Chapitre 2 : Enlèvement

11 minutes de lecture

  • Eh bien, mon cher Thorn, vous avez fait un travail extraordinaire… Comme toujours.
  • Je ne fais que mon travail, Messire.
  • Et plus encore. Cette lame est sublime. Rien qu’en la tenant je sens ma magie croitre. Le tranchant me semble excellent. Elle est parfaitement équilibrée.

 Le forgeron discutait avec un chevalier, un homme chargé de protéger et servir la famille royale. Il était d’un âge avancé, d'une carrure imposante, le visage rond. Il avait les cheveux bruns courts et les yeux de la même couleur. Il semblait épanoui. Il portait une armure de plaque en acier, renforcée avec de la cotte de maille et du cuir souple aux articulations. On pouvait voir sur son torse l’emblème de la famille royale : une orchidée entrecoupée par un soleil. Le casque du chevalier était très simple mais couvrait entièrement sa tête, très carré, ne laissant que deux fentes pour les yeux et un amas de petits trous pour respirer.

 L’homme posa son casque sur la table centrale de la forge pour mieux observer la lame de l’épée. Elle était aussi longue que son bras, d’un gris argenté magnifique avec quelques légers reflets noirs, témoignant de la nerolite présente dans celle-ci. Il reprit :

  • Sublime, combien vous dois-je ?
  • Deux milles, Michaël, comme convenu.
  • Très bien.

 Il rangea l'épée dans son fourreau et la posa pour récupérer son casque.

  • Voici, fit-il en tendant une épaisse bourse.

 La monnaie du pays était la solor, séparée en deux catégories : les pièces du sol, en or gravé d'un soleil sur l'une des face ; et les binaleil, des batonnet en or d'un demi-pied valant cent cinquante sols

  • Merci, Messire.
  • Quel âge a votre fils maintenant ? demanda le chevalier en voyant un jeune garçon arriver.
  • Quinze ans.
  • Ils grandissent vite. Le mien a le même âge.

 Il lâcha un profond soupir.

  • Je dois vous avouer que je n’aurais jamais imaginé que le Roi se remarierait après la mort de la précédente Reine. Ni qu’ils auraient un enfant. Le Roi était effondré l’époque. La princesse va bientôt avoir douze ans. J’ai été assigné à sa protection.
  • Un jour, me raconterez-vous ce qu’il s’est passé ce jour-là, il y a seize ans ?
  • Oui, un jour, il faudra en effet. Sur ce, je vous ramène le reste de la somme. Bonjour, jeune homme.
  • Bonjour, Messire, bonjour, papa.

 Le chevalier sortit, Auriel ferma la porte derrière lui. C’était un adolescent élancé, les cheveux blonds comme sa mère, les yeux bleus. Il était grand pour son âge, bientôt autant que son père. Il semblait alerte, le teint frais. Il portait une veste en tissu tressé rouge, un pantalon de la même couleur. Le forgeron demanda à son fils :

  • Bonjour, Auriel. Alors, comment s’est passé ta journée de cours ?
  • Très bien, c’était facile. Et toi papa, le chevalier était content ?
  • Eh bien…

 Au même moment, la porte reliant la forge à la maison s’entrouvrit et une douce voix féminine parla :

  • Alors, papa, a-t-il aimé l’épée ?
  • Ne reste pas devant la porte, voyons. Entre. Ne t’inquiète pas, il ne reviendra pas tout de suite.

 La démone que le forgeron avait trouvé le jour de la naissance d’Auriel entra dans la pièce. Elle avança sur sa longue queue de serpent aux écailles ébène, aux reflets verts, et attrapa un tablier en cuir sur la table centrale. Cet appendice animal remplaçait ce qui aurait dû être des jambes. Elle le mit et replaça ses longs cheveux noirs au-dessus de la boucle de celui-ci. Auriel l'observa se mouvoir. La discrétion dont elle pouvait faire preuve grâce à sa partie reptilienne était à la fois effrayante et fascinante. Elle ne faisait pas le moindre bruit.

  • Salut, Médusa.
  • Bonjour. Alors papa, dis-moi s’il te plait.
  • Ne panique pas, reprit-il en se tournant vers l'intéressée. Il a trouvé ton travail excellent et moi aussi d’ailleurs. Il était très satisfait. Je le connais bien, c’est moi qui ai fait son armure. Il est honnête et ne mâche pas ses mots.

 Les yeux émeraude de la fille serpent s'illuminèrent de joie. Sa queue se tortilla, et son visage s'illumina d'un magnifique sourire.

  • Tant mieux. J’avais peur qu’il n’aime pas l’épée, la première arme que tu me laisses faire seule.
  • Bravo, sœurette, la félicita Auriel.
  • Merci, répondit-elle.

 Un peu plus tard, le chevalier revint et annonça :

  • J’allais oublier. C’est bientôt l’anniversaire de la princesse. Le Roi m’a chargé de vous remettre une invitation.
  • Mais… mais c’est trop d’honneur… je ne puis... tenta de répondre Thorn avant de se faire couper la parole.
  • Le Roi tient absolument à ce que le meilleur forgeron du pays soit présent. L’anniversaire de la princesse Natalia aura lieu dans une semaine au château. Sur ce, au revoir, Maître forgeron, jeune homme.

 Après qu’il fut parti, Médusa rentra dans la forge. Voyant son père troublé, elle demanda :

  • Tout va bien, papa ?
  • Oui, oui ça va. Ne t’inquiète pas.

 Deux jours passèrent. Auriel se baladait dans la ville en longeant l’un des canaux. L’adolescent aimait se promener près de l’eau. Cette partie de la ville était très belle. Elle abritait la plupart des bâtiments importants : écoles, bibliothèques, beaucoup de maisons de nobles, la grande arène. Il s’arrêta dans un coin tranquille et s’assit sur le bord d'un canal. Il pensait à sa sœur. La vie était dure pour elle. Ne pas pouvoir sortir, vivre enfermée comme ça. Même si elle travaillait avec leur père, elle devait vouloir se faire des amis, sortir. Depuis qu’ils savaient pour l’anniversaire de la princesse, Médusa s’était cloitrée dans sa chambre. Il avait voulu aller la voir, mais il l'avait entendu pleurer et s'était ravisé.

  Un petit groupe d’hommes commença à l’encercler. Perdu dans ses pensées il ne remarqua pas le danger. L’un d’eux le frappa à l’arrière de la tête. Auriel perdit conscience.

 Médusa attendait sans rien faire dans sa chambre. Elle allait encore se retrouver seule alors qu'elle détestait ça. « Papa et maman m’ont dit que c’était pour ma sécurité. Que les humains n’aiment pas les démons. Qu’il soit trop tôt pour moi. » se répétait-elle. Elle fut tirée de ses pensées par de l’agitation au rez-de-chaussée. Elle l’avait caché, mais elle disposait d’une ouïe et d’un odorat surdéveloppés. Elle pouvait entendre tout ce qui se passait dans la maison si elle se concentrait un peu.

  • Quoi ?

 C’était la voix de Gabrielle, troublée, paniquée.

  • Je suis navré, répondit un homme inconnu.
  • Mais que veulent-ils ?
  • D’après la lettre que les kidnappeurs ont laissée, une rançon… reprit Thorn.
  • Sa Majesté a été mise au courant de la situation et vous assure son soutien. Il a ordonné que la garde de la ville soit mobilisée pour retrouver votre fils. Ils ont déjà commencé à la fouiller. Et je vous laisse pour me joindre aux recherches.
  • Merci beaucoup, termina le forgeron.

 La jeune démone entendit sa mère éclater en sanglot. Son père devait être en train d’essayer de la consoler. Elle sut tout de suite quoi faire. Elle n’avait pas le droit de sortir, mais pour sauver son frère, elle allait braver l’interdit.

 La nuit était tombée. Médusa avait attendu que Thorn et sa femme fussent endormis pour partir. Sa chambre ne possédant pas de fenêtre, pour qu’elle ne soit pas vue de l’extérieur, elle sortit par celle de son frère. Elle posa la queue pour la première fois dans la ville. Elle n’avait fait que l’observer à travers les vitres de la maison. Elle resta sur place, s'allongea et caressa les pavés. Elle rêvait de cet instant depuis longtemps.

 La rue était calme, pas un chat ne circulait. Sans laisser la peur l’envahir, elle se reconcentra. Après avoir vérifié que personne n’arrivait dans sa direction, elle se dirigea vers les canaux sans un bruit. Elle savait où ils se situaient car Gabrielle lui avait montré un plan de la ville durant son enfance, et justement l'une de ces voies d'eau passait non loin. Elle rampa rapidement au ras du sol jusqu’à l’eau et plongea. Elle serait encore plus discrète dans l’eau. Elle nagea de manière instinctive avec une aisance qui la surprit elle-même. Après un peu de temps elle arriva devant une grille de métal au niveau de la muraille. Elle saisit les barreaux et grâce à une force toute aussi surprenante, les plia juste assez pour lui permettre de passer. Elle se retrouva enfin dehors, à l’extérieur de la ville. Si grand, si vaste. Médusa se figea devant l’immensité du monde. Cela dépassait toutes ses attentes. Elle était si contente de voir tout cela.

 C’était la pleine lune. La nuit était claire. Médusa longea les murs de ville pour repérer l’odeur de son frère. Elle se rapprochait de la porte principale quand elle trouva enfin ce qu’elle cherchait. Le parfum d’Auriel provenait d’un tunnel sous le mur, dissimulé par des buissons. La piste menait vers le Sud.

 L’aurore arrivait. La traque de Médusa l’avait emmené dans la forêt. Elle sentait l’odeur de plus en plus forte, ainsi qu'un parfum de viande grillée. Elle se rapprocha. Rampant au plus près du sol, limitant les bruits le plus possible, elle atteignit un campement. Il s’agissait de tentes montées à la va-vite autour d’un feu. Elle en voyait une demi-douzaine. Sur le brasier, un gibier était en train de cuire. Caché dans les buissons, la jeune démone observa les lieux. Elle compta cinq hommes. Deux semblaient dormir dans leur tente. De sa position, elle apercevait intérieur de certaines tentes. Les trois autres discutaient autour du feu. Elle écouta la conversation :

  • Tu crois qu’ils payeront la rançon ?
  • Oui, ils n’auront pas le choix.
  • Tu es sûr ? Ce forgeron est proche du Roi, il…
  • C’est justement pour ça. Le Roi l’aidera, actuellement l’armée doit être occupée à rechercher le gamin dans la capitale.
  • Tu comptes le leur rendre après avoir récupéré la rançon ?
  • Non, ce gamin est une poule aux œufs d'or. Et j’ai bien l’intention de l’exploiter jusqu’au bout. D'ailleurs, tu iras lui donner à manger et l'accompagnera pisser après. Il faut en prendre un minimum soin.

 Sur ces mots, Médusa perdit son calme. La colère l’envahit. Elle chercha Auriel et le vit ligoté à un arbre. Du sang coulait lentement le long de son bras. Il semblait avoir été roué de coups et était inconscient. L'adolescent avait sûrement essayé de résister. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Elle sortit des buissons et se précipita vers eux. Avant de comprendre ce qui leur arrivait, l’un des kidnappeurs se fit enserrer dans les anneaux de la queue de la démone. Elle serra tellement fort qu’elle lui broya la cage thoracique dans un craquement a en faire vomir plus d'un. Son compagnon bondit et tenta d’attaquer leur assaillant. Médusa, folle de rage, saisit les oreilles de l’homme et d’un geste simple le décapita, avant d'envoyer sa prise dans les arbres. Le corps tomba mollement au sol. Deux autres sortirent de leur tente et s'élancèrent, arme à la main, pour attaquer leur agresseur. Elle prit appui sur le sol en posant les mains, propulsa sa victime étouffée dans sa queue sur l'un d'eux. Le kidnappeur tomba, son compagnon sans vie sur le torse. Il essaya de se dégager mais aperçut soudain le visage de la fille-serpent au-dessus de lui. Elle leva le poing et l'abattit de toutes ses forces sur sa tête. Son crâne explosa, rependant sang et cervelle tout autour. Le sol se fissura et trembla sous l'impact, faisant trébucher. Il commença à se redresser, mais les bras de la démone s'abattirent sur son dos et concassèrent sa colonne vertébrale, ainsi que de nombreux organes. Il hurla de douleur. La fille serpent enfonça ses mains à l'endroit de son attaque et tira de chaque côté. Dans un bruit de chair déchirée et d'os brisés, les deux parties du corps volèrent dans le campement, répandant sang et morceau de viande sur leur passage. Médusa se tourna. Il en restait deux, tétanisés, près du feu, les mains tremblantes sur leurs armes, les genoux branlants. La dernière chose qu'il virent fut le regard assassin et sombre de la créature.


 Auriel se réveilla et essaya de se remémorer ce qui lui était arrivé. En ville, on l’avait frappé dans le dos. Il avait repris connaissance, les mains attachées, dans ce qui semblait être une tente. Il s'était relevé et avait tenté de fuir mais ses kidnappeurs l'avaient vite rattrapé et cogné, ce qui l'avait de nouveau plongé dans l’inconscience. Il avait mal partout. Un œil au beurre noir, la lèvre inférieure fendue, son épaule droite était déboitée. Il remarqua que les liens qui le retenait étaient coupés. Il se leva mais tomba à genoux. Sa jambe droite lui faisait très mal mais elle ne semblait pas cassée. Il recommença et se frappa l'épaule contre l'arbre. Une énorme douleur l'envahit. En redressant la tête il vit, face à lui, la tête terrorisée d’un homme. Il cria de peur et regarda le reste du camp. Sept hommes gisaient sur le sol, morts. L’un d’eux avait été décapité, un autre semblait avoir eu le torse écrasé. Et l’état des autres n’étaient guère meilleur, déchiquetés, broyés, coupés en deux. Il y avait du sang partout. Auriel eut un haut de cœur et se mit à vomir.

 Après avoir réussi à se calmer, il observa les alentours, se demandant ce qui avait bien pu commettre ce massacre. Il commençait à partir quand il entendit des pleurs. Cherchant leur source, il tomba sur sa sœur, paniquée, terrorisée, enroulée dans sa queue, couverte de sang. Elle tremblait de tout son corps. Auriel ne comprenait pas et s’agenouilla devant elle :

  • Médusa ? Ça va ?

 Elle ne répondit pas. Elle ne semblait pas l’avoir remarqué.

  • Médusa ?
  • Ne m’approche pas ! cria-t-elle.
  • Qui y a-t-il ? Que se passe-t-il ?
  • Recule !
  • Pourquoi ?
  • Recule, j'ai dit !

  D'un mouvement de queue, elle le frappa au ventre. Auriel vola à une vingtaine de pieds avant de percuter un arbre. Le choc le fit vomir, encore. Son épaule en profita pour lui rappeler son état. Après quelques secondes, il se releva, bien que difficilement, et avança. sa jambe le portait à peine. Médusa semblait encore plus affolée après ce coup :

  • Non ! N'approche pas !

 Elle tentait désespérément de reculer mais se retrouva bloquée par un arbre. Elle poussa son dos contre celui-ci, espérant qu'il cédât, lui permettant de fuir, mais il ne bougea pas. Elle essaya de repousser encore une fois son frère avec sa queue. Il sauta par-dessus mais avec sa jambe affaiblie, se fit faucher les chevilles par l'attaque et tomba face contre terre. Il se redressa juste devant elle et avant qu'elle n'eût le temps de le repousser encore, l'enlaça. La démone, perturbée, essaya de se libérer de l'étreinte mais son frère ne lâcha pas prise. Après quelques temps, elle perdit toute volonté et cessa de lutter. L’adolescent la libéra et lui attrapa le poignet, puis la hissa sur son dos en émettant quelques rictus de douleurs. Il commença à avancer, laissant la queue de médusa trainer sur le sol. Après quelques dizaines de pieds de distance, il sentit plus de poids sur son dos. Médusa s'était endormie et avait serrer ses bras autour de son cou. Il marcha en portant sa sœur pendant un moment dans la forêt. Il manqua plusieurs fois de s'écrouler, de céder à la fatigue. Sa jambe lui provoquait d'horribles grimaces à chaque pas.

 Au crépuscule ils sortirent enfin du bois. La démone se réveilla. Auriel dit à sa sœur regardant le coucher du soleil :

  • Tu es différente des autres. Tu l’as fait pour me protéger. Les autres démons ne sont que des brutes sanguinaires. C’est ça qui te différencie d’eux.

Annotations

Vous aimez lire Blacksephi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0