Nouvelle 31 : DOUBLE (suite)

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Je titubai, mes jambes chancelantes lâchèrent et mon corps s'affaissa. Ce fut comme au ralenti. Mes genoux ployèrent dans le soudain lâcher-prise de tous mes muscles quand mon torse partit en avant, emporté par mon crâne, tendu vers la glace, déjà penché vers l'avant, si lourd qu'il fila tel un boulet canon vers le sol. Mes mains tentèrent vainement de se porter en avant pour amortir ma chute, trop tard. Je m'affalai, tête la première, sur le sol de ma salle de bain, recouvert de carrelage bleu turquoise .

L'image que m'avait renvoyé le miroir m'avait percutée : une jeune femme à l'abondante chevelure, légèrement dorée, aux tons chauds et chatoyants, dont les yeux gris bleu, vifs et attentifs, étaient surmontés de sourcils châtains bien fournis. Une splendeur, mon portrait craché à trente ans.


J'en avais cinquante et mes cheveux venaient de virer au blanc de neige en une nuit. J'étais assommée.


Tant bien que mal, je me relevai de ma chute, étourdie, nauséeuse. Attrapant le bord du lavabo et m'en servant d'appui, je me redressai devant la glace et de nouveau, me retrouvai face à cette beauté étrange, pourtant si familière, qui me terrorisait. Je décidai alors, au bord de l'évanouissement, de l'affronter. Après tout, au point où j'en étais... Et puis, je n'affrontais guère que moi-même ; du moins le pensais-je.


Une migraine pointait son nez, la sorcière. J'avais du mal à respirer. La douleur augmentait à chaque inspiration. Elle me vrillait tout le côté droit du crâne, de l'os occipital jusqu'au zygomatique. La chute l'avait réveillée et elle me le faisait payer, la garce ! Comme si mon corps tout entier n'avait pas assez souffert de cet appel irrépressible de la gravité ! Ha ! Autant s'attaquer à quelqu'un d'autre, celle du miroir, tiens. Qui es-tu ?


Pas de réponse, pas de réaction autre que mon double parfait, normal, attendu, en miroir bien sûr. Mais moi, je ne suis pas elle, je n'ai plus cette jeunesse parfaite, épanouie, somptueuse. Je n'ai plus cette opulence colorée de mille feux. Alors, me vient cette nostalgie douloureuse, cette tristesse de la perte irrémédiable et je pleure doucement sur moi. Je suis triste de cette beauté perdue, envolée. Je suis jalouse, aussi. Je me fâche. je crie, j'invective, je lui reproche de ne pas avoir su m'aimer telle que j'étais, de ne pas avoir pris soin de son corps, de son esprit, de son être comme elle aurait dû. Rien n'y fait. C'est toujours cette étrangère que je sais être moi, sans l'être. Elle me singe toujours !


Je lui ai tout dit et ne sais quoi ajouter. Je repense à elle, à moi si jeune, si belle, si triste, si mal. Je suis plus heureuse aujourd'hui. J'ai tant de tendresse pour elle finalement. Aujourd'hui, je saurais l'aider, la soutenir, la comprendre, l'aimer. Alors je tends la main et caresse son visage dans la glace.


Mon visage.

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