Nouvelle 9 : MAXOU

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Trois cents chiens, cent cinquante chats.


Tous enfermés dans des cages insalubres pour les canidés, dans des salles répugnantes de saleté pour les félins. Une structure délabrée, à l'abandon, des murs couverts de salpêtre, des animaux malades, pouilleux, galeux, souffrant d'otites chroniques purulentes, la peau ravagée par l'eczéma, et pour certains, même, les membres rompus et mal ressoudés, le corps pourri de l'intérieur par on ne sait quelle maladie.


C'est ce que trouvèrent les volontaires de la L.A.V. dans un chenil privé de Rome en 2014. La Ligue Anti Vivisection est un groupement très puissant de près d'un millier de volontaires qui défendent les droits des animaux et mènent quantité d'actions visant à sauver ces derniers sur le territoire italien. Des héros des temps modernes.


D'autres héros, anonymes, durant quatre longues années, se sont rendus sur place, bravant les gardiens du chenil, leurs intimidations et leurs menaces, afin de soulager autant que possible les souffrances qu'ils constataient sur place. Des caresses, un os, des gourmandises, une sortie dans les couloirs de la structure pour les chiens acceptant encore le contact humain. Quelques uns, terrorisés, ne voulaient plus s'approcher ou sortir de leur cage. Trop de coups et de jets d'eau glacée avaient fait leur œuvre. On sait aujourd'hui, qu'un chien peut apprendre de son expérience, que la résistance lui apporte plus de douleur que l'acceptation de son sort. Dès lors, il devient un chien absolument soumis. Il s'abandonne à son sort. Il acceptera alors tout et n'importe quoi, plutôt que de risquer plus de souffrance. C'est la dépression et la résignation. Ce n'est pas un chien obéissant joyeusement, et parfois prenant son temps, non, c'est le chien répondant aussitôt au moindre désir de son maître, avec crainte. Le chien désespérément, profondément détruit, celui qui n'a plus d'espoir.


Maxou faisait parti de ceux-là. Il avait un an quand sa première humaine est morte. Cancer. Elle avait des fils pourtant. Et un deuxième chien. Ensemble, son frère de maison, un boxer, et lui, l'hovawart, ont été déposés dans cet enfer. Ensemble, ils y sont restés. Six ans. Ensemble, ils se sont soutenus, réchauffés, réconfortés. Toujours tous les deux dans la même cage, tout au fond du chenil, dans le coin le plus sombre, à l'abri des rayons meurtriers du soleil mais en conséquence dans une ombre permanente, débilitante. Six années de misère, de solitude à deux. Parce que leur humaine n'était plus là pour réchauffer leurs cœurs perdus. Parce que leur famille les avait abandonnés.


Le boxer a mieux résisté, ont dit les volontaires, ces femmes bénévoles, d'une bonté et d'une force intérieure extraordinaires. Il était resté intéressé par leurs allées et venues, voulait bien de leurs friandises et acceptait leurs caresses. Maxou en revanche, restait prostré, indifférent, au mieux, méfiant. Ce n'est qu'au bout de nombreuses visites qu'il a fini par s'approcher de l'ouverture et accepter un os. Elles ont réussi petit-à-petit à le rassurer, à le convaincre de leur innocuité et enfin à le caresser, à lui donner un peu de tendresse à chaque visite. Il était d'une douceur incomparable. Son regard parlait pour lui.


Les volontaires ont lutté pieds à pieds pour maintenir leur droit d'entrée. Elles ont accumulé les preuves et ont dénoncé ce drame. Quatre années en vain. Ce chenil était privé, détenu par une personne désormais âgée, incapable d'assurer la bonne gestion indispensable au bien être de ses pensionnaires. Le personnel était incompétent et cruel. Il est arrivé que certains animaux, déposés pour quelques jours, ne soient pas restitués à leurs propriétaires car déclarés décédés. Les autres, ceux laissés là parce qu'ils étaient errants ou qu'ils y avaient été abandonnés, n'étaient de toute façon pas proposés à l'adoption, dans l'état où ils se trouvaient...


L'établissement, comme tous les autres de ce type, bénéficiait des subventions de l'état, en fonction du nombre de ses prisonniers. Une manne.


Les réclamations à la mairie de Rome pour la fermeture de cette monstruosité se soldèrent par un échec jusqu'au regroupement de trois des associations les plus puissantes d'Italie. Le transfert des pauvres bêtes fut immédiatement organisé vers des structures de leurs connaissances afin de les sauver, les soigner, les réhabiliter et les faire adopter d'abord en familles d'accueil le temps que justice soit faite et que la propriété des chiens et des chats soit révoquée du chenil vers lesdites associations.


Mais deux ans plus tard, une décision de justice exceptionnelle devra réaliser le transfert de propriété aux familles d'accueil afin qu'elles puissent en toute sérénité poursuivre leur vie avec leurs compagnons et les soigner sans avoir à en référer à la justice pour obtenir les accords afférents... Car justice n'était toujours pas faite.


Ils avaient été proposés à l'adoption lors de campagnes médiatisées dans les journaux et magazines. C'est dans une de ces revues que j'ai connu Maxou. À son regard, j'ai su qu'il était mon ami. Il m'avait attendue si longtemps le pauvre. Six ans en camp de concentration : "lager"comme disent les italiens. Sous sa photo, une légende : le bon géant. Des yeux à vous transpercer l'âme, d'une douceur infinie, d'une bonté renversante. Pas de race donnée, pas de photo grandeur nature, juste un gros plan de sa bouille d'ange. Incroyable...


Dans les pires chenils, il se trouve des chats et des chiens d'une beauté intérieure absolue, qui transparaît dans les pires cauchemars qu'ils puissent vivre et à travers les enfers auxquels ils survivent. Certains luttent avec leur colère et leur douleur qu'ils renvoyent, d'autres se résignent et survivent avec leur douceur et l'amour qu'ils ont reçu, avant. Ils gardent tout au fond, comme une petite bougie précieuse, qui ne pourra se rallumer qu'à la chaleur d'un autre amour vrai, aussi grand que leur âme.


Mais comme le vent peut souffler la bougie, il me fallut être douce, patiente et aller à son rythme pour rallumer sa flamme de vie. Maxou et moi nous sommes rencontrés un trente et un janvier. Nous sommes désormais inséparables. Les soins que sa santé nécessite aujourd'hui, le mettent à rude épreuve, mais il n'est plus et ne sera plus jamais seul. Son frère non plus, qui a été lui aussi accueilli dans une famille aimante, le jour suivant le départ de Maxou.


Pas question que ces deux-là souffrent plus que nécessaire, encore, sachant qu'aucune famille n'avait les moyens de les prendre ensemble. C'eut été le meilleur des mondes. Hélas, ce n'était pas le nôtre.

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