Lune rouge

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La jeune femme referma la porte derrière elle et s’avança dans l’étrange jungle luminescente qui constituait l'antre de la créature férale. Elle détacha ses cheveux et les laissa retomber sur ses épaules : elle savait qu’il les aimait, et elle savait également qu’à ses yeux, ce geste était plus éloquent qu’aucune parole.

Le mâle se redressa, son panache odorant déployé derrière lui. Il était nu. Son sexe, colossal et engorgé, se dressait hors de sa cachette de fourrure sombre, lesté de deux énormes bourses qui paraissaient tendues à en éclater, maillées de veines palpitantes. Le cœur battant, la jeune fille quitta l’impressionnant organe du regard et se concentra sur le panache qui ondulait derrière. Elle sentait sa résolution faiblir. La créature, alors, passa l’épaisse queue de fourrure entre ses jambes. La jeune fille crut qu’il avait eu la miséricorde de lui épargner ce spectacle aussi troublant qu’inquiétant, mais il n’en était rien : après avoir frotté son appendice caudal sur son entrejambe une ou deux fois, il le déploya à nouveau, répandant dans l’air l’arc scintillant d’une nuée laiteuse, gouttelettes blanches qui vinrent terminer leur course sur le sol comme autant de petites perles nacrées. De nouveau, l’impressionnante queue de fourrure encore couverte de liquide irisé s’agita. Il la fit onduler, répandant le parfum musqué du rut partout autour de lui. L’odeur, suave et sucrée, faillit faire tourner de l’œil à la jeune fille. Elle se sentit immédiatement faible, le ventre affamé, les jambes coupées. Lorsqu’elle tomba, ce ne fut pas difficile pour son prétendant de la cueillir dans ses bras.

Le prédateur la coucha sur son lit, délicatement, sans la quitter des yeux. Il lui murmura des douceurs à l’oreille, des mots de miel et de braise qu’elle ne comprit pas. Il la caressa gentiment, la recouvrit de fleurs parfumées, l’embrassa. Lorsque ses longs doigts habiles se glissèrent entre ses jambes, s’insinuant sous le tissu synthétique, elles ne protesta pas. Les caresses la firent onduler de plaisir, et c’est elle qui, la première, se débarrassa de ses vêtements.

— Je peux te donner plus de temps, Très-Attendue, lui murmura son amant d’un air concerné, la douceur de ses paroles contrastant avec son faciès cruel.

Mais la jeune femme avait les entrailles brûlantes. Cela faisait longtemps qu’elle rêvait de ce moment, et peut-être plus longtemps encore qu’elle se le refusait. Elle ne pouvait plus attendre. Alors elle dénuda ses reins, présenta son ventre et ses seins au désir du mâle. Elle n’avait plus peur. La voix de la créature, étonnamment douce et suave, ses yeux de feu liquide pailleté de poudre d’or achevèrent de briser ses défenses. Elle le trouvait beau comme un dieu, et plus doux et caressant que tout ce qu’elle n’avait jamais connu. La façon dont il la regardait – avec révérence, presque timidement, mais avec tant d’ardeur et de passion à la fois – était tout simplement irrésistible.

— Ne crois pas que je sois influencé par la couleur de la lune, lui susurra-t-il. Je l’aurais fait de toute façon.

— Je me fiche de la couleur de la lune, coassa-t-elle, et d’ailleurs, j’ignore sa couleur présentement.

Les lèvres de son amant vinrent effleurer son cou.

— Elle est rouge, mais il est vrai que je suis seul à la voir, en ressentant les effets directement, lui répondit-il. Ne vas pas croire, non plus, que mes actes soient dictés par quelque désir déviant, d’une envie cruelle de ceux de ma race de posséder des humaines. J’aime ton esprit farouche et rebelle. Tu brilles comme un soleil.

La jeune femme gémit et se tordit comme un serpent, rendue folle par les caresses habiles et les mots de miel de la créature. Sa voix résonnait comme une musique basse et chantante à son oreille, et pour cela, elle trouvait ses paroles agréables. Leur sens, en revanche, lui échappait. Il parlait bien sa langue, mais assorti de cet accent guttural et exotique qu’elle trouvait si irrésistible, et qui lui rendait, sur le moment, ses paroles incompréhensibles. Tout l’esprit de la jeune femme était occupé par la lumière irradiante du plaisir. Elle sentait que s’il tardait trop, cet esprit allait exploser comme une bulle.

— Je t’en prie, haleta-t-elle. Viens. Je ne peux plus attendre.

Entre ses yeux mi-clos, elle aperçut le regard copal, sage et attentif. Ses doigts se retirèrent de ses plis humides, glissant le long de sa cuisse comme un serpent sinueux, et il se redressa.

La jeune femme ouvrit les yeux et regarda. Le corps de son amant était comme un vaisseau de guerre, anthracite et fuselé. Son sexe était comme une tour d’airain. Or, lorsqu’il s’enfonça en elle, lent mais inexorable, elle ne ressentit aucune douleur. On raconte n’importe quoi, songea-t-elle à travers les brumes de la félicité. Ces créatures n’amènent que du plaisir et de la joie.

De la joie et du plaisir, il lui en donna en effet au centuple. Cent fois, la jeune femme eut l’impression de sombrer au sein d’une mer immense, sans fond. Mais à chaque fois, il la ramenait sur le rivage, et elle ouvrait les yeux sur les siens, pétillants de toutes les étoiles du firmament. Comment avait-on pu lui cacher cette vérité ultime ? Comment pouvait-on vivre en se passant d’une telle splendeur ? Sur les côtes qu’il lui fit explorer avec tendresse et complicité, elle vit mille et une merveilles. Un bateau de cristal posé sur une mer d’encre d’opale, sur un ciel indigo. Des oiseaux au ramage chatoyant dans le firmament. Un puits interminable et splendide, tapissé de lave en fusion, dans lequel elle s’enfonçait sans ressentir la moindre crainte… Au loin apparut une montagne immaculée, portant à son sommet un palais d’or resplendissant.

Portée dans les bras de son amant, entourée par les ailes de son panache protecteur, elle se laissa aller dans ces abîmes inconnues. De sa gorge s’élevèrent de tendres et douces plaintes, alors qu’un dragon puissant et brûlant l’amenait au faîte de la montagne, aux portes du palais des dieux. Lorsqu’elles s’ouvrirent, elles connut une félicité paradisiaque, dépassant la chair. Elle n’était plus que feu. Une flamme nue, engloutie par le brasier immense de leur union.

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