Nouvelle 44 : LA ROUSSE FLAMBOYANTE

2 minutes de lecture

Je ne voyais qu'elle et sa chevelure de feu. Une rousse majestueuse. Oh, pas une petite blonde qui se serait fait une teinture rouge automne, ou une brunette qui aurait voulu donner des reflets auburn à ses ailes corbeau. Non, non, une vraie de vrai. Une à la peau laiteuse, marquée de ces tâches de son qui affolent les véritables adeptes. Par contraste, ses cheveux formaient un halo rougeoyant, formidable peinture d'un feu de braise encadrant deux yeux d'un vert émeraude. Mais ces deux joyaux, j'eus à peine le temps de les entrevoir. La belle s'était enfuie du restaurant où j'avais repéré son aura diabolique.

Je jetai là ma serviette, abandonnai mon dessert sans l'avoir même goûté, un fabuleux fondant au chocolat dont j'avais l'eau à la bouche, et je m'éclipsais après avoir laissé bien en évidence le seul gros billet de mon portefeuille, figure qui ne me rendrait hélas pas la monnaie.

Je me précipitai à la suite de la belle, en oubliant presque mon manteau. Elle me faisait perdre la tête. Je devais avoir l'air bien nigaud, une manche gigotant vainement dans mon dos, tandis que je m'évertuais à y insérer mon bras frigorifié par le froid m'ayant saisi au sortir de l'établissement. À moitié vêtu, avançant en crabe, penché en avant pour finir d'insérer ce fichu bras récalcitrant, je fouillais les trottoirs du regard. Tant de chapeaux, de bonnets, d'écharpes gigantesques, de capuches... Où avait-elle disparu ?

Je n'aurais pas dû craindre de la perdre si tôt. C'est son éclat qui me la fit retrouver. Son feu ardent éclipsait toutes les autres couleurs de la rue. Étaient-ce ses cheveux qui lançaient de telles étincelles ? Une magie quelconque, un effet des lumières ambiantes, l'atmosphère de Noël ? Sa chevelure semblait sur le point de s'embraser, d'un rouge profond, lançant des éclairs bleu nuit, saupoudrée d'une touche de violet. Une féérie, ou une diablerie.

D'autres furent saisis par le phénomène et commencèrent à s'exclamer, à la montrer du doigt, s'écarter de son chemin pour mieux l'encercler, le circonscrire. La pauvre chercha à fuir, en vain. La foule se fit compacte, moqueuse, vindicative, hargneuse.

Je tentai de m'approcher, espérant la soustraire à cette furie imprévisible. La foule est mauvaise conseillère, surtout face à l'inconnu, l'étrange. Quoi de pire lorsque la foule a peur et pense pouvoir vaincre son cauchemar ? Voyait-elle en cette femme et sa rousseur semblant prendre vie, une réminiscence de sorcellerie ?

Je jouais des coudes, de la voix, marchais sur des pieds, bousculais les uns, forçais les autres à reculer devant mon assurance. Soudain, tous se mirent à hurler d'horreur. Une terreur ancestrale avait pris le dessus et s'exprimait à travers mille gorges déployées. J'arrivais trop tard. Pourtant je ne m'étais pas attendu à un tel spectacle. J'avais cru la foule avide de vengeance, de cruauté, de lynchage, pour des raisons d'obscurantisme ancien, pour ces souvenirs communs de peurs inavouées à refouler à tout prix.

Il n'en était rien. Nous assistions, vaincus, à un flamboiement total, hors du commun, relaté sans avoir jamais été effectivement constaté de visu. Cette fois, ma belle nous l'offrait en ce sacrifice absolu, que nous ne comprendrions jamais.

Non seulement sa magnifique chevelure, mais son corps tout entier, s'illuminèrent d'un éclat intense avant qu'une flamme incandescente l'embrase dans son ensemble et ne laisse d'elle que quelques cendres dispersées au vent d'hiver.

Annotations

Vous aimez lire Morgazie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0