25/04/2021 Fia Akermån

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Smartphone en main, on s'est tous pointés pour filmer l'événement. Ce n'est pas tous les jours qu'on peut voir nos modèles de vertu péter un câble en plein milieu de la ville.

Sur la place, l'homme doudoune s'est hissé à côté du mémorial de la Guerre d'Hiver et a claironné aussi fort que possible qu'il était hors de question que nous restions tous les bras croisés devant cette... enfumade, pour le dire poliment. Puisque la mairie avait décidé de croire à ce délire de ville maudite, lui et deux barbus allaient de suite prendre leur jeep et foncer vers l'horizon. Ils allaient voir s'il y avait une barrière pour les arrêter.

Personne ne les a dissipés. La vérité étant que beaucoup voulaient se faire la malle, mais étaient devenus d'un coup terrifiés à l'idée de disparaître comme l'officier Pajari. Et puis d'un coup, sans prévenir, mon père s'est hissé à côté de lui.

- Je viens aussi, a-t-il déclaré devant toute l'assemblée colorée. Nous ne serons pas trop de quatre pour évaluer la situation. Je propose d'ailleurs que nous y allions à plusieurs. Si vraiment il y a une forme de barrière ou de demi-tour mystérieux, nous en aurons le coeur net.

L'homme en doudoune s'est esclaffé. Il a tapé dans le dos de mon père puis repris son idée puissance mille.

- Bien parlé ! On devrait tous se serrer les coudes par temps de crise. Comme nos grands-parents en leur temps, a-t-il ajouté en claquant sa main sur le mémorial. En fait, nous devrions tous prendre nos voitures et rouler vers le nord. Ensemble, comme ça pas d'embrouille !

Des gens l'ont acclamé, d'autres n'ont rien dit et nous, la nouvelle génération, nous sommes regardés indécis. C'était un peu merdique comme plan. Plutôt que de perdre deux-trois personnes, et si on roulait tous vers une mort incertaine ? C'était ridicule et voir mon père, d'ordinaire si calme et apolitique, hocher ici vigoureusement la tête à côté de ce bourrin, m'a donné envie de me réfugier six pieds sous terre.

Une nouvelle personne s'est détachée de la foule. Une jeune femme, cheveux aux vents, protégée de la brise polaire par un jean et un pull près-Noël. Son nom m'est revenu au moment où elle mit les choses au clair. Fia Akermån, une svécophone ayant fui l'agitation des villes pour le calme de la taïga, prêtant main-forte au vénérable bibliothécaire d'Ankalaulaa.

Je l'aimais bien. Elle avait ce petit accent marrant qu'ont les Suédois et la vivacité qui faisait cruellement défaut à nos enseignants. Je me souviens qu'un jour, elle s'était retrouvée invitée au collège pour nous parler de la littérature du XXe siècle. A la fin de l'heure on avait plus qu'une envie : filer à la bibliothèque pour emprunter tous les bouquins de Kerstin Ekman. Elle nous les avait vendus comme personne.

C'est une des rares adultes à avoir conservé la tête sur les épaules durant ces événements. Il n'était pas question qu'elle vienne, ni toute la population. Qui allait s'occuper des enfants et des plus âgés s'ils venaient tous à disparaître ? Sans laisser le temps à untuvatakissa de répondre, elle a proposé à la place de filmer l'avancé des "éclaireurs". Ça nous a bien fait sourire, jusqu'à ce qu'elle nous cite implicitement en exemple.

- Sachez que pendant que vous vous engueuliez comme des rats crevés à la salle des fêtes, des collégiens, que vous avez cru bon de ne pas conviés, étaient en train de retransmettre toute votre sagesse sur leurs smartphones. Inutile de vous insurger. C'est une bonne chose. Plutôt que nous battre entre nous, nous devrions faire pareil pour cette fichue expédition plutôt que d'envoyer tout le monde au casse-pipe !

Là pour le coup, les réactions ont été plus démonstratives. On a même pensé que certains enfiévrés allaient lui faire un paquito jusqu'à la mairie. Dans le brouhaha, l'homme en doudoune a maronné un certain temps, avant de hausser les épaules. L'idée de base était de jouer les héros avec ces deux potes de bistro, mission accomplie et plus encore. Va pour la retransmission !

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