[ ɛ̃ səɡɔ̃ fis ply ɛ̃tʁepid mɛ ʁadjøzmɑ̃ ɑ̃ɡwasɑ̃, kil nɔma fytyːʁ. ] (2/2)

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— Que viens-tu faire ici, émissaire Löki de Moonabé, citoyenne du Consilium ?

Une seconde, elle hésita, démunie par toute cette pompe, mais surtout piquée par une sensation étrange au creux de l’estomac, une vague émotion à fleur de conscience, qui trompe aisément les sens mais jamais la mémoire, oui, celà même, ce bref et désagréable sentiment de déjà-vu… Mon vieil ami tendit son doigt branlant, indiqua d’un vacillement du menton qu’elle pouvait approcher. Elle s’élança d’un bon, fit trois pas plein d’assurances. Du même élan, elle jeta un genou au sol et s’inclina au bas des marches, d’un geste chevalier arraché à la noblesse d’une humanité oubliée, aussi enterrée que les valeurs qui l’ont portée. Du moins l’ai-je cru. C’est pourtant ce qu’elle fit, que je l’ai décidé ou non. Elle fléchit le genou, courba l’échine, puis m’interpella de sa voix rauque, de cette certitude naïve qui justifiait mon choix, de ces détails pour lesquels je l’avais choisie.

— Seigneur, je ne suis que messager. Le Consilium me charge de vous proposer une alliance. Je rapporte leurs mots : une alliance forgée dans la paix, pour la paix, pour le bien de l’humanité et celui de l’univers. Nous garantissons déjà la protection de près de huit millions de planèt…

Politique ! Discours creux d’un ennui sans nom mille fois répété ! Mais il lui fallait jouer le jeu dont j’avais écrit les règles…

— Huit millions de planètes réparties sur deux cent sept galaxies. Oui oui oui… Mais que peut bien connaître ce… Consilium du bien-être de l’univers, Löki de Moonabé ? En quoi est-il donc si certain qu’il travaille à son bon déroulement ? Il semble aussi aveugle qu’arrogant dans ses suppositions ! Presque autant que son émissaire… Je te demandais, jeune Löki, ce que toi, tu fais ici. Je n’entends pas ta voix. Quel est ton rôle dans cet univers et quelle voie suis-tu ?

Oui, j’ai semé le trouble. C’était le seul choix possible. Qu’elle trébuche sur ses certitudes ! Tant qu’elle sombrait, tant que l’encre de ses veines l’encolérait, il restait un brin d’espoir. Il persistait une maigre possibilité qu’elle trouve une lézarde dans le mur de silence qui s’apprêtait à nous écraser. Elle jeta un regard sans équivoque à Cérumorn, à Agnoran, s’assura qu’on ne se jouait pas d’elle, puis revint à moi, allumée. Enfin ! Elle racla sa gorge comme lame crisse au fourreau.

— J’suis pas certaine d’intercepter votre trajectoire, seigneur ! Captez-moi, je tiens pas à gaffoller. Je suis pas venu traîner mes bottes dans ce trou à l’autre bout des mondes pour bavetter sur mon âge ou le sens de la vie, sauf… si vous jactez d’un crache-cash à pleuvoir des crédits, auquel cas, pour sûr, on peut jouer négoce dar-dar… mais je doute qu’il s’agisse de ça, hein ? Le Consilium compte sur moi, vous suivez ? pour vous fourguer cette alliance. Un bon concept je crois, que vous devriez capter il me semble, parce que c’est une idée qui porte la paix, et la paix c’est…

— la stagnation ! Nous connaissons la paix. La paix précipite la mort, comme l’isolement précipite la folie !

Si prévisible. Si colérique. Elle me jaugea de ce regard méprisant que j’avais appris à encaisser tant de fois.

— Débranche-moi, pir@te, mon @me se déchiffre pas « grogol » ! Vous tous, là, perdus dans votre trou, me paraissez bien enjaillés qu’on vous la foute, la paix, depuis des millénaires !

Le peu de sang encore tiède de Cérumorn paru griffer d’un trait son visage blême.

— Gardez votre rang, messager ! Vous devez dire « seigneur » lorsque vous vous adressez au Grand Dissip…

— Allons, allons mon ami, économise ta voix ! Notre invitée ne fait que répondre à mes provocations. Tu le sais, elle ne s’aventure pas plus loin que je l’ai décidé. La paix, vois-tu, Löki, nous la tolérons tout au plus comme un mal nécessaire. Et nous la compensons, au gré d’âpres rituels surannés. Oui… nous connaissons le prix de la paix. Et toi, te crois-tu capable d’en payer le prix ?

Cérumorn se renfrogna dans ses tremblements d’étendard en berne. Agnoran ne la lâchait plus des yeux. L'excitation se dessinait sur cette mine souillée d’indigo. Ils ont la peau fragile, mes Mort-nés… mais sous l’écorce, un bois dur. Elle s’était précipitée ici sur mes ordres sans prendre la peine de se décrasser. Ma fille avait déchiffré un signe sans immerseur ni extrapolateur. Elle participait dans son idée à la fondation d’un événement, aspirait sans nul doute à sentir le Vivant… Petite personne sujette à l’égolatrie, pas tout à fait femme mais déjà plus enfant ! J’ai eu pitié. Si elle avait su, elle aurait répandu le sang dans la minute sans hésiter, jusqu’à noyer le manuscrit de nos voix ! Löki bouillait dans sa soupe de données imbuvable.

— S’agit-t-il d’une menace ?

J’explosai d’un rire féroce.

— Je te lis comme un livre ouvert, Löki de Moonabé ! Je ne suis pas celui qui menace, non. Tu n’inverseras pas les rôles… Sais-tu qu’autrefois, l'@me d'un homme lui appartenait ? Il était libre de la garder sienne ou de la donner en pâture au dieu de son choix. Il mourrait seul. Indécent, n’est-ce pas ?

Löki frissonna de dégoût.

— Quelle tristerie ! Tu abuses du divago, Dissipateur ! Ça en a dés@mé plus d’un cette c@me… Le passé, ça poque la guerre et la mort. Faut être secoué du casque pour en ressasser les effluves ! À vous pavaner sous vos soleils loin des mondes, vous avez manqué un bout de l’histoire, il me semble ! Là bas, on crève égonnectés par millions depuis trop longtemps pour ignorer que la paix n’a pas de prix ! Et vos contes de dieux et de dés@més, ça n'intéresse personne !

— Et pourtant, tu es parmi nous, les Mort-nés, les @mes libres, ceux qui portent la mémoire et l’esprit de l’homme ! Seule mortelle en dix millénaires à poser le pied sur notre territoire ! Ceux qui t’envoient ici s'intéressent aux légendes… Ils ont peur. Ils nous craignent de toute leur ignorance ! Nous sommes le passé, Löki. Et qui connaît le passé connaît l'avenir. Nous sommes les Mort-nés, en dehors du temps et jusqu’à cette heure, sans ici ni maintenant. Nous sommes ceux qui dissipent les cœurs, brassent les signes et pressent les @mes !

Löki se mit à trembler, le souffle court. Une angoisse blanche lui saisit cœur et @me.

— Je… Je ne me sens pas tout à fait moi. Vous n’êtes qu’une bande de.... dés@més, pas des… dieux ? Pas pointé sur… ce caillou… pour me faire... corromvertir !

— Non, jeune Löki, je ne suis pas un dieu... Mais dans cet ici et maintenant, je suis pour toi ce qui s’en rapproche le plus. Nous avons un adage sur Probo. Qui sait d’où il vient sait où il va ! Nous, les Morts-nés, venons de nulle part et n’allons guère plus loin. Nous guidons. Toi, jeune @me, tu ne sais même pas où tu es !

L’étrangère tétanisée se répandait en flaque de sang d’encre. J’ai observé mes Mort-nés du coin d’un silence. Cérumorn semblait assoupit, à contre-temps, et Agnoran, insatiable d’à venir, donnait l’impression de se repaître de chaque goutte. Qu'il s’étire, ce présent ! Lokï se releva tant bien que mal, tituba un pas après l’autre, de marche en marche, dans ma direction.

— Vous… tentez de me dés@mer !

— Allons donc, tu n’y es pas ! Bien au contraire, nous tenons à ce que tu restes toi, et même un peu plus ! C’est pour cette seule raison que je t’ai choisie.

— Vous ne m'avez… pas choisie !

Cela devait s'arrêter. Elle s'effondra comme un pantin sans fils à mes pieds. Le bruit du choc ne sembla pas surprendre le sommeil du vieux Cérumorn.

— Que tu crois, jeune Löki ! Nous reprendrons la leçon plus tard, lorsque tu seras apaisée.

Le dernier rayon du dernier soleil s’évanouit à son tour. La grand-nuit débutait et la cérémonie du solstice attendait son Grand Dissipateur.

— Agnoran, où est ton frère ?

— Tiriam doit certainement s’apprêter pour les festivités, père…

— Fais le venir. Vous vous occuperez d’elle. Demandez une chambre et égonnectez-la au réseau avant qu’elle ne perde totalement pied. Elle doit prendre contact avec les siens… et avec ce Consilium. Allez ! Va !

Elle fila. Brave enfant… J’ai rejoint mon vieil ami et l’ai soutenu de mon bras droit, comme l’aurait fait un fils.

— Allons, Cérumorn, si nous allions nous aussi nous préparer pour la fête ?

Il sursauta, ouvrit les yeux avec difficulté et me tapota la main au rythme de son crâne dodelinant. En pensant au destin qui l’attendait, la peine faillit me déborder. Sans un mot, nous avons quitté la pièce enveloppée d’ombres. Löki gisait sur les marches. Agnoran s’occuperait bientôt d’elle.

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