Chapitre 22

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( j'ai craqué, je vous mets la suite)

* * *

Les jours qui suivirent furent moroses. Je passais chaque heure avec Yann. Dedans. Dehors. Partout. Tout le temps. Je n’arrivais pas à croiser ma mère sans imaginer qu’elle puisse penser à mal. Et en même temps je m’en voulais de ne pas être celui qu’elle voulait.

Qu’y pouvais-je, si celui qui m’était destiné, était celui qui avait le pouvoir de faire de ma vie un enfer ? À ses yeux seulement. Car je ne visualisais pas comment une telle chose puisse être possible.

Je voyais les yeux de ma mère s’emplir de tristesse et d’impuissance. Et ceux de mon frère d’une férocité nouvelle.

Une chose les lia, cependant. Aucun d’eux ne fit preuve de résignation.

Au milieu de tout cela, j’essayais de garder mon calme.

De temporiser ma mère. En faisant des efforts pour être celui que j’avais toujours été. Auprès de Yann, pour qu’il ne s’emporte pas. Et ne fasse pas voler notre famille en éclats.

La situation était tendue. Aucun de nous n’était heureux.

- On sort ce soir ? me demanda Yann un soir après mes exams de fin d’année, en me tendant un sweat qu’il aimait bien, au cas où j’aurais froid une fois la nuit tombée.

- Une occasion particulière ? dis-je en saisissant le pull tendu, mes chaussures déjà au pied.

- Hum… fit-il avec un sourire évasif que j’adorais.

Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vu avec un tel sourire. Les choses allaient peut-être finir par s’arranger.

- Vous allez où ? demanda mon père en passant la tête par la cuisine.

- Au ciné, fit Yann d’un ton neutre.

- Ne rentrez pas trop tard… dit ma mère dans le couloir.

Sa remarque eut le don de m’énerver. J’aurais 18 ans dans un mois. Yann en avait plus. Qu’attendait-elle de nous ? Qu’on ait éternellement 10 ans ? J’allais répliquer, à bout de nerfs, mais mon frère m’attrapa par le coude et me fit sortir de la maison devant lui. Je l’entendis échanger quelques mots dans le couloir, avant de refermer la porte.

Je ruminais dans le RER, Yann en face de moi. Il étendit les jambes, et vint les caler contre les miennes. Discrètement. Mais sûrement.

- Respire.

- Je respire, répondis-je en bougonnant.

- Et souris ! ajouta-t-il en joignant le geste à la parole.

Je faillis répliquer que je souriais, mais je me rendis compte que c’était faux. J’inspirai un bon coup, et vint m’asseoir à côté de lui. Sortant les écouteurs de ma poche, je lui en donnai un et lançai une playlist. Jeff Buckley me calma. L’épaule de Yann contre la mienne aussi.

- Alors comme ça on va au cinéma ? demandai-je en le poussant du coude.

- En fait non! rit-il. Mais j’ai prévu deux trois trucs. Rien que pour nous.

Il ne voulut rien me dire de plus, se contentant de sourire, bêtement, à chaque fois que j’insistais. Au lieu de me répondre, il s’arrangea pour détourner la conversation. Sur des bêtises. La dernière soirée avec mes potes. Ou une autre à venir avec les siens.

On nageait en pleine normalité. Pourtant je sentais bien que ce dernier mois à la maison nous hantait.

Il était là, entre nous.

Et lui comme moi, nous voulions l’effacer.

On sortit des transports en commun pour déboucher dans le quartier du canal Saint Martin.

En cette fin de journée de Juillet, les berges étaient remplies de monde. Des passants, des estivants déambulaient, ou discutaient simplement, les jambes pendues dans le vide au-dessus de l’eau.

L’ombre des chênes centenaires nimbait l’espace d’une lueur verte, fantasmatique. La lumière du soir caressait les feuilles, et dessinait sur le sol des animaux fantastiques.

Je connaissais l’endroit pour y être déjà passé. Mais pas comme ça.

Yann attrapa deux sandwichs à un vendeur ambulant, et m’en tendit un, avec une canette de soda fraîche.

- On s’assoit au bord de l’eau ?

Autour de nous, l’air était doux. Paisible. Presque immobile. À croire que le temps s’était arrêté là, et que tant que nous serions là, il ne repartirait pas. Comme si cet instant était à nous.

Des bicyclettes, des familles, des amis se promenaient dans notre dos. Notre bulle les entendait. Les voyait. Mais rien ne nous atteignait.

- À ta santé ! dit-il en cognant son coca contre le mien.

Les bulles froides piquèrent ma langue. Ma gorge.

Il souriait.

Encore.

Toujours.

Beau comme jamais.

Je lui souris à mon tour. Vraiment, cette fois.

Parce qu’il n’y avait pas de plaisir plus grand que d’être à ses côtés. De faire partie de sa vie.

- J’ai envie de t’embrasser, dis-je tout bas en me penchant vers son épaule.

Il tourna la tête vers moi, et posa ses lèvres sur mon front.

- Alors fais-le.

Je levai les yeux vers lui. Vers sa bouche. Et ses lèvres qui frôlèrent les miennes.

Le temps s’arrêta alors complètement.

Notre baiser, sa langue et la mienne, le bruit du vent soufflant tranquillement dans nos cous, l’odeur de sa peau, son corps contre le mien, tout cela fit gonfler mon cœur. Nos lèvres se voulaient. Encore et encore.

Sa main caressa ma joue. J’ouvris des yeux brillants.

- Je suis content de t’avoir amené ici. Ta blondeur, tes yeux presque violets au milieu de toute cette verdure... tu ne peux pas savoir l’effet que tu produis.

Je souris, gêné.

Il passait son temps à me dire que je lui plaisais. Tellement que je connaissais les mots par cœur. Comme s’ils étaient tissés sur ma peau. Dans mon sang.

Il attrapa ma boisson qui glissait de mes doigts et la posa à côté de moi.

Puis il passa un bras autour de mes épaules.

- Aujourd’hui, cela fait un an qu’on est ensemble. Mais j’ai l’impression que ça fait une éternité.

- C’est trop long pour toi ? dis-je, moqueur, en glissant mon bras autour de sa taille.

- Non, répondit-il d’un drôle d’air tout tordu.

Je le regardai, la tête inclinée, tentant de déterminer ce qui pouvait bien lui traverser l’esprit. Il semblait… hésiter.

« Pas son genre » pensai-je en moi-même. Mais avant que je n’arrive au bout de mes réflexions, je le vis sortir un petit sachet en papier kraft de sa poche. Pas très grand. De la taille de sa paume. Il l’ouvrit, et en sortit deux anneaux, qu’il passa à nos doigts.

- Je ne sais pas comment vivre avec toi, reprit-il en me serrant contre lui. Mais je sais que je le veux. Plus que n’importe quoi.

Aucun mot ne franchit ma bouche. J’avais le cœur qui débordait. Était-il sérieux ? Tout semblait se dérouler au ralenti, comme dans un film. Ses yeux francs et sérieux pour une fois me dévisageaient. Comme s’il semblait attendre une réponse. Aurait-il douté de moi une seconde ?

- On pourrait habiter ensemble à la rentrée ? répondis-je un grand sourire aux lèvres. Je viens d’avoir les résultats de mon bac. On nous ficherait la paix si on vivait loin de la maison.

- Pas sûr qu’ils soient d’accord. Ta mère a l’air de vouloir que je te laisse respirer, dit-il d’un air las, les yeux plantés au ciel.

- Je ferai ce que je veux.

- Avec quel argent ? Et en es-tu si sûr ? demanda-t-il en me regardant sérieusement. Je veux dire, si tu devais t’opposer à elle, réussirais-tu à tenir le coup ? Elle est un peu…

- Excessive ?

- Disons qu’elle a ses priorités.

- Elle a sa vie. Et moi la mienne. Et tu en fais partie.

- Elle aussi.

- Je ne vais pas vivre avec ma mère.

Nous tournions en rond, et je ne voulais pas que ce sujet gâche nos moments ensemble.

- Allez, viens, on va se promener, décida-t-il alors subitement en partant d’un grand rire. Je n’ai pas l’intention de perdre un seul instant à me battre avec toi !

Nous déambulâmes pendant longtemps, nous perdant parfois, au gré de nos humeurs.

Parfois je frôlais sa main. L’électricité entre nous brûlait. Il répondait en attrapant la mienne. Et en l’enfouissant dans sa poche de sweat. Je sentais son ventre sous le tissu doux. J’avais envie de me coller. D’être si proche de lui qu’il aurait été impossible de nous décoller.

Le bonheur se résumait parfois à ça. Marcher le nez au vent, aux côtés de celui que vous aimiez.

Et le chemin n’avait pas besoin de destination. Ni de fin.

Ni d’embûches.

Mais sans doute étions-nous trop aveugle pour les voir se profiler à l’horizon.

* * *

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