Chapitre 13

5 minutes de lecture

On devait être en plein milieu de la nuit. Ma montre avait été abandonnée sous la tente avec tout le reste de mes habits. Je ne pouvais pas vérifier.

Mais la lune qui inondait la baie autour de moi était haute, dans le ciel.

Dans l’eau jusqu’à la taille, je laissais les vagues tièdes lécher mon corps sous la nuit douce.

De toutes les nuits de ma vie, je pense que je me souviendrai de celle-ci jusqu’à la fin.

Elle s’achevait à présent dans l’immensité de la mer, comme un prolongement parfait de ce que je venais de vivre.

Yann dormait, beau comme jamais, un coin de sac de couchage couvrant à peine le haut de ses cuisses.

Repenser aux derniers moments ensemble me fit frémir. Nous avions été libérés de tout. Des autres. De nos hésitations.

Nos corps se désiraient comme jamais. Même l’après-midi dans la lande n’était rien à côté de ça.

Je l’avais déshabillé, j’avais embrassé sa peau, chaque centimètre après l’autre. Sa langue humide se faufilait dans mon cou, sur mon torse, vers mon ventre. Cela fit naître des sensations inconnues.

J’avais gémi, réclamé davantage. Ses mains sur moi me rendaient fou. Ses caresses furent protectrices, puis plus demandeuses. Nous savions que nous avions tout notre temps. Et en même temps nous étions pressés. De connaître. D’explorer. Ces terres nouvelles complètement défendues.

Sans doute savions-nous que, à présent que nous n’avions plus de retenue, tout était permis.

Le plaisir, donné à celui dont on pensait tout savoir, a quelque chose de déroutant. C’était une découverte, de sentir son souffle s’accélérer sous mes doigts. Sous ma bouche.

J’aurais pu être embarrassé, de me retrouver nu, excité, rempli de désir devant quelqu’un d’autre. Mais pas devant lui. Tout ce que j’aurais hésité à offrir à un autre, je le lui tendis. Sans fausse pudeur. Car pour lui aussi, tout cela était nouveau.

Il prit son temps, comme je pris le mien. Pour essayer. Pour trouver les endroits, les positions les plus confortables. Les recoins de nos corps où le plaisir naissait sous les caresses et les baisers.

Ce fut lent et heurté à la fois.

Par les précautions. Et l’envie déchirante d’atteindre enfin ce point de non-retour.

Lorsqu’il me pénétra, je sentis à son souffle qu’il se retenait. De peur de me faire mal. De peur d’aller trop vite. Ou de ne pas savoir se contenir, et de perdre ses moyens. Il murmurait mon nom, ses bras autour de moi comme pour ne jamais me lâcher.

- Respire, chéri. Je t’aime.

Je ne pus rien répondre, perdu entre les sensations et les émotions violentes à l’intérieur de moi.

Jamais rien n’aurait pu me préparer à ça. À nous deux, soudés, peau contre peau, humides et brûlants.

Libéré, je le sentais aller et venir en moi, embrassant ma bouche, avalant mes gémissements, gommant mes peurs à chaque mouvement.

Je savais qu’il y aurait d’autres nuits. D’autres fois. Mais de cette première, je ne voulais rien perdre.

Lorsqu’il vint, comblé et essoufflé, il me serrait toujours contre lui, son cœur battant à toute vitesse. Le mien ne savait plus trop où il était. Tout mon corps n’était plus qu’une immense boule d’électricité brûlante.

Je récupérai mes esprits petit à petit, calmant ma respiration, son corps contre le mien.

Aucun de nous ne dit rien. Comme s’il n’y avait pas de mot pour décrire ce que nous venions de vivre.

Comme si notre bulle parlait pour nous. Elle était là, puissante, si présente que j’aurais pu la toucher.

Nos bouches ne se quittèrent pas vraiment. Et nos ventres, l’un contre l’autre, se désiraient encore.

J’avais embrassé son corps entre mes bras, suivant la courbe de son dos, et caressé sa peau, ses cuisses, ses fesses.

Dans un souffle, il avait demandé:

- Tu le ferais pour moi ?

J’avais souri. Et prolongé mes mouvements sur son corps.

Je croisai son regard trouble, alors qu’à son tour il s’offrit à moi. Et je compris tout ce qu’il avait retenu.

Comment il s’était senti, avec un être abandonné à soi, entre les mains.

Je caressai son ventre, son torse, ses hanches. Le bas de son dos. Lorsque j’entrai en lui, il eut un spasme que j’apaisai en embrassant son dos. Il était tout pour moi. Et la confiance entre nous liait nos corps plus que jamais.

La sensation de lui faire l’amour enserra mon cœur dans un étau brutal, et je compris à quel point j’aurais pu m’y perdre.

Je nous roulai sur le côté, sa jambe haute sous la mienne. Mon bras sous le sien, j’attrapai son menton pour le caresser. Son cou. Sa joue.

Il saisit ma main et la plaqua sur sa bouche. Mes doigts entre ses lèvres, je sentais naître et mourir les murmures rauques de sa gorge.

J’essayais d’être doux. Tendre. Mais je sentais en moi un désir furieux qui voulait se répandre. Je dus lutter pour ne pas y céder.

L’envie entre nous n’aurait pas été si violente, j’aurais eu l’impression que l’éternité n’aurait pas suffi.

Pourtant, au bout de toute ma retenue, l’électricité me parcourut à nouveau. Différente, rejetant puissamment tout ce que j’avais pu connaître auparavant. Je m’agrippai à lui. Il enfonça ses doigts dans mon avant-bras.

Je l’embrassai encore, sans réfléchir. Dès que j’en avais envie.

Je sentais son front moite, sa peau humide se soulever au rythme de sa respiration hachurée. Je le devinais, plus que je ne le voyais. Pourtant, il n’avait jamais été aussi beau.

Nos caresses furent plus lentes. Plus légères. De temps en temps, il attrapait ma main pour l’embrasser.

Il n’y avait plus que nous.

Je l’entendis rire, doucement.

- Je crois que je vais aimer le camping, finalement.

Je me redressai sur un coude, dans la pénombre.

- ça a des avantages, murmurai-je en tentant de discerner son regard.

Il passa une main dans mes cheveux, pour les repousser derrière mon oreille. Je sentais qu’il me regardait. Apaisé. J’avais tellement de choses à lui dire, que je me sentais au bord de l’explosion.

Je posai doucement mes lèvres sur les siennes, et confessai :

- Je t’aime aussi, au fait.

Il rit plus fort, en m’attrapant par le cou pour me serrer contre lui.

- Je n’en ai jamais douté !

- Je suis si transparent que ça ? demandai-je à son oreille.

- Non, au contraire, répondit-il tranquillement Tu es en général plutôt bon pour dissimuler tes vraies émotions, vis-à-vis des autres. Mais je pense pas qu’il y ait quoi que ce soit te concernant qui m’échappe.

- Alors ça me va comme ça.

On avait échangé encore quelques mots, tendres, ordinaires, et puis nous avions sombré dans le sommeil.

Je m’étais réveillé en pleine nuit, Yann à mes côtés.

Je ne pensais pas pouvoir me lever à nouveau dans un cadre normal, après ça, sans repenser à cette nuit-là.

J’avais attrapé une serviette, incapable de me rendormir, et j’avais rejoint la plage.

L’eau était douce. Elle ravivait pourtant les sensations de mon corps liées à nos dernières heures ensemble.

J’étouffai une légère grimace. Ça n’était peut-être pas une bonne idée après tout. Mais foutu pour foutu, je me laissai aller complètement et plongeai la tête dans l’eau.

La baignade me fit du bien, finalement.

La fraîcheur autour de moi, le clapotis ténu contre ma nuque, je contemplais le ciel, flottant sur le dos, les bras en croix.

Je ne pouvais pas imaginer qu’il existe, quelque part, un bonheur plus grand que le mien.

À part, peut-être, celui de mon frère.

* * *

Annotations

Vous aimez lire chimère nocturne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0