De poussière et de sang

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De la poussière. C’était tout ce que Keller voyait. De la poussière soulevée par le vent. Engoncé dans sa combinaison de combat, il attendait. Autour de lui, l’arène se remplissait. C’était une enceinte de 20000 places, située en plein cœur de la ville. Toute de noir drapée, l’arène était prête, prête pour une nuit de combat, et le premier était celui de Keller. L’enceinte était impressionnante. Depuis son box en bordure de la piste et à cause du vent qui soulevait une fine poussière, il pouvait à peine distinguer les spectateurs.

Keller se souvenait. Sa vie, sa famille, la petite maison en bordure de la ville, un travail dans une boutique de vêtements et puis cette date qui se rapprochait. Son permis allait expirer. Son permis de vie. Pour avoir le droit de vivre, il fallait passer par l’arène, c'était la règle. C’était donc sans surprise qu’en ce matin de mai, il avait reçu le pli. C’était un émissaire du Pentacle qui avait sonné à la porte. Tout de noir vêtu, il lui avait tendu l’enveloppe. La convocation était pour la fin mai. Un mois pour se préparer psychologiquement, un mois sans dormir, un mois à attendre.

Assis sur son banc, il attendait. Son combat allait débuter la soirée. D’autres suivraient. Tous les combats qui auraient lieu lors de cette soirée n’avaient qu’un but : l’obtention du permis de vie. Les règles étaient simples. Deux combattants se présentaient armés jusqu’aux dents, un seul repartait, munis du fameux permis d’une durée de 20 ans, c’était les seules règles. Le Pentacle accordait le premier permis à chaque naissance, et ensuite, tous les 20 ans, il fallait le renouveler dans les arènes prévues à cet effet, et c’était ce que Keller s’apprêtait à essayer de faire.

La foule s’était installée. La cérémonie allait débuter. Keller essayait de ne pas penser aux spectateurs, à ce public venu admirer le spectacle. Il essayait de voir son adversaire, mais celui-ci était dans un autre box à l’opposé de la piste, et la poussière ainsi que les reflets du soleil sur les vitres l’empêchait de distinguer quoi que ce soit.

Son attention se reporta sur le centre de la piste, où venait d’apparaître le maître de cérémonie. C’était un émissaire du Pentacle, envoyé pour superviser les opérations. Drapé dans une toge noire, il se saisit d’un micro et harangua la foule. « Ce soir, vous allez pouvoir assister à une soirée exceptionnelle, pas moins de 20 combats vous attendent, et croyez moi, il y aura du spectacle ».

Des cris et des applaudissements fusèrent de toute part. On lui promettait de beaux combats, le public aimait cela. Keller se sentit soudain très fatigué. Des mois de tension nerveuse, il les ressentait maintenant. L’émissaire venait de quitter la piste. La foule se déchaînait. L’odeur du combat et du sang la rendait folle d’excitation. De lourdes parois vitrées venaient de jaillir sur tout le pourtour de l’arène pour protéger les spectateurs. Keller se sentait de plus en plus nerveux. Il transpirait. Il avait déjà affronté ce moment une fois, mais à l’époque il avait tout juste 20 ans. Là, c’était différent.

L’arène était prête. En son centre, des obstacles avaient été disposés de manière à pimenter le combat sans doute. Le maître de cérémonie annonça : « Le premier combat va avoir lieu d’ici quelques instants. A ma gauche, un jeune combattant, le numéro 19B, premier combat. A ma droite, le numéro 201C, deuxième combat ». Il était perdu. Keller le savait. Son adversaire était un jeune, 20 ans de moins que lui, ce serait dur. Dur, mais c'était la loi, il fallait s'y soumettre. Alors comme ça, il était le numéro 201C. L’anonymat était ainsi préservé grâce à l’utilisation de ces numéros.

Le public agitait des drapeaux. Le noir dominait. Des drapeaux noirs, avec les cinq étoiles blanches du Pentacle. Les hauts parleurs continuaient de diffuser la voix nasillarde du speaker. « Le numéro 19B à choisit une dague de combat et un fusil d’assaut à décharge. Le numéro 201C à choisit un poignard court et un pistolet lourd ».

A l’énoncé de son armement, Keller referma sa combinaison de combat jusqu’au col, resserra les sangles de fixation de son plastron et vérifia que le poignard était bien attaché le long de sa botte. Ensuite, il soupesa la lourde arme de poing qui était posée à coté de lui, glissa un chargeur dans la crosse, et fit entrer une balle dans le canon. Il était prêt.

La foule hurlait. Les portes des deux box des combattants s’ouvrirent. Une sonnerie retenti. Le combat commençait. Keller bondit à l’extérieur. Le vent et la poussière lui fouettèrent le visage. Il faisait chaud, et la combinaison de combat le gênait pour respirer. Il était dans l’arène. La peur commençait à lui nouer le ventre. Jusque là, cela avait été de l’anxiété, mais elle s’était muée en peur.

Le grondement de la foule était impressionnant. Les drapeaux noirs étoilés claquaient au vent. Il fallait se ressaisir, son adversaire lui aussi était dans l’arène quelque part derrière les obstacles artificiels. Keller couru s’appuyer contre les palissades placées à coté de son box. Ainsi placé, il pouvait surveiller toute une partie de la zone de combat. Le public sifflait. Les gens détestaient voir un combattant se retrancher et attendre.

Où pouvait être 19B? Attendait il lui aussi? Avait il peur? Ces réflexions furent interrompues par le bruit rauque d’un fusil à décharge. Deux coups avaient été tirés. Deux trous gros comme le poing apparurent dans le panneau central, à quelques pas seulement de Keller. Le fusil à décharge ne faisait aucune différence : acier, béton, chair. A 20 mètres, la balle propulsée par une décharge électromagnétique transperçait tout. Il ne fallait pas rester là, 19B tirait au hasard, mais il pouvait faire mouche. Le pistolet bien en main, il bondit. 10 mètres à traverser avant d’être de nouveau couvert. Il fallait le faire sortir de la protection des palissades.

A peine avait il franchit la bande de terrain à découvert, qu’il comprit que l’autre l’avait vu. En quelques secondes, l’air fut saturé de décharges. Le bois des palissades volait en éclat. Dans les gradins c'était l'hystérie. Keller se jeta à terre. L’autre ne devait plus avoir aucune vue de lui, mais il continuait à tirer. Soudain, un tir, après avoir traversé le bois vint toucher sa cuisse. La douleur fut fulgurante. Le sang coula. Il serra les dents. De rage, il vida son chargeur en direction de la position supposé de 19B, inutilement. La poussière lui collait au visage, ses lèvres étaient sèches, la douleur était intenable. Il pu se traîner au plus prêt des palissades pour réduire l’angle de vision de son adversaire. Il se rendit compte que la foule hurlait, excitée par le sang, par l’odeur de la mort. Il fallait à tout prix s’en sortir, ne serait ce que pour ses enfants, sa femme, pour revoir sa maison qu’il avait mis si longtemps à financer. L’autre allait sortir à découvert, il le savait blessé, la foule le lui hurlait. Il n’eu pas longtemps à attendre, il pu enfin le voir. Il n’était pas très grand, plutôt mince, engoncé dans une combinaison de cuir noir. Des cheveux blonds encadraient un visage juvénile. C’était un jeune, environ 20 ans d’après les dires de l’émissaire. Un jeune, oui, mais il manquait d’expérience. Son arme braquée sur Keller, il se laissait griser par la sensation de victoire, ses yeux parcouraient la foule pour savourer.

C’est ce moment que Keller choisit pour tenter sa chance. Il braqua son arme jusque là cachée sous sa jambe valide, et tira à deux reprises. La première balle manqua sa cible, la seconde toucha le jeune à l’épaule. L’impact le fit vaciller. Le sang jaillit. Il poussa un cri de douleur, son arme tomba. La main pressée contre sa blessure, il titubait. L’arme toujours pointée, Keller savait qu’il ne fallait pas attendre, aucune pitié, il lui fallait tirer, c’était sa vie qui était en jeu.

Son doigt appuya sur la détente. L’arme ne produisit qu’un ‘clic’ inutile. Enrayée. La poussière en avait eu raison. Son cœur s’arrêta de battre une seconde. Le désespoir pouvait se lire sur son visage, Keller savait qu’il était fini. L’autre était armé, il n’allait pas se risquer dans un corps à corps. C’était terminé.

A genoux dans le sable, il attendait. Après s’être ressaisi, 19B pointait son fusil sur Keller. La mort allait frapper. La vie avait choisi son camp, celui de la jeunesse. 20 ans de vie supplémentaire pour l’un. La mort et l’éternité pour l’autre. Une dernière pensée pour sa femme, ses enfants. Il regarda la foule. C’était l’hystérie générale et là-haut, dans sa loge, l’émissaire du Pentacle assistait à la scène. Tous les projecteurs de l’arène se braquèrent sur le centre de la piste. En pleine lumière, le dernier acte allait se jouer.

Les premières notes de l’hymne du Pentacle s’égrenèrent, et le coup partit. Touché en pleine poitrine, Keller s’affaissa. Il reposait maintenant dans la poussière et le sang. La foule hurlait.

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