Nouvelle 41 : DIVERGENCE

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Elle n'aimait pas les gens, seulement les personnes. C'est ce qu'elle disait souvent. Et peu la comprenaient. Habituel pour une Aspie... Ce qu'elle entendait par là, c'est qu'elle pouvait s'attacher aux individus, à leurs particularités, leurs spécificités, leur originalité. Mais elle ne supportait pas les groupes. Plus de deux personnes et elle ressentait un malaise. Une insécurité.

Les groupes véhiculaient une énergie qui leur était propre et qu'elle n'appréciait pas. Elle la ressentait dans chaque pore de sa peau et la transpirait abondamment. Des crises d'angoisse la saisissaient à chaque bain de foule. Les émotions des uns et des autres, aussi variées qu'intenses, la secouaient, la surprenaient, la bouleversaient. Elle ressortait de ces immersions épuisée, en morceaux.

Lorsqu'elle s'insérait dans un groupe de deux ou trois individus, qu'elle faisait l'effort d'une conversation, c'était encore autre chose. Les paroles fusaient, de ci, de là. Les sons ricochaient, lui parvenaient confus, disloqués, transformés, brisés. Les gestes et les mimiques de ses interlocuteurs se percutaient à ses yeux fureteurs. Elle ne savait vite plus où donner de la tête, des yeux et des oreilles. Écouter, comprendre et regarder se confondaient en un chaos d'ordres et de contre-ordres en son cerveau bientôt en surchauffe. Bien trop souvent, les paroles se révélaient en contradiction avec les gestes des corps... Les dialogues en totale opposition avec le langage non verbal lui donnaient le sentiment d'un mensonge éhonté au su et au vu de tous, insupportable. Elle émergeait de ces rencontres dans un état de nerf frisant la crise, quand elle n'avait pas malencontreusement exprimé ses ressentis au grand effroi de tous. Alors, elle n'était plus que désespoir, seule et rejetée.

Non, vraiment, elle n'aimait pas les gens, seulement les personnes, celles qui pouvaient s'exprimer en direct, dans un langage cohérent avec leur corps et leur cœur, et dont les émotions n'étaient pas sans cesse travesties et enfouies au jour le jour, puis relâchées en bombes dévastatrices au sein de la masse anonyme des foules.

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