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- Tu es revenue pour longtemps ?

- Pour mes deux semaines de congés, au moins. Je ne sais pas.

- Comment peux-tu ne pas savoir ?

- C’est compliqué…

- Développe.

Kajsa lança un regard étrange à Célestin tandis qu’elle refermait le portillon de son jardin derrière eux. La nuit commençait doucement de tomber, voilant la clarté de ses iris sous son bleu endormi.

- Je suis… assez déçue par l’organisation de mon projet actuel. J’aimerais quelque chose de plus structuré, avec un objectif non mouvant. En ce moment, les plans changent tous les mois, c’est assez compliqué de lancer de quelconques travaux dans ces conditions.

- En quoi cela conditionne-t-il le temps que tu passes ici ?

- J’hésite à poser ma démission.

– Quelle est la durée de ton préavis ?

– Un mois. C’est assez court. J’ai encore des jours de congés à écouler donc si je démissionne, je peux enchaîner trois semaines supplémentaires de vacances ici.

– Et que ferais-tu après ? As-tu des pistes ?

– Pas vraiment. Enfin, si, j’ai reçu des offres pour trois entreprises, mais ce serait de l’architecture industrielle, ce qui ne me passionne pas du tout.

– En Suisse ?

– Oui.

– Prévois-tu de rentrer en France, un jour ?

La jeune femme ne répondit pas, se contentant d’ouvrir le portillon des voisins.

– Et toi, plutôt ? Tu as bien changé depuis le temps.

– Tu trouves ?

– Mes parents ne m’avaient pas dit que vous vous entendiez aussi bien tous les trois.

– Ça date, pourtant. Mais tu n’étais pas revenue depuis… treize ans, non ?

– Je suis rentrée bien souvent, au contraire ! Ce n’est pas parce que tu ne m’as jamais croisée que je ne suis pas repassée ici. Où vis-tu, d’ailleurs ?

– J’ai fait mes études à Lyon. Puis je suis resté deux ans à Paris ; je ne me suis pas fait au mode de vie. En ce moment, je suis à Toulouse pour ma mission.

– T’y plais-tu ?

– Oui, c’est tranquille comme endroit. Je ne m’y projette pas pour toujours, mais quelques années de plus me conviendraient bien.

– Bon, nous y sommes, as-tu les clés ou dois-je sonner ?

– Ce n’est pas parce que je n’habite plus chez mes parents que je ne peux plus y aller et venir à ma guise. Tiens-moi cela.

Ils échangèrent le plateau afin que Célestin puisse sortir le trousseau de la poche arrière de son jean et ouvrir la porte en bois massif.

– C’est amusant, je ne suis jamais entrée toi… remarqua sa voisine en observant le jardin.

– Nous n’avons jamais été bien proches, commenta-t-il laconiquement.

– C’est vrai. Les fleurs sont splendides ; Maman adorerait.

– Elle les adore en effet. C’est elle qui les entretient une fois par mois. Nous en avons planté certaines ensemble d’ailleurs.

– Quand cela ?

– Oh, j’ai oublié. C’était au lycée sûrement… Elle nous a offert une bouture de rosier absolument magnifique.

– Des roses baccaras bleus ?

– Comment le sais-tu ?

– Je peux les voir ? demanda-t-elle les yeux soudain brillants.

– Euh… Si tu veux. Attends, je te débarrasse.

Célestin s’absenta quelques instants pour poser le plateau de victuailles à l’intérieur puis ils contournèrent la maison par le jardin, observant les fleurs qui s’endormaient doucement.

Au fond, le rosier.

Ses ramures se paraient de délicats pétales de velours safres brodés de perle, enfermant en leur cœur des larmes lapis-lazuli qui coulaient timidement leurs robes hors de cet écrin de tendresse sombre. Elle frôla les auréoles claires d’un bouton…

– Elles sont sublimes…

– Ce sont mes préférées. Madame Larsen les révère.

– Vraiment ? Je pensais qu’elle ne les avait jamais aimées.

– Au contraire, elle en prend un soin infini. Parfois, je me demande si elle ne vient pas uniquement pour les dorloter.

Kajsa sourit tristement.

– C’est moi qui les avais bouturées.

– Toi ? Mais tu n’as jamais touché une plante de ta vie !

– Si. Quand j’étais petite, je voulais devenir fleuriste, comme maman. Je passais des heures à essayer d’inventer de nouvelles espèces. La plupart du temps, cela ne donnait rien, mais j’ai réussi quelques expériences. Tu vois le carré couvert au Nord-Est de mon jardin ?

– Celui avec les dahlias noirs ?

– Tout à fait. C’était mon laboratoire à l’époque. J’y faisais pousser tous types de plantes. C’est là que j’ai créé ces irisées bleues.

– Madame Larsen n’en a jamais parlé. Elle dit plutôt que tu n’as jamais eu la main verte.

– Cela ne m’étonne pas : elle détestait mes fleurs. Je pensais qu’elle les aurait toutes arrachées quand j’aurais quitté la maison. D’ailleurs, j’ai toujours cru que c’est ainsi que mes roses avaient disparu.

– Pourquoi ?

– Elle les trouvait tristes.

– Je les trouve belles au contraire. Il y a beaucoup de teintes dans chacune. Ce sont un peu des variations d’humeurs.

– Je suis contente qu’au moins une personne les voie ainsi.


Des crissements de roues les tirèrent de cet échange, suivis par des claquements de portières et des voix joyeuses :

– C’est ici tu crois ? Mais c’est vraiment le bout du monde ! Quand tu connais son appart', comment imaginer qu’elle a grandi dans un bled paumé comme ça ?

– Hey ! Z’êtes là ? s’exclamait Justine. Supeeeer ! Faut juste que Sassa r’vienne vite ! Allez allez, entrez ! Coucou toi ! Chat-va chat va ?


– Enfin, je dois rentrer, j’ai des invités sur le feu… Merci… Célestin.

Ils contournèrent de nouveau la maison. Avant de s’éloigner vers le portail, elle sembla se rappeler un sujet assez important :

– Tu voulais me parler de quelque chose, non ?

– Oui, mais là tu n’as pas le temps. Nous verrons cela une autre fois.

– As-tu des plans demain ?

– Jusqu’à quinze heures.

– Alors, passe chez moi quand tu seras libre. Tu n’auras qu’à sonner, je ne pense pas partir en vadrouille de la journée.

– Je viendrais te prendre à seize heures.

– Me prendre ? Nous irons quelque part ?

– Pourquoi pas ? Tu devrais y aller, Justine va finir par se faire des idées fausses.

– Ne la crois pas si rapide à sauter aux conclusions, elle est agrégée de philosophie. Son chouchou est Descartes.

– Je n’aurais pas deviné. Je l’imaginais plutôt commerciale ou responsable marketing.

– Alors un petit conseil, sais -laisse-t-un : oublies tes préjugés ; tu risques d’être celui qui se fait des idées fausses.

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