Café nuage

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Un café, please.

 Un serveur s'approche du client :

 - Oui, vous désirez ?

 - Un café nuage !

 - Pardon ?

 - Un café nuage, s'il vous plaît.

 - Un café crème, vous voulez dire ?

 - C'est ça, un café nuage.

 - Hum, bon. Au fait, pensez à vous présenter, c'est fait pour ça.

 Tout en parlant, il lui désigna un poteau sur lequel étaient collés des affiches, des poèmes et d'autres feuilles, les unes sur les autres. Il y en avait même qui étaient suspendues du plafond. Fabien observa la silhouette du serveur qui s'en allait dans la poussière spiritueuse de cet espace éthéré, et contempla ce qu'il lui avait montré. C'était un joyeux bazar plus agité que le reste où on criait les uns sur les autres comme dans un marché boursier, en désignant des feuilles bien en vue. Certaines pancartes avaient l'air d'avis de recherche, il ne leur manquait plus que le "Wanted". Son avion s'était perdu dans le passé et dans le Far West, songea-t-il.

 - Et un café cr...un café nuage !

 En guise de merci, Fabien arracha la tasse et déroba son contenu en un véritable hold-up. Puis, au serveur stupéfait, il demanda un second café nuage.

 Il avait l'oeil fou, sa bouche et son esprit fumaient, de son corps entier sortaient des exhalaisons flamboyantes qui se dissolvaient dans l'ambiance serrée qui circulait dans l'air. À ce chaos participaient les affaires éparpillées, qu'il avait répandues sur la table comme pour marquer son territoire : dossiers, documents, stylos, téléphone portable et étranges gadgets. L'ensemble émettait cette vérité, que c'était son univers, qui s'imposait en ce lieu et n'admettait aucune discussion. À nouveau le serveur partit s'occuper de la commande sans rien dire.

 Tandis qu'il était à un papier et à son bic empereur qui cognait comme un boxeur, Fabien s'interrompit soudain, et d'un éclat se leva et se précipita sans explication sur le poteau à annonces, où il plaqua la sienne, avant de revenir immédiatement à sa place, sans commentaire. Puis il resta spectateur, attentif. D'abord on passa à côté sans réaction, puis une petite fille intriguée s'approcha, puis un vieux monsieur, et puis et puis... On s'attroupait un peu autour, on fronçait les sourcils, on prenait une photo, on passait l'index sur le menton, on se frottait la barbe, et ainsi se formait un public tel qu'on en trouve dans les musées d'art contemporain.

 Alors une jeune femme vint s'asseoir à la table de Fabien. "Bonjour, je ne vous dérange pas ?" Elle portait un manteau à fourrure qu'elle posa sur une chaise, et tenait une crêpe et une tasse de thé. "Il est pas un peu tôt pour le thé ?" s'enquit Fabien, avec une curieuse indiscrétion, tout en chantonnant, l'air de rien : "Un...peu tôt, peto, peto, peto, peto, peto, petopeee...". C'est qu'il employait des moyens détournés pour enfin connaître l'heure. Mais là-dessus, sa voisine se révéla dans la même situation que lui, expliquant qu'elle perdait la notion du temps sur cette île. "Je suis un peu nouvelle, et je ne passe pas très très souvent..." Et puis elle dit que ç'avait peut-être rapport au globe local. Et elle lui demanda s'il s'était dirigé à droite ou à gauche au bas de l'escalier au sortir de l'avion. Fabien ne comprenait pas. Il lui tourna une face intriguée, sérieuse apparemment - car on lisait difficilement en lui. Et c'était comme si un éclair d'imprévisibilité s'apprêtait à jaillir en lui et se déverser sur l'extérieur.

 - Fabien ! s'exclama-t-il soudain.

 - Euh... Camille, enchantée.

 Et comme il gardait cet air bizarre et un sourire malicieux au coin des lèvres, elle s'empourpra, décontenancée.

C'était comme s'il y avait une présence cachée derrière lui, dans son ombre...

 C'est alors que le serveur fut de retour.

 - Le...café nuage !

 - Le café nuage ? répéta Camille

 - C'est à lui qu'il faut demander une explication.

 Le serveur pointa l'énergumène impoli du doigt avant de retourner aux autres clients.

 Camille avait la main sur la bouche et les yeux mignonnement plissés : "Comme c'est amusant !"

 Fabien, quant à lui, était plongé dans le silence qu'il partageait avec la tasse en face de lui, et sa communion révérencieuse était pleine d'une aura mystique. Le nuage petit à petit transmutait depuis le liquide et glissait devant et autour de lui. Des djinns volaient sur ces tapis de brume tel Aladdin : Fabien s'abandonnait à un rêve blanc, dont peut-être il chantait la méloppée intérieurement.

 - Est-ce que j'suis un rêveur ? est-ce que j'suis un cinglé ? est-ce que j'suis un hippie ? est-ce que j'suis un punk ? est-ce que j'suis un créateur ? est-ce que j'suis un déchet ? un génie ? un raté ? est-ce que je suis quelqu'un ? est-ce que je suis quelque chose ?

 On ne saurait dire à qui - ou à quoi - il posait ces questions.

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