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Célestin s’arrêta enfin pour reprendre son souffle. Il avait parcouru le chemin jusqu’au refuge au petit trot, s’octroyant quelques instants de repos avant les zones un peu difficiles afin d’éviter un accident. Cette randonnée était accessible aux enfants, ce qui la rendait très aisée pour lui, mais il était si facile de faire un faux pas à la faible lueur de la torche ! À moitié rassuré de n’avoir trouvé aucune trace de chute sur les bas côtés, il en conclut que Kajsa était au moins arrivée au gîte. Si elle avait emprunté cette route.

Le bâtiment se dressait à présent devant lui, ombre nette sur l’ombre de la nuit, le dominant de quelques mètres. Ce n’était pas une fière bâtisse comme l’on en voyait sur les photos de montagne, mais plutôt une vieille grange à demi écroulée qui avait été rénovée de part en part avec les moyens du bord. De gros rondins de bois encore couverts d’écorce remplaçaient les murs tombés sur toute la zone est. La porte était fermée par une bobinette, qui lui évoquait systématiquement le conte du Petit Chaperon rouge. Un frisson le secoua à l’idée que le Loup puisse rôder dans les environs — l’endroit était propice à ce genre de pensées lugubre à cette heure de la nuit. Célestin carra les épaules et ouvrit la porte. Le faisceau de sa torche balaya rapidement l’unique salle rectangulaire du gîte, déserte. Sur le sol en terre sèche se dessinaient d’innombrables traces de pas. Celles des randonneurs de la journée ? Le silence régnait. Il referma derrière lui pour éviter qu’un courant d’air la fit claquer et lui cause une terreur affreuse, puis s’aventura jusqu’à l’échelle de bois qui permettait d’accéder à la mezzanine.

Les barreaux inférieurs étaient cassés — une mesure éxécutée plusieurs années auparavant pour empêcher les petits enfants de monter. Il coinça la lampe torche entre ses dents, prit son élan et sauta afin d’attraper les échelons supérieurs. Après quelques contorsions, il parvint à y poser un pied et grimper les derniers centimètres. Le bruit qu’il avait fait avait réveillé une famille de loirs qui s’agitait à présent, raclant les murs. L’homme expira posément pour calmer son cœur qui cognait par bonds. Il passa la tête au-dessus du plancher pour observer la mezzanine. Il y avait bien quelqu’un au fond. Une personne qui se protégeait le visage de la lumière directe de sa torche. La reprenant à la main, il réorientale faisceau pour ne pas l’éblouir.

– Kajsa ? Kajsa, c’est toi ?

Elle finit par baisser le bras et le regarda entre ses yeux plissés. Non, ce n’était pas elle. C’était une fillette, enroulée dans une couverture mitée.

- Qui es-tu ? lui demanda-t-il.

Elle ne répondit pas, le fixant entre terreur et incompréhension.

– Où sont tes parents ? Es-tu perdue ? Je peux te ramener en ville.

La petite attrapa son sac à dos comme un bouclier. C’était bien sa chance, ça ! Elle devait le prendre pour un fou dangereux, de débarquer à cette heure de la nuit au milieu de nulle part ! Il hésita un instant, puis décida de rentrer dans la mezzanine — l’échelle n’était pas franchement confortable et il était épuisé. Une fois en haut, il s’assit du côté opposé à la fillette pour ne pas l’effaroucher.

– Je ne veux pas te faire de mal. Je cherche une amie, une femme blonde, elle s’appelle Kajsa. Elle est partie tout à l’heure, mais n’est pas encore revenue chez elle. Elle a dû s’égarer dans le coin… Je m’appelle Célestin, j’habite au Haut-Fareau ; c’est un village dans la vallée… D’où viens-tu ? Pas très loquace, hein ?

Il appuya la tête contre le mur, ferma les yeux. Que faire ? Le plus logique était de contacter la police, au cas où la petite ait été portée disparue. Voilà, Kajsa était majeure et vaccinée, elle connaissait la région : elle se débrouillerait. Cette fillette, par contre, c’était une autre histoire. Il sortit son téléphone, composa le quinze et attendit. L’enfant parut terrifiée.

– Je vais prévenir la police, ta famille doit te chercher partout.

Elle secoua la tête violemment en signe de dénégation.

– Pourquoi ?

Bip bip bip clung !

Pas de réseau. Il raccrocha.

– Tu as peur ? De quoi ? De la police ? Que tes parents te retrouvent ? Ils doivent être très inquiets à cette heure… Non ? Pourquoi ?

Elle ne semblait vraiment pas en verve. Célestin en profita pour sortir sa gourde et boire quelques gorgées d’eau fraîche. Il avait des barres vitaminées dans le sac, ce qui pourrait toujours lui tenir lieu de dîner ou de petit-déjeuner. Où pouvait bien être Kajsa ? Il regarda de nouveau l’enfant qui fixait sa bouteille avec intensité.

– As-tu soif ?

Elle hocha la tête positivement. Bon, au moins, elle comprenait ce qu’il disait. Il fit rouler l’objet dans sa direction. Après quelques instants, la fillette s’en saisit et avala goulûment le contenu.

– Ne bois pas tout, nous en aurons besoin pour demain. Il fera jour, chaud. Nous serons bien contents d’avoir de l’eau… As-tu faim ?

Elle acquiesça timidement. L’homme fouilla de nouveau dans son sac pour en sortir de petites barres emballées dans un papier craquant. Il lui en lança une et en libéra une autre qu’il croqua. Zacharie observa le paquet dans la chiche lumière de la lampe torche du monsieur — Célestin. Ses parents lui avaient toujours dit de ne pas accepter de friandises de la part d’inconnus. Mais ses parents étaient des menteurs. Et elle avait faim. L’homme n’avait pas l’air méchant, juste épuisé. D’ailleurs, il avait été surpris de la voir ; peut-être disait-il la vérité en parlant de son amie : la femme avec un nom imprononçable.

Zacharie déchira l’emballage le plus silencieusement possible puis mordit un coin. Céréales enrobées de miel. Fruits rouges. Ce n’était pas sa saveur préférée, mais elle avait faim. Qui était ce monsieur ? Où se trouvait le village de Haut-Fareau ? Elle n’avait jamais entendu ce nom. Ce qui était tout à fait normal, étant donné qu’elle n’était pas de la région.

Quand elle eut fini son maigre repas, elle reporta son attention sur l’homme. Il était assis dans un angle, le dos et la tête appuyés contre le mur, les yeux fermés. Dormait-il ? Non, car elle voyait ses doigts triturer son téléphone portable. Envoyait-il un message ? Non, l’écran était éteint. Elle hésita à s’enfuir, mais il était plus proche de l’échelle qu’elle.

Et si c’était un de ces monstres dont on lui avait parlé ? Un de ces hommes qui font semblant d’être gentils, mais qui se transforment quand on commence à les suivre et qui font des choses horribles aux enfants ? Zacharie frissonna. Il avait l’air normal, pourtant. Pas de dents démesurées ni baveuses, pas d’oreilles pointues ou de doigts crochus… mais la coïncidence était tout de même saugrenue : pourquoi aurait-il perdu son amie comme par hasard cette nuit, et dans ce refuge ? Elle avala sa salive en l’observant.

Et si… son cœur battait à tout rompre. Et si c’était lui qu’elle cherchait ? Dans la pénombre de cette ancienne grange, n’importe quel homme aurait pu correspondre. Zacharie ferma les yeux pour se remémorer l’image ; une vieille photographie déchirée qu’elle avait trouvée au fond du grenier. Son frère. Le portrait était mauvais, mais elle avait désormais un visage à mettre sur ces mots. Son frère, qui devait vivre quelque part dans cette région. Elle finirait bien par le trouver.

L’homme bougea, ce qui lui fit rouvrir instantanément les paupières. Il se redressa et bâilla. Alluma son téléphone, y cherchant quelque chose. Puis soupira et l’écran s’éteignit de nouveau.

– Je suis épuisé, je vais dormir ici. Nous parlerons demain de ta situation. J’ai une voiture sur le parking ; je pourrais te raccompagner chez tes parents, si tu veux.

L’homme s’allongea en lui tournant le dos, la tête posée sur son sac en guise d’oreiller. Zacharie hésita à profiter de son sommeil pour s’enfuir… pour aller où ? Quelles bestioles erraient dans la forêt la nuit ? Elle avait trop peur de ressortir. Trop peur de s’endormir. Elle resta assise dans un angle, les bras serrés autour de son sac à dos. Pour vaincre la fatigue, elle s’inventa des poèmes.

Ton frère est mort

Ont-ils dit

Mais sur la photo, il vit

Ton frère est mort

Zacharie


Votre colère…

Mort, menteurs !

Et pourquoi nul ne le pleure ?

Votre colère,

Ma douleur


Les disparus

Des années

Ressurgissent du passé,

Les disparus

Just’ cachés


Il est parti

Ont-ils dit

Son sourire vous trahit

Il est parti

Zacharie

Et Zacharie s’endormit.

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