Prologue - Babylone

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Grandeur : caractère de ce qui est grand, important.

Il pleuvait sur la grande Babylone.

Il pleuvait beaucoup ce soir-là. Le voile de pluie incessante filtrait les lumières de la cité. Ce voile gris mais splendide couvrait les buildings scintillants. Ce soir-là la splendeur de la ville avait quelque chose en plus. Ce petit grain de poudre qui rend la jolie femme merveilleuse. Ce rayon qui magnifie un simple coucher de soleil. Ce détail en plus qui rendait la cité plus somptueuse que jamais. La mégapole scintillait de mille feux grâce à la tempête qui déferlait sur la ville en un torrent majestueux tombé tout droit des halls légendaires - et plus que fictifs - du Valhalla. Il pleuvait souvent ici. Mais ce soir soir-là, plus que jamais. Mais malgré la tempête, on pouvait distinguer au-dessus des murs d’enceintes qui protégeaient la (sur)population, les lumières étincelantes et dégoulinantes de bleus et de violet teinté de rose, d’hologrammes immenses : Bonne année 2079 à tous les Babyloniens !

Les mille feux d’affiches en relief et même de personnages historiques holographiques se joignaient aux voeux de nouvelle année : une Marilyn Monroe immense dansait le long de la Wall Street, une autre danseuse, tout droit sortie du mythique Ballet du Bolchoï sublimée de ses pointes parfaites faisait profiter la Joy Alley de sa majestueuse danse. La Joy Alley, parallèle à la Wall Street, joignait ainsi une Marilyn Monroe heureuse de se retrouver sous les projecteurs à la danseuse russe. Son bras immense et parfaitement pixelisé se retrouva autour des hanches de la jeune - mais expérimentée - danseuse. Les hourras du milliard de Babyloniens sur place, tantôt à leur fenêtre pour admirer le spectacle, tantôt dans les rues à se prendre dans les bras et à danser, se mirent à lancer les “hourras” et à siffler la scène. Les doigts de la Monroe se baladaient le long des hanches de la danseuse de la même manière sensuelle qu’elle avait eue de chanter dans le célèbre “Some like it hot”. Les hommes en bas, admirant la scène la tête vers le ciel tant les deux charmants hologrammes de femmes étaient géants, se mirent à hurler “VAS-Y ! PLUS QUE CA ALLER !”. Et lorsque l’action devint torride et que la défunte actrice approcha sa bouche langoureuse et pulpeuse - et de ce rouge façon 1952, un rouge que seule la reproduction des projecteurs Ambre 3001 pouvait recréer - de celle de sa partenaire le tout se figea dans le temps, sous les huées d’une foule visiblement excitée et bouillante. Alors, en un quart de seconde, au rythme d’une fanfare holographique au coin de la rue, la scène reprit là où elle avait commencé : Marilyn Monroe se déhanchant au-dessus de la foule au bout de la Wall Street, puis la danseuse du Bolchoï apparaissant sur la Joy Alley. La même scène se reproduisait pour s'arrêter toujours au même instant. Excepté qu’une voix féminine, et aussi sensuelle que la scène que tous admirait, résonna dans toutes les rues : “Pour la suite, n’attendez plus et procurez-vous la dernière injection du NECTAR” Et malgré les huées et le vacarme de la foule frustrée, tous - oui, tous sans exceptions - ne tarderait pas à s’exécuter et bel et bien se procurer la toute dernière seringue de Nectar afin d’admirer la suite du spectacle torride une fois rentré chez soi…la folie des grandeurs d’un fantasme...

La voix féminine reprit : “Nectar, rapprochez-vous de la grandeur.”

Deux rues plus loin, la Kabukichô Street, aussi pleine de monde que la Wall Street, affichait un spectacle bien différent : des dragons japonais, style asiatique ancestrale, dansaient et vrillaient au-dessus de la foule en folie, tandis que des feux d’artifices - le tout toujours affiché et pixélisé en hologrammes parfaits sortis des projecteurs Ambre 3001 - éclataient à des distances du sol. Le tout au-dessus d’une foule heureuse et en joie en vêtements traditionnels Japonais - ou non d’ailleurs. Dans le vacarme on pouvait discerner des “Bonne année !” ou des “Meilleurs voeux de Babylone !” ou encore le célèbre “Babylone est grande !”. Chacune des rues au coeur de la cité brillait de mille feux, des choeurs de joie hurlant et chantant la bonne année et la grandeur de leur mégapole dont ils étaient si fiers, au milieu d’éclats de feux d’artifice rythmés à l’allure presque épileptique des projecteurs Ambre 3001. Mais le chef d’orchestre de la fête demeurait la voix féminine, langoureuse, attirante et presque sexuelle, résonnant à l’infini son slogan charmeur dans toute la cité : “Le Nectar, rapprochez-vous de la grandeur.”

Tout ceci n’avait de sens que si on était Babylonien.

Et de toute manière, ne restait plus que les Babyloniens. Du moins, ne respirait plus que les Babyloniens. Car Babylone demeurait seule face à l’apocalypse. Ses murs hauts de plusieurs centaines de mètres, aussi solides et épais que la plus épaisse des roches, témoignaient de sa grandeur et de ce qu’Elle avait pu subir. De gigantesques murs noirs, grands, immenses, aussi effrayants qu’ils n’étaient puissants, en contraste total avec la fameuse Tour.

La Tour de Babylone se dressait au centre de la cité, au milieu de la fête et de la joie, insensible à ce qui se déroulait en bas, insensible aux hologrammes de jouissance d’une Marylin Monroe ressuscitée, sans aucune considération du bonheur de traverser une nouvelle année, non. La Tour de Babylone se contentait de se trouver là, à plusieurs kilomètres du sol, au milieu de la tempête qui, malgré des vents violents, ne la faisait jamais trembler. Les buildings de la cité, ici deux tours jumelles familières, là, un quartier des affaires, n’avaient rien à envier à la Tour. En fait, tout ici faisait office de mastodonte de béton, d’acier ou de pierre. Une architecture riche, puissante mais à la fois distinguée et légère, comme si une femme en avait dessiné jusqu’aux fondations. Un pont rejoignait aussi deux rives, un peu plus loin du centre : un pont rouge aux filaments et câbles rouges, que l’on appelait Golden Gate. Loin, très loin du quartier des affaires se trouvait la partie des artistes que l’on appelait Pari. Ici, une tour d’acier, la Dame de Fer, se dressait fièrement, tout aussi impassible par la fête que les autres buildings. Tout ici était immense. D'une grandeur et d’une magnificience qui aurait surpris tout étranger venant d’au-delà des mers...

Modernité, antiquité. Tout avait été reproduit ici, à Babylone, le dernier fief de l’humanité après l’apocalypse qui rongea le monde...

Il semblait qu’un continent entier s’étalait à perte de vue aux pieds de sa majesté la Tour. Une tour d’un blanc immaculé scintillant presque dans la nuit. Un continent riche, formant vagues successives de buildings, labyrinthes de rues riches en Histoire, d’immeubles tutoyant les cieux et d’hologrammes colorés se baladant au gré du plaisir d’une foule en folie. Une Marilyn somptueuse, un Elvis pixelisé et comme neuf jouant son impétueux et éternel “Hound Dog” résonnant sur Elm Street, une publicité Apple, ici une reproduction de DeLorean, là un King Kong grimpant un Empire State Building puis sautant sur les premières marches de la Tour.

Tous recommençaient leurs mouvements à l’infini et se contentaient de faire ce pourquoi ils avaient été créés et ce pourquoi l’Ambre 3001 les projetait : attirer le regard et susciter l’envie de consommer.

“Le Nectar, rapprochez-vous de la grandeur.”

Il y avait Babylone.

Ou il n’y avait rien.

Il y avait le fameux Nectar...ou il n’y avait rien.

Babylone était le centre de ce tout. Après ce qui était arrivé, il était impossible de vivre au-delà des murs. Babylone était le tout, et l’extérieur était le rien. La cité se trouvait au milieu d’un océan froid, glacial et mortel. Aucun bateau, aucun navire (à part pour la pêche et les rondes de sécurité extérieurs autour des murs), rien d’autre à part l’océan froid et dangereux. On avait depuis longtemps cessé de parler d’une vie au-delà des océans... La cité scintillait au milieu de la mer. Un paradis perdu en quelque sorte. La population s’y élevait à un milliard. Il avait été très complexe de recenser la population mais cela avait été fait, en plusieurs années évidemment. Les différentes ethnies y vivaient en harmonie. Une paix constante qui n’avait pas été ébranlée depuis bien longtemps. Tous se comprenait, tous se supportait. Et cela grâce au Nectar. La seule problématique avait été des années durant le soucis de nourrir tout le monde. Mais tout avait été arrangé depuis bien longtemps également. Cela grâce au Nectar. Les guerres, le milliard d'habitants de les connaissaient plus. Grâce au Nectar. Le Nectar était partout, en chacun d’eux, du plus jeune habitant au plus ancien. La politique actuelle n’avait jamais été aussi prospère : depuis le quartier des affaires et la pyramide du QG de la police babylonienne - la B.P.D. faisant office de police nationale -, à deux pas de la Wall Street, en bordure de la ville. Chaque lois découlait d’une seule et unique règle : consommer le Nectar. Maintenir la paix sociale...à l’aide de ces injections. Oh demeurait les rebelles, les hérétiques refusant toute prises de Nectar. Victimes d’hallucinations et de folie, ils demeuraient enfermés dans les souterrains de la belle Babylone, dans le domaine pénitentiaire. Prix à payer pour le seule crime de ces temps modernes...

Cette nouvelle année, comme toutes les précédentes était une réussite. Les hologrammes plus vrais que nature - merci Ambre 3001 - permettaient réellement au milliard de profiter de la fête de manière immersive. Un réalisme augmenté grâce à la dose de Nectar suffisante dans le sang.

En revanche, demeurait une chose que personne ne semblait savoir. Personne ici présent en tout cas.

Car si ce soir-là marquait le passage de la grande Babylone à la nouvelle année, cette dernière allait aussi marquer sa chute, sa déchéance. A l’aube de cette nouvelle année 2079, année de décadence de la grande Babylone.

Décadence : Acheminement vers la chute, la ruine.

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