Chapitre 15 : le bal des ronces

9 minutes de lecture

    Il sortit, ferma la porte derrière lui, et partit vers le village. Il n’était pas loin, à peine mille pieds. le bourg était protégé par une petite muraille plus haute que deux hommes. La maison de Nicolas était la seule à ne pas être dans l’enceinte de ces murs. Le maire de ce bourg, lorsque le vieil homme s’était installé et avait demandé à être à l’extérieur, avait tenté de le convaincre de vivre à l’intérieur, mais avait échoué.

  Cette petite ville se décomposait en deux grandes rues qui se rejoignaient sur une place, servant principalement aux jours de marché. Autour de celle-ci se trouvaient les bâtiments importants du village : une petite caserne, une bibliothèque, la mairie, une grande tour de garde ainsi qu’une église. La plupart des maisons étaient en bois et leur toit en paille, sauf l’église et la tour de garde qui elles étaient en pierre.

  Nicolas franchit la porte du mur et avança vers la place. C’était justement le jour du marché. On voyait une petite dizaine de stands vendant tous types de nourriture, et tous les habitants y étaient déjà amassés alors que le soleil n’était levé que depuis peu. Le brouhaha des discussions, marchandages et autres négociations s’élevait dans les airs. Le vieillard se faufila à travers la foule et s’arrêta devant une étale de boucher :

  • Oh Nicolas ! fit celui-ci surprit. Eh bien, on vous voit souvent ces jours-ci.
  • Oui, j’ai mal géré mes réserves et mon garde-manger est presque vide. Qu’avez-vous à me proposer aujourd’hui ?
  • Oh bin de bons produits de la chasse ! J’ai ici du sanglier, là une bonne cuisse de chevreuil, …

  Et il continua à lister sa marchandise, pointant du doigt ce qu’il énonçait. Le vieil homme choisit une venaison de sanglier puis se dirigea vers une échoppe de fruits et légumes. Il remarqua des membres du culte de l’héroïne parcourir la foule afin de prêcher leurs sermons religieux. Depuis la mort de la reine cette religion, d’abord peu influente, s’était répandue comme une trainée de poudre à travers tout Olyme, mais surtout dans les villes et villages de Pandora.

  Cette secte, c’était comme cela que le vieil homme la définissait, prônait la race humaine, peu importait le pays, et la haine des démons. Selon eux, l’héroïne Médusa avait repoussé ces monstres sur ce continent, mais elle n’avait hélas pas eu le temps de finir son œuvre. Maintenant qu’ils y étaient, ils devaient accomplir leur destin et exterminer tous les démons de ce monde. C’était leur mission, transmise donc par la déesse comme ils l’appelaient. Ce culte était reconnaissable de loin. Tous ces membres portaient une longue tunique blanche à gauche et noire à droite.

  Nicolas avait une impression étrange. Il avait repéré cinq membres de cette secte au milieu des villageois, mais ils semblaient le surveiller, lui tourner autour tout en restant à une distance raisonnable de lui. Il se dépêcha d’acheter tout ce dont il avait besoin et quitta la place. Alors qu’il s’éloignait un homme apparut entre deux maisons. C’était un haut prêtre de cette religion, on le distinguait à son masque bicolore, comme sa tunique, dont la forme repelait le museau d’un serpent.

  • Bonjour Nicolas. Vous êtes beaucoup venu nous rendre visite ces derniers jours.
  • Oui en effet, répondit-il en tenant de rester calme et de cacher sa nervosité. Mon garde-manger s’est vidé plus vite que je ne le pensais alors…
  • Et pourquoi s’est-il vidé aussi vite alors que votre dernière venue avant celles-ci ne date que d’y il y a deux semaines. Ne serait-ce pas car vous avez un invité chez vous ?

  Le vieillard se figea. Son sang se glaça et une goutte de sueur perla son front.

     Médusa attendait dans le lit que son hôte revînt. Un sentiment étrange la parcourait, un mauvais pressentiment. Cela l’obnubilait, elle n’arrivait pas à se calmer.

  Elle laissa ce sentiment prendre le pas sur l’ordre de son sauveur. Elle alla à la porte et tenta de l’ouvrir tant bien que mal sans bras, mais rien à faire, la porte était fermée à clé. D’instinct elle se jeta vers la fenêtre. Celle-ci n’était pas verrouillée et elle put sortir. La démone observa les alentours. Le village se situait au nord de la maison du vieil homme. Au sud se trouvait la mer. Une immense pleine entourait le bourg et on pouvait apercevoir une forêt au loin vers le nord-est.

  En s’approchant discrètement du hameau, la fille-serpent s’étonna : pas de garde sur les murs, pas de surveillance. Elle entra et se cacha derrière des maisons proches. En avançant vers le centre, elle entendit le vacarme d’une foule. La démone sentait le sol vibrer faiblement. Elle grimpa sur le toit d’une maison et continua sa route. Les cris étaient de plus en plus fort. Elle arriva sur la chaume d’un bâtiment surplombant la place, juste au-dessus d’une petite estrade en bois. Les villageois étaient entassés autour de celle-ci. Médusa vit deux hommes sur le plancher surélevé, l’un d’eux portait un grand habit noir et blanc ainsi… « qu’un masque de serpent ? » s’étonna-t-elle. Elle reconnut son hôte à côté de celui-ci, à genoux, les pieds et poings liés. L’homme masqué leva les bras pour faire taire momentanément la foule et continua un sermon religieux déjà entamé :

  • Cet homme a sauvé et accueilli un démon ! Voyant ce cher Nicolas venir de nombreuse fois, je me suis questionné ! Lui qui venait à peine une fois par mois ! Grâce à ma magie de l'éthère je me suis discretement rendu chez lui, et je l'ai vu ! À votre avis, qu’aurait donc fait notre sauveuse de ce monstre ?!
  • Elle l’aurait tué !! répondit l’assemblé en hurlant.
  • Et quelle punition mérite ce traitre pour avoir trahi notre déesse ?!
  • La mort !!

  D’un geste rapide, il sortit un couteau courbé de sa toge et trancha la gorge de Nicolas. Il eut quelques spasmes, tentant désespérément de respirer, mais sa trachée et ses artères avaient été sectionnées. Il s’écroula sur le bois de l’estrade. Son sang se répandit autour de lui.

  La démone sauta du toit et atterrit près du corps inanimé de son sauveur. Les yeux en larmes, elle tenta de le faire bouger, espérant qu’il ne fût pas réellement mort. Elle demanda d’une voix tremblante :

  • Pourquoi ? Pourquoi l’avoir tué ? C’était l’un des vôtres, un humain.

  Elle retourna le cadavre du vieil homme. La vie avait totalement quitté son regard.

  • Son crime fut de te recueillir, démon ! Répondit le prêtre. Notre héros, que dis-je, notre déesse Médusa a repoussé les tiens dans ce monde désolé ! Il est de notre devoir de poursuivre l’œuvre de sa vie ! Et de vous exterminez tous jusqu’au dernier.

  La foule hurla son soutien au culte et l’homme masqué reprit :

  • Regardez ce démon ! C’est contre des créatures comme celle-là que notre déesse s’est battue !

  Le prêtre attrapa la chevelure de la fille-serpent et leva le poing. Les villageois se turent. Il regarda sa main serrée sur les cheveux noirs, détachés de leur support initial. Le croyant observa la démone, médusé. Les quelques cheveux restant sur son crâne tombèrent autour d’elle.

  Médusa fut pris d’une violente douleur à la tête. Son cuir chevelu devint blanc, comme de la peau morte, et se craquela. Quelques morceaux chutèrent, révélant un épiderme gris foncé avec une légère teinte vert pâle.

  L’assemblé eut un mouvement de recul lorsque la démone fut prise de convulsions. Après quelques instant, une petite tête de serpent apparut au sommet de son crâne. Il était noir, le ventre argenté, les yeux verts. Il s’allongea jusqu’à atteindre le pied de long et commença à observer les alentours.

  Son regard parcourut la foule et finit par croiser celui du prêtre. Le reptile resta totalement immobile une seconde puis siffla violement. Il s’allongea à une vitesse ahurissante, ouvrit la gueule et mordit le prêtre à la gorge. Celui-ci hurla de douleur et le choc le fit tomber à genoux. L’homme cessa de bouger après quelques instants. Du sang coula sous son masque. La foule hurla de panique et commença à se disperser. D’autres serpents naquirent sur le crâne de la démone, créant une chevelure vivante, ondulant librement.

  • Tu vois… peu importe où tu iras dans le monde des hommes… ça se passera toujours comme ça, disait l’autre voix dans l’esprit de la fille serpent.

  Elle ne répondit pas, toujours en pleurs devant le corps de Nicolas.

  • Tu es vraiment inutile Médusa… Laisse-moi la place, je vais m’occu…
  • Non…
  • Pardon ?
  • Non, je te dis…
  • Laisse-moi faire… je vais faire disparaitre tes problèmes… ces êtres abjects qui nous traitrent de monstre…
  • Non ! cette fois… ils sont à moi…
  • Oh… intéressant…

  Le premier serpent lâcha sa prise et reprit sa taille normale pour se fondre au milieu des autres. La démone se releva, le regard sévère. La haine se lisait dans ses yeux verts. Elle regarda vers la place et vit face à elle une petite troupe d’une vingtaine de soldats, armés, prêts à attaquer et défendre leur maison.

  La peau de son visage se fissura à son tour et tomba. Sa figure était maintenant cendrée, avec cette légère teinte vert pale inquiétante, parsemée d’écailles noires comme l’ébène. Médusa dévisagea chaque homme. Les serpents remplaçant sa chevelure, qui jusqu’à maintenant s'agitaient librement, se retournèrent à l’unisson vers les gardes en sifflant. Certains avaient la gueule ouverte, révélant leurs gencives noires et leurs crochets, prêts à faire leur ouvrage.

  Sans crier gare, elle sauta de la plateforme et planta ses crocs dans la gorge le premier soldat qu’elle atteignit. Ses cheveux se glissèrent sous les armures des hommes proches et les mordirent à la gorge. Même ses petits reptiles possédaient une force prodigieuse. Ils soulevèrent leurs proies du sol et les projetèrent sur les autres.

  Les soldats tentèrent de riposter mais le combat était à sens unique. Du sol surgirent des ronces, aussi épaisses qu’un bras, empalèrent tous les gardes restants. Elles créèrent un arbre épineux et sanglant au milieu de la place.

  La démone desserra la mâchoire et cracha le sang de sa victime. Son regard se porta sur l’église. Elle ferma les yeux. Le sol trembla. Une immense ronce surgit devant le bâtiment et s’éleva aussi haut que le clocher. Son diamètre à sa base dépassait les dix pieds. Elle ondula un instant, prit de l’élan et frappa la tour du lieu saint. Le morceau du bâtiment vola par-dessus quelques maisons et atterrit sur l’une d’elle dans un fracas monstrueux. Le bruit des deux chocs résonna dans tout le village. La ronce géante frappa les édifices dans son champ d’action. Les maison alentours furent balayées, le reste de l’église aussi. Des débris furent projetés dans tout le bourg et par-dessus la muraille, ainsi que leurs occupants.

  Une nouvelle secousse ébranla le hameau, plus puissante encore que la première. Trois autres ronces géantes apparurent dans le village et commencèrent à tout détruire.

  Médusa fonça à toute vitesse et enfonça la porte d’une maison encore intacte non loin d’elle. Dans un coin de la pièce elle vit la famille occupante : les parents ainsi que deux garçons âgés de moins de de dix ans. La mère et ses enfants tremblaient de tout leur être. La peur se lisait dans leurs yeux. Leur père se leva et se plaça devant eux afin de les protéger. La dernière chose qu’il vit fut l’éclat d’émeraude du regard de la démone et de sa nouvelle chevelure.

  Médusa quitta les lieux de son carnage et se dirigea vers le nord. Derrière elle, le village était dévasté. Les lianes épineuse géante étaient maintenant sans vie.

  La peau de la démone continuait de s’effriter, laissant apparaître de plus en plus son nouvel épiderme écailleux. Son corps la démangeait. Elle tentait de réprimer cette sensation, mais elle ne le supportait plus. Elle se roula frénétiquement au sol, maudissant le traqueur qui lui avait pris ses bras, l’empêchant de se gratter pour l’apaiser. Elle hurla. Ses remous soulevèrent des morceaux de terre, d’herbes et des nuages de poussières.

  Après ce qui lui parut être une éternité, elle réussit à se débarrasser de cette horrible sensation, et de son ancienne peau. Elle regarda derrière elle. Dans l’herbe gisait sa mue, très abimée, déchirée à de multiples endroits. Elle avait mué comme un serpent.

  Une voix rauque et grave résonna devant elle :

  • Tiens tiens tiens. Qu’avons-nous la ?

Annotations

Vous aimez lire Blacksephi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0