarda autour d’elle, mais personne. Les secousses s’arrêtèrent. Elle s’allongea et posa l’oreille au sol. Après quelques secondes, elle entendit de petits sons. Des bruits de pas, mais plus nombreux que ce à quoi elle s’attendait. Elle se redressa et attendit au milieu de la caverne.

 Quatre silhouettes apparurent. Tout d’abord, un démon, grand, musclé, plus que Drace, avec deux cornes horizontales et courtes au-dessus des oreilles, les jambes couvertes de poils et des sabots à la place des pieds. « Des démons! » s’écria mentalement la fille serpent. Il était suivi par trois démons plus petits. L’un deux était une sorte d’humanoïde à tête de lézard, une queue écailleuse était enroulée autour de son torse. Le deuxième avait une carapace de tortue sur le corps. Sa carrure et son apparence semblaient supposer qu’il pouvait s’abriter dans celle-ci. Et le dernier était couvert de fourrure. On aurait dit un chat géant mais bipède, avec des rayures noires, blanches et oranges.

 Le baraqué s’approcha en hurlant :

  • Drace ! Drace, où es-tu, salopard !? Qui es-tu ? termina-t-il en regardant Médusa.
  • Je… je… et vous ?
  • Je suis Minos ! Dis-moi où est Drace ?
  • Je ne sais pas.

 Il la jugea de haut, se tenant le plus droit possible. Il se baissa à la hauteur de la fille serpent et lui caressa le visage. Elle recula brusquement, choquée.

  • Il s’est trouvé une femelle plus jolie. Je vais peut-être te prendre en dédommagement.
  • De quoi parlez-vous ? dit-elle avec incompréhension et dégoût.
  • Ce lézard a détruit il y a quelques jours, ma réserve de nourriture. Et je viens demander réparation. Je comptais lui donner une bonne correction mais j’ai trouvé mon dû.

 Elle continua de s’éloigner, avec la peur de comprendre ce qu’il voulait. Les paroles de son hôte : « Je sais qu’elles se font rares... ». Plus de doute possible, elle recula d’autant plus.

  • Attrapez-la, on y va.

 Les trois démons s’approchèrent d’elle. Médusa ne savait pas quoi faire. C’était son espèce, elle avait fui les hommes et maintenant ses congénères voulaient aussi la faire souffrir. Le chat lui saisit le bras. D’un mouvement rapide, la femme serpent trancha sa main grâce à ses nouvelles griffes. Elle enchaîna avec un geste latéral et le décapita. Le lézard se jeta sur elle et la plaqua contre le sol. Le terre trembla autour d’eux. Des ronces surgirent du sol, mais il esquiva. La démone suivit son adversaire des yeux. Les lianes épineuses en firent de même. Le reptile humanoïde courait, sautait, roulait sur le côté pour esquiver les plantes agressives. Il cracha des flammes qui les réduisirent en cendres.

 Soudain, une bourrasque frappa la fille serpent. Elle se redressa et chercha d’où venait l’attaque. La tortue fonça vers elle. Il rentra ses membres pour ne laisser plus que sa carapace. Du vent l’enroba et il commença à tournoyer sur lui-même. Avec sa rotation, il assena un coup violent dans le ventre de Médusa. Le choc la propulsa contre le mur de la caverne.

 Médusa sentait la colère monter. Elle regarda ses deux agresseurs. Ses yeux prirent une teinte noire. Ses iris devinrent jaunes. Le lézard, qui s’était approché, tenta de fuir mais en vain. La fille serpent le rattrapa et transperça son ventre avec ses griffes. Il mourut sur le coup. Elle siffla et tira la langue en direction du dernier opposant. Paniqué, il demanda à son chef :

  • Chef, elle est passée en berserk ! Je fais quoi ?!

 Mais il ne répondit pas. Il souriait même. L’homme tortue se retourna et vit la démone face à lui, à moins d’un pied. Il rentra dans sa carapace. Médusa posa ses mains de chaque côté de celle-ci et tira. Le démon supplia :

  • Pitié, ne me tuez pas ! Pitié ! Pitié! Pi…

 Les deux morceaux de son corps volèrent à plusieurs pieds, répandant sang, boyaux, organes sur leur trajet. La fille serpent souffla, et alors qu’elle tournait la tête pour chercher du regard le chef, elle prit un violent coup sur le visage qui la renvoya contre le mur.

  • Eh bein, dis donc ! Tu me plais de plus en plus. Tu les as tués si facilement. Tu es une dardéone, ce qui te rend encore plus précieuse. Tu va venir avec moi.
  • Non… jamais… pas … vous, répondit-elle le souffle coupé à cause du coup.
  • Oh, une rebelle ? Je vais te mater, tu vas voir.

 Il s’élança mais elle n’eut pas le temps d’esquiver. Minos la frappa de toutes ses forces dans le ventre. La roche derrière elle se fissura sous l’impact. La caverne trembla. Médusa cracha tout ce qu’elle put : salive, contenu de son estomac, même un peu de venin, et s’écroula au sol. Elle fut prise de convulsion, essayant de reprendre sa respiration mais impossible. Elle avait sûrement des côtes cassées. Il saisit les cheveux de la démone qui sifflèrent et tentèrent de mordre leur agresseur mais en vain.

  • Très intéressant. Alors ce coup t’a-t-il fait réfléchir ?
  • N…

 Minos lâcha Médusa et retourna au centre de la salle. Elle leva les yeux à grand-peine, et vit à l’entrée un immense démon blanc. Après quelques instants, elle percuta. Il ressemblait comme deux gouttes d’eau au démon que lui avait décrit Nicolas : le dragon blanc. Il ne bougeait pas, fixant l’homme à cornes. Celui-ci prit la parole :

  • Drace, tu es enfin là. Tu sais, j’étais vraiment très en colère quand tu as détruit l’une de mes réserves de nourriture. Mais j’ai trouvé quelque chose de bien plus précieux ici.

 Il ne répondit pas.

  • Du coup, en dédommagement de ton attaque, je vais prendre cette jeune dardéone pour en faire l’une de mes femelles.

 Cette phrase énerva son interlocuteur. Médusa sentit la magie emplir les lieux. l'atmosphère devint oppressant. elle eut l'impression de peser plusieur fois son poids. Le sol, les murs, le plafond, l’ouverture de lave, l’entrée, tout se recouvrit de glace. Le seul endroit qui fut épargné était la pierre autour de la démone. L’air devint glacial. À telle point que la fille serpent soufflait maintenant de la buée, quand elle y arrivait.

  • Tu veux te battre, sale lézard ? Très bien, je serai ton adversaire !

 Il grandit. Son corps se tapissa de poils. Ses muscles grossirent. Ses cornes se développèrent. Il prit l’apparence d’un gigantesque minotaure, aussi grand que Drace.

  • Viens ! Hurla-t-il.

 La dragon blanc répondit à l’invitation. Il déplia ses ailes et, d’un puissant battement, s’élança à l’assaut. Il tenta de frapper Minos, mais il para l’attaque et propulsa le démon près du mur.

  • Tu es à mille lieux de me vaincre, gamin !!

 Drace se mit à courir autour de la pièce. Il prit de plus en plus de vitesse. Le démon bovin tournait sur lui-même, tentant de suivre son adversaire du regard. Médusa se demandait comment il se déplaçait à cette vitesse mais elle comprit lorsqu’il passa près d’elle. Elle entendit un grincement étrange. Le démon glissait sur la glace, il patinait. Soudain, il changea de trajectoire et arracha un bras à Minos. Il hurla de douleur et de rage. Il se mit a frapper frénétiquement la glace. Mais à chaque fois qu’il la brisait elle se reconstituait. Le dragon cracha le membre arraché et recommença à courir.

  • Tu crois être fort ?

 Il donna un puissant coup de sabot. Le sol trembla. La glace se fissura. Des pieux de roche surgirent partout dans la caverne. Le démon aux écailles blanches percuta l’un d’eux. Un pilier de pierre émergea sous lui et l’entraîna jusqu’au plafond, et l’y écrasa. Il tomba, avec une partie du toit de la grotte. Il se dégagea des gravats. Il fut accueilli par un revers du minotaure qui le renvoya contre le mur. Il écroula mais le poing de son adversaire s’enfonça dans son ventre, brisant de nombreuses écailles. Le choc fit trembler toute la montagne. Le plafond commença à s’effondrer.

 Médusa cria, malgré la douleur toujours présente :

  • Drace !

 Elle remarqua soudain Mooniras assis juste à côté d’elle. Il était calme, trop calme. Il observait le combat sans réagir. Elle souffla difficilement :

  • Mais… va l’aider…
  • Tais-toi et observe, entendit-elle dans sa tête.
  • Que.. que..
  • Oui, c’est bien moi qui te parle grâce à ma magie. Maintenant observe.
  • Mais aide-le !
  • Non.
  • Pourquoi ?
  • C’est la seule règle immuable de notre monde. Quand un dardéone en affronte un autre, personne ne doit interférer. Tais-toi et regarde.

 Elle se tut et se recentra sur le combat. Minos martelait son adversaire de coups de sabot. Maintenu au sol, le pauvre ne pouvait que subir. Le démon bovin exprimait sa colère :

  • Tu m’insultes. Tu me détruis une réserve de nourriture. Je comptais partir avec un remboursement acceptable. Quelle fut ma surprise lorsque que j’ai compris que ce petit serpent était une dardéone. Mais là encore, tu m’insultes ! Et tu osais croire que tu avais une chance de me vaincre ! Je me demande…

 Il ne put terminer sa phrase. La queue de Drace lui faucha les jambes. Alors qu’il chutait, le démon blanc le frappa et le propulsa au centre de la salle. Les deux ennemis se relevèrent et se fixèrent. Le dragon de neige s’envola. Il tendit les bras. L’un deux était dans un sale état. Des pics de glace se formèrent dans les airs au-dessus du minotaure, lévitant grâce à sa magie. Leur nombre ne faisait qu’augmenter, jusqu’à former une masse froide opaque, masquant totalement le plafond. Minos hurla de nouveau :

  • Ce n’est que partie remise, sale lézard ! On se reverra !

 Il se retourna et courut à toute vitesse vers l’entrée gelée. Ses sabots brisaient la glace et l’empêchaient de glisser. La pluie givrante s’abattit sur sa cible, mais ne le toucha pas. Le démon bovin avait réagi à temps. Il passa la tête la première à travers la glace et s’enfuit. Les épieux de glace le manquèrent de peu

 Drace se posa, et tomba à genoux, épuisé. Son corps commença à rétrécir. Certaines écailles tombèrent au sol. Il reprit l’apparence sous laquelle Médusa l’avait connu, et s’avança vers son ami et la fille serpent en boitant, un bras contre son ventre. La glace fondit rapidement et la température remonta légèrement. Le loup s’allongea contre le mur. Le démon s’appuya contre la fourrure de son compagnon et s’assit. D’un geste du bras disponible, il invita la jeune femme à venir sous la protection du grand garcasse. Elle rampa difficilement et se plaça à côté de lui. Elle toucha ses cotes ce qui lui arracha un gémissement. Malgré sa peau grise, on pouvait voir un énorme bleu au niveau de son foie et poumon droit. Sa respiration la gênait toujours. La queue du loup se rabattit sur les deux blessés, leur servant de couverture.

 Drace rompit le silence :

  • Je suis désolé.
  • De quoi ? Tu m’as… hmm… Tu m’as sauvée.

 Elle avait des difficultées à respirer et sa poitrine la faisait souffrir lorsqu’elle parlait.

  • Oui, mais c’est de ma faute s’il t’a blessée.
  • Que voulait-il… dire par réserve de nourriture ?
  • Des villages humains. Chaque dardéone a son territoire. Et j’ai empiété sur le sien en détruisant un village qui lui appartenait.
  • Lui appartenait ?
  • Je sais que...

 Il se mit à tousser violemment et cracha même du sang. Celui-ci tâcha les écailles abîmées de ses bras.

  • Ça va ?! s’affola Médusa avant être prise elle aussi d’une puissante quinte de toux.
  • Oui oui, ne t’inquiète pas pour moi. Je guérirai et toi aussi, alors repose toi.
  • Que voulais-tu dire ?
  • Repose-toi, ça peut attendre.
  • Mais je ne suis pas…

 Le sommeil la gagna sans qu’elle le sentît venir. Elle ferma les yeux et sa tête tomba sur l’épaule de son hôte.

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