Nouvelle 11 : Le réveil du guerrier

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Les parcs à chiens sont de micro-sociétés. Il y en a un, pas loin de chez moi.

Quand j'y suis allée la première fois avec Maxou, au fond, on n'y connaissait pas grand chose, lui et moi. Nous sommes arrivés, un peu comme deux innocents, pleins de bonne volonté. On s'en est pris plein la tronche...

Déjà, il y a dans ce type de parcs, des groupes bien établis. Des habitués, qui viennent là pour papoter. Selon les cas, ils laissent leurs animaux se courir les uns après les autres, les abandonnent deux heures couchés au sol, chacun doit apprendre à se débrouiller parce que c'est comme cela qu'ils apprennent, qu'ils s'attaquent aux plus grands ou aux petits, aux plus âgés ou aux tout jeunes, qu'ils fassent les fous, hurlent au grillage ou restent plantés là, du moment qu'ils peuvent discuter entre eux pendant une, deux, voire trois heures, c'est la pause !

Je ne l'invente pas, je l'ai vu, observé, constaté. Ce sont des meutes. Non, non, pas les chiens, les gens ! Il y a le meneur ou la chef, les suiveurs, la tête de turque et les insoumis, vite rejetés ou mis à pieds. Et quand arrivent les nouveaux, attention ! c'est l'inspection, et si leur tête ne revient pas au chef de groupe, dehors !

Quand je me suis retrouvée confrontée à une de ces meutes, je n'ai évidemment rien vu venir. Normal, moi, je suis une solitaire. C'est Maxou, mon ami, et c'est mon seul ami. Alors les groupes, connais pas ! Mais pour lui, je voulais faire un effort. A peine sorti d'un chenil de l'enfer, il avait besoin de socialiser. Bien. J'arrive, donc, et j'entre, avec mon chien. Fauuuuuute ! Ouille, aïe, pas sur la tête siou plaît ! Non mais franchement ! Je me suis pris une soufflante ! Oui, vous ne pouvez pas entrer comme çaaaa, avec votre chien !

« C'est un mâle ?

— Euhhh, oui, mais il est très calme !

— Peut-être ! Mais ça va pas être possible, c'est un mâle !

— Mais il accepte très bien les autres, je n'ai jamais de problèmes.

— Il est castré ?

— Non, mais enfin, vous voyez bien qu'il n'y a aucun souci. Tout se passe bien.

— Pas du tout, votre chien va poser des problèmes. Il n'est pas castré et les autres mâles ne l'accepteront pas.

— Comment ça ? Vous êtes donc en train de me dire qu'il y a d'autres mâles dans ce groupe, sans problèmes, et que le mien, qui n'en a jamais posé, à aucun moment, jusqu'à aujourd'hui, va en poser ici ? Mais c'est vous qui le dites, là. Lui, il ne fait rien. Vous voyez ?

— Si ! Il s'approche de mon chien, et mon chien n'aime pas ça ! Vous voyez, mon chien grogne ! Le vôtre doit sortir !

— Non mais attendez, là ! Vous avez décidé que mon chien allait poser un problème, il s'approche à peine du vôtre, et parce que le vôtre grogne un tout petit peu, c'est le mien qui doit sortir ? Mais il s'est déjà éloigné le mien ! Il a compris ! Là, c'est bon !

—  Non ! vous vous en allez, et c'est tout ! Votre chien pose problème, vous sortez avec votre chien !»

J'en étais complètement désarçonnée. J'en aurais pleuré pour Maxou. Lui refuser la compagnie d'autres chiens, et pourquoi au juste ? Aucune idée. Ma tête ne devait pas revenir au groupe, ou la sienne ? Ou bien, il était de trop, le groupe était complet ? Ou la meute des gens ne voulait pas d'étranger ? d'étrangère ? Trop compliqué pour moi. Mamma mia ! C'était une vieille chef de meute, une ancienne. Je la qualifierais de vieille bique. Elle régentait son monde, présente un peu le matin et toute la soirée.

Plusieurs jours de suite, je restai à l'extérieur du parc à chiens, afin d'observer et je me rendis compte que d'autres groupes s'alternaient, durant l'après-midi. Je décidai donc d'emmener mon ami plus tôt et lui faire rencontrer ses semblables. J'eus alors la chance d'être intégrée dans une meute un peu plus ouverte.

Un jour vint où il m'offrit une belle surprise.

C'était au parc. Je parlais avec les autres filles. Tout-à-coup, une voix profonde, grave, puissante, s'élève. Toutes, nous sommes regardées, nous demandant d'où pouvait provenir ce son inconnu. Il faut bien savoir que jusque là, je n'avais jamais entendu la voix de mon chien. A peine l'avais-je entendu grogner une fois lors d'un brossage, et pleurer lorsqu'il avait été malade un matin très tôt. Il n'avait pas réussi à se retenir à cause d'une diarrhée et nous avait appelés en gémissant. C'était tout.

Sur le coup, saisies, nous avons toutes instinctivement cherché au delà du parc et avons remarqué une fille de la meute, avec ses deux chow-chow, mâle et femelle, qui se rapprochait. Et voilà que s'élève à nouveau la voix, chaude et sacrément énervée ! Elle venait en réalité de notre côté gauche, dans le parc ! Nous nous retournâmes dans un bel ensemble pour nous retrouver face à... Maxou, transformé !

Superbe, planté sur ses quatre pattes, arcbouté, la tête en avant, le museau au ras du grillage, il sautillait, en avant, en arrière, et tonnait ! Personne ne le reconnaissait, lui si discret, si souvent caché derrière moi. Lui, le muet, le placide, "l'amore fatto cane", l'angelo con la coda", la bonne pâte. Nous avions là un énergumène près à mordre, un guerrier. Et contre quoi ou qui se ruait-il ? Toutes, nous virâmes de bord et trouvâmes son ennemi juré : les chow-chow. Ils s'étaient rapprochés avec leur humaine, qui, comme à son habitude, rejoignait sa meute, nous ! Mais elle interrompit vite son avance, bien avant d'avoir atteint le portillon du parc. Maxou l'en avait dissuadée !

J'étais aux anges ! Un, j'entendais enfin sa voix et elle était magnifique, une voix de stentor ! Deux, mon agneau n'était pas un couard mais bel et bien un guerrier sûr de sa force, choisissant de ne l'utiliser qu'à sa guise ! Trop fort ! Je n'en pouvais plus de fierté ! Je ne me sentais plus péter ! Je m'ébaudissais ! Je riais, criais, m'esclaffais ! Je le montrais du doigt, du bras, des deux mains à qui voulait bien m'entendre. Je le félicitais comme s'il avait réussi l'exploit du siècle ! En vérité, je dois le confesser, j'ai fait n'importe quoi ! Tout le contraire de ce qu'il convenait en pareil cas, c'est-à-dire calmer son chien, détourner son attention, ne surtout pas le féliciter de son énervement ! Mais quel bonheur, j'ai vécu ! Ah la la ! Découvrir mon ami tourné vers l'extérieur, le voir préoccupé d'une situation requérant son intervention, l'observer agir et vigoureusement, encore ! C'était inespéré ! Miraculeux !

Les pauvres insultés, chow-chow de leur état, se sont tenus comme des princes, ne démontrant aucune agressivité. Mais pour qui sait lire les signaux d'apaisement, ils lui en ont balancé quelques uns ! Et que je te renifle le sol, et que je m'approche de biais, et que je me fige, et autres demandes de reprise de son calme. Rien n'y faisait puisque je me suis, moi, comportée comme une gourde ! Et vas-y que je te le félicite, que je te l'excite, que je m'exclame et que je continue à faire monter la tension ! Mamma mia ! Heureusement que le grillage était là, et que j'ai retrouvé mon self-control en remarquant que la meute s'impatientait.

Oui, la meute, celle des filles, qui voyaient leur copine bloquée à l'entrée pendant que la fofolle s'extasiait devant son ami redevenu conscient de sa réalité, de ses capacités et de sa colère. Ah, la colère salvatrice !

Je ne sais pas ce que d'autres chow-chow avaient pu lui faire dans le chenil de l'enfer, mais merci à ces deux-ci du parc pour l'avoir juste sorti de sa torpeur, de sa résignation, de sa terreur. Ils lui avaient permis d'enfin assumer sa colère et ses refus.

Mon guerrier s'était réveillé !

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