Chapitre 14

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Dans le ciel, de longs nuages blancs s’effilochaient au gré de la brise matinale. Sur notre pelouse, en face de la plage, sous les pins, notre campement commençait à donner l’impression qu’une semaine s’était écoulée. Yann avait sorti les duvets sur l’herbe, vidé le contenu de son sac à dos par terre, et entrepris de chauffer de l’eau sur un réchaud pour faire du café.

Dix minutes après s’être brûlé une paire de fois, il me tendit une tasse fumante avec une cuillère dedans.

- Touille-le bien, c’est de l’instantané.

Je m’exécutai, assis en tailleur, les yeux dans le vague.

- Tu n’es pas très bavard ce matin, dit-il d’un air faussement détaché, me regardant sous ses cils.

Je levai la tête vers lui, et souris.

- Ce café est le plus mauvais de ma vie !

- Et à part ça ? bougonna-t-il, pas très amusé par mon détournement de conversation.

- à part ça, il fait beau, il n’a pas plu, les cousins viennent abréger notre soi-disant supplice dans une demi-heure, quoi d’autre, hum… ?

- Niels, je te renie.

Je levai les yeux au ciel et rit.

- Si tu veux vraiment tout savoir, je suis soulagé.

- … ?

- Que tout soit enfin à la bonne place. Ces derniers jours, j’étais tiraillé entre l’espoir, la peur de tout avoir brisé, et en même temps incapable de renoncer à toi. Maintenant, même si fondamentalement, rien n’a changé, je n’ai plus peur, parce que je sais que toi et moi, on pense, et on veut, la même chose.

Il ne dit rien à son tour, plongeant dans la contemplation de son café en grain à son tour. Il reprit au bout d’un moment.

- Je sais, comme toi, ce que je veux. Je ne sais juste, pas trop, comment ils le prendront.

- Pardon ?

- Quand on leur dira.

Je sentis une lame glacée et suffocante me découper en deux. Je soufflai :

- On ne dira rien du tout.

- Il faudra bien pourtant, à un moment donné. Toi et moi… Je ne vois même pas comment vivre sans toi, alors... Comment tu veux faire ? Ils le découvriront bien à un moment donné.

- Je… je n’ai pas vraiment pensé à la question. Mais s’il te plaît, je ne veux vraiment pas que ça se sache. Je ne pourrais jamais. Leur faire ça.

Il parut contrarié, mais un coup d’œil à mon air dévasté lui fit ravaler les mots qu’il s’apprêtait à prononcer. Il se contenta de venir se coller à moi, et passer un bras par-dessus mon épaule.

Contre lui, j’allai mieux à nouveau. Je chassai la vague de culpabilité en me demandant pourquoi je me morfondais comme ça alors que je venais de passer la nuit la plus géniale de toute ma vie.

- Ok. En tous cas, dit-il en me serrant contre lui, j’ai hâte de revenir camper avec toi !

Je partis d’un rire léger, ma tasse au creux de mes paumes.

- Pour toi je suis prêt aussi. Je suis vraiment content, le mot est faible, désolé, m’excusai-je en levant les yeux vers lui. Je ne sais pas bien comment je vais attendre maintenant. Tu vois, tu es là à côté de moi, et je n’ai qu’une envie c’est de te traîner à nouveau là-dessous, tirer la fermeture éclair, et te déshabiller. D’ailleurs je te trouve un peu trop habillé ce matin. Un short ? Un t-shirt ? Tu veux ma mort ? demandai-je en me moquant de lui.

- Je t’évite la crise cardiaque… ! Remercie-moi, fit-il avec un clin d’œil.

- Merci.

- Je plaisantais.

- Je sais. Mais je veux vraiment dire « merci ». Dans ces moments-là, ta position de grand frère ne doit pas être simple à assumer.

- Pas plus que la tienne, répondit-il d’une voix étrange. Bon, ce café est vraiment pourri. Tu m’aides à ranger ?

Alors que nous remballions tant bien que mal notre barda pour le faire tenir dans nos sacs à dos, j’eus du mal à croiser son regard après cela. Comme s’il avait besoin de temps pour remettre son univers en place, après cette nuit. Au grand jour, il semblait étrangement timide, tout d’un coup. C’était la première fois que je le voyais comme ça.

Je souris.

- Dis, est ce que la prochaine fois que je te frôlerai, tu te mettras à rougir ? À faire ton farouche ?

Il se retourna, les yeux ronds.

- Là, voilà. Tu me regardes enfin.

Je tendis la main, et caressai son avant-bras. Il suivit mon geste du regard, mal à l’aise.

- ça ne t’embête pas d’habitude, dis-je en continuant.

- Non… Là non plus….

- Menteur… ! ris-je. Tu es tout tendu !

- Niels ?

- Moui ? répondis-je en progressant vers son épaule.

- Niels ? … Veux-tu vraiment que je te saute dessus ?

J’arrêtai ma main, levant à mon tour des yeux ronds vers lui.

- Là, voilà, tu comprends maintenant ! exulta-t-il en reprenant mon expression contre moi.

Sa bonne humeur habituelle refit surface, et c’est en sifflotant tranquillement qu’il accueillit nos cousins, assis dans l’herbe à côté de nos sacs.

- Vous avez bien dormi ? demandèrent en chœur Bertrand et Loïc, un immense sourire sur les lèvres.

- Absolument, jubila-t-il en repensant à la nuit passée. Mais pas assez à mon goût. Niels n’a pas arrêté de se plaindre.

- N’importe quoi, c’est toi qui…

Je m’arrêtai, pas certain d’avoir envie de me lancer dans une longue série de mensonges. Mais l’air satisfait de nos cousins à l’idée -fausse- qu’ils se faisaient de notre calvaire supposé, les habita pendant une grande partie de l’après midi.

Sur le chemin du retour, à l’arrière de la voiture, je ne parvins pas à retenir mon envie de dormir. J’avais décidément trop profité de ma nuit ! Ma tête sombra, et rencontra l’épaule de mon frère. Il ne fit pas mine de me repousser. Au contraire. Inclinant la sienne contre la mienne, il ferma les yeux à son tour.

Autour de nous, tout s’éteignit. Les bruits. Les discussions. Les paysages qui défilaient sûrement.

Ne restait plus que nous. Et l’évidence de ce que nous avions choisi. Que l’un sans l’autre, il n’y avait pas de possibilité. Et que puisqu’il n’y avait pas de vie heureuse en dehors de notre bulle, nous nous fraierions un chemin. Peu importait le reste, après tout.

Il ne dirait rien. Je n’en parlerai pas.

Ce bonheur resterait entre nous. Précieux jusqu’au bout. Pour toujours.

* * *

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