Seule avec moi

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Je ne sais combien de temps j’étais là. Je me réveille sur un doux tapis de froufrou rose, et j’ouvre les yeux. La chambre n’avait pas bougé, elle était restée la même. Depuis combien de temps ? Je ne sais pas. Avec le peu de force que j’ai, je me lève. Mes genoux craquent et me demandent de l’aide ; mais comment supporter un corps que je ne supporte plus ? Mes pieds nus frottaient le froufrou rose, et je me décide d’avancer. Le lit en bois m’aide, et me sert de canne pour les deux mètres qui constituent sa largeur. En face de moi une commode, sur laquelle je me lance et me rattrape. Je regarde le bois, le caresse, puis décide enfin à lever la tête. En face de moi ; moi. Toujours cette figure, la mienne, qui m’est devenue insupportable. Je vois mes lisses cheveux blonds pendre comme les branches d’un saule pleureur le long de mon tronc mort de visage. Je me hais ; je me hais d’être moi. Je me connais par cœur, et ne connais que moi. Mes yeux sont bleus, mes cils sont fins, et mes paupières sont devenues des poches organisant mon angoisse et ma folie. Je me retourne pour arrêter de me regarder, et maintenant je me vois. Quelques mètres me séparent de ce mur, pourtant il m’effraie. Il ne bouge pas, c’est un mur, mais il m’agresse de par son état statique. Je suis devant et sur ce mur. Ces photos qui le couvrent sont les miennes ; et sont moi. Je ne vois plus que ça, plus que moi. La pièce est composée de quatre murs, et j’écris comme pour briser le quatrième, pour me dire qu’il y a quelque chose derrière, que le monde va plus loin, plus loin que moi. Je me laisse tomber assise, et cette commode devient mon dossier. Les fesses au sol, je ne dois plus mesurer qu’un mètre vingt ; la taille parfaite pour être en face du bois de lit. Il est beau ce bois, plus rugueux que celui de la commode. Le bois, c’est tout ce qu’il me reste à défaut de moi. Le tapis rose ne m’atteint pas, et je le regarde coucher sur son ventre râpeux, prêt à glisser vers moi pour m’engloutir. J’approche mes genoux de ma poitrine, et plonge mon visage contre ma chair. Je ferme les yeux, respire, puis les rouvre. Il fait sombre enveloppée de chair, et contre ma peau, mon visage n’est plus visible. Je referme les yeux pour privilégier mon ouïe. Je l’aime cette ouïe, car elle ne me fait pas me voir, et je ne peux m’entendre. Il ne l’a pas encore établi cela, me faire m’entendre. Je deviens folle. Que me veut cet homme que je ne connais pas ? Pourquoi m’enfermer ici, dans cette chambre dont l’acoustique n’est fixée que par cette commode et ce lit ? Mon corps veut pleurer comme il pourrait vomir, mais je n’ai pas la force de le laisser faire. J’ai ma tête dans le noir, contre ma chair, et je pense déjà au moment qui viendra ou j’aurai à lever la tête. Partout, tout autour de moi, il y a moi. Si ce n’est des miroirs qui me reflètent en temps réel, ce sont des photographies, qui me rappellent un autre temps. J’y vois des photos de moi, parfois avec d’autres gens, souvent prises par moi, ou par d’autres gens. La plus effrayante, je ne l’ai vue qu’une fois, et elle est fixée au centre du mur faisant face au lit. Je ne l’ai vue qu’une fois, car mon regard s’est bloqué, et ne peut plus se poser sur cette partie-là de la pièce. Aucun meuble ne touche ce mur, je n’en ai pas besoin. J’ai froid, et pourtant dans cette cage artificielle je ne vois rien qui pourrait m’approcher d’un froid naturel. Pas de brise, ni de vent, et un air que je recycle au fur et à mesure des jours qui passent et que je ne peux pas compter. Combien de temps encore ?

J’ai beau me concentrer, je n’entends rien. Le silence environnant ne possède même pas d’absence de bruits, car il est d’un vide infini que je ne m’aurais été pensée capable de ne pas entendre un jour. Il n’y a rien à entendre, rien à écouter, il n’y a que moi. Je suis coincée, bloquée, et cette prison où les barreaux sont mon visage sera sûrement mon tombeau. Mais non ? Comment peut-on mourir dans un lieu que l’on ne connait pas ? Loin de toute humanité, loin de tout de ce qui nous touche ? Comment peut-on mourir comme cela, avec pour seule compagnie soi ? Je ne veux plus bouger, c’est décidé. Je ne veux plus bouger, et ne bougerai plus. Je vais continuer à plonger dans ma chair, contre ma peau, à ne rien pouvoir écouter d’autre que le rien, et à ne pas lever la tête pour ne pas me voir moi.

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