Chapitre 12

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Lorsque nous arrivâmes à la maison, ma tante et quelques cousins étaient déjà arrivés. Je filai à la douche, tandis que mon frère discutait avec eux. Une fois lavé, séché et rhabillé, le temps me sembla s’étirer. Comme si notre parenthèse dans la lande m’avait donné envie de beaucoup plus. Et que je ne pouvais pas l’obtenir pour le moment.

Comment est-ce que j’occupais mon temps, avant ?

-Niels, tu nous prépares de quoi dormir dans un sac à dos, s’teuplait ? me demanda Yann en partant se laver à son tour.

- De quoi ?

- Ce soir. On est de corvée pour passer la nuit au Men-dû. Tu peux faire semblant d’avoir oublié, mais on n’y coupera pas… J’aurais bien embrouillé les pistes pour qu’il change d’idée, mais Bertrand est trop content de lui. Ça ne risque pas de lui arriver. Donc je me charge de deux trois trucs, et toi tu gères les sacs de couchage. Ok ?

Mon regard dépité le fit rire. Je vis sa main monter comme pour la passer dans mes cheveux, s’arrêter à mi-chemin, et retomber le long de son flanc. L’air gêné, il s’engouffra dans la salle de bain à son tour.

Je partis donc en quête du matériel de camping entreposé dans le garage. Quelques minutes plus tard, mon barda étalé sur notre lit, Yann me retrouva, à moitié séché.

Je ne pus le contempler de ton mon saoul, car Bertrand le suivait de près.

- Pensez aux k-way les amis. J’ai entendu qu’il allait pleuvoir cette nuit… jubila-t-il en s’installant sur notre lit.

- T’inquiète, répondit mon frère, on sera équipé. Occupe-le ici un moment, me chuchota-t-il pendant que son cousin lorgnait sur le contenu de mon sac à dos. Je reviens très vite, conclut-il avec un clin d’œil.

Je discutai avec Bertrand, qui savait par moments se montrer sensé quand il n’avait pas mon frère à embêter. Il m’expliqua le meilleur - et le seul- coin sur l’île, où selon lui nous serions abrités du vent. J’eus l’impression que, finalement, c’était surtout Yann qu’il avait voulu punir avec cette histoire, et qu’il était désolé que je me retrouve embarqué dedans malgré moi. Personnellement, à part ma sainte horreur du camping, ça m’était égal. Pourvu que je sois avec lui.

Lorsque Yann revint avec un sac à dos gonflé, il expédia Bertrand en dehors de chez nous.

- Allez oust, j’ai besoin de m’habiller.

- Monsieur est pudique maintenant ?

- Monsieur accepte déjà tes gages à la con, il aimerait bien en plus pouvoir disposer de sa chambre librement.

- Niels, je ne sais pas comment tu le supportes… fit semblant de me plaindre mon cousin, en sortant quand même.

- Bon, maintenant qu’on est débarrassé du problème, tu ne saurais pas où je peux trouver du scotch de déménagement ?

Il capitula devant mon air ahuri, et m’expédia hors de la chambre, à mon tour, en rigolant.

J’avais chaussé mes baskets et enfilé un jean, mon sac à dos sur le trottoir devant la maison. Réunis autour de moi, tout le monde partageait qui des conseils, qui des rires de connivence devant la déchéance des Kilmann.

Yann me rejoignit, énorme dans un coupe-vent que je ne lui connaissais pas, un sac faisant le double de lui sur les épaules.

- Et bien, t’as prévu de quoi tenir un mois, ou quoi ? lui demanda son père en le regardant d’un air étrange.

- Le style Kilmann ne s’improvise pas, répondit-il simplement en montant derrière le volant de la voiture familiale.

- On vient avec vous, dit Loïc en s’installant à l’arrière. Histoire de s’assurer que vous ne changez pas de route. On repartira avec la voiture, et on viendra vous chercher demain matin. Désolé, s’excusa-t-il à mon attention, l’air vraiment coupable pour le coup.

Je haussai les épaules, fataliste.

Durant tout le trajet, tandis que mon frère et son alter ego se chamaillaient à l’avant, je me laissais bercer par la projection de cette nuit à venir. Elle ne serait certes pas confortable, mais au moins nous y serions tous les deux.

Une fois arrivés, Yann se gara devant la plage. Devant nous, à perte de vue, l’immensité bleue brillait sous les reflets du soleil qui déclinait. C’était beau à en couper le souffle.

Les garçons sortirent nos affaires, hilares, tandis que je descendais vers la plage.

On aurait dit une crique de conte de fée. En face de la plage, une bande de sable, à présent presque recouverte par l’eau, menait à une toute petite île, recouverte intégralement de rochers, une centaine de mètres plus loin. Je ne voyais absolument pas comment nous allions trouver un endroit plat là-dessus. J’imaginais déjà le supplice des cailloux dans le dos, et l’air de la mer nous envoyer des vagues pleines d’algues collantes en pleine figure.

Mais si je n’avais pas du y passer les prochaines, longues, heures, j’aurais trouvé ça absolument adorable.

- Dépêchez-vous, si vous ne voulez pas être obligés de nager pour la rejoindre, nous pressa Bertrand.

- Enfoiré, jura Yann, il a même vérifié les horaires des marées pour être sûr qu’on ne puisse pas en revenir avant un moment.

- Je savais que ça serait ton idée ! rit son cousin en nous poussant vers l’isthme de sable.

- Allez, viens, me dit joyeusement mon frère à ma grande surprise. Foutu pour foutu…

Je lui emboîtai le pas sans me retourner, pour ne pas donner davantage de plaisir aux deux idiots derrière nous qui guettaient le moindre signe de découragement de notre part.

- Qu’est ce qui te fait sourire comme ça, lui demandai-je lorsque nous fûmes hors de portée de leurs oreilles indiscrètes.

- Tu verras. Patiente encore un peu, et je te dirai tout.

Nous atteignîmes le rocher géant, au moment où les vagues engloutissaient les derniers morceaux de sable blanc entre nous et la terre ferme. Du bord, les cousins nous faisaient de grands signes de victoire, essuyant de fausses larmes, avant de regagner la voiture.

Nous la vîmes disparaître derrière les pins, et se perdre dans un dernier virage.

- C’est bon, on peut repartir, déclara Yann en posant son sac à dos sur un rocher.

- Pardon ?

- Tu as vraiment cru que je les laisserais nous avoir comme ça ? Regarde et apprécie.

Il défit son coupe-vent, et à l’intérieur, je vis, sanglé par de grandes bandes de scotch, ce qui ressemblait à une bouée en plastique.

- C’est le kayak gonflable de Gaël ?

- Yes. Et je lui ai même pris son gonfleur, attends, dit-il en fourrageant à l’intérieur de son barda.

- Et il est d’accord ? demandai-je en riant à l’idée d’imaginer Yann quémander quoi que ce soit.

- Ne nous embarrassons pas de détails superflus, dit-il, un grand sourire s’étalant sur son visage qui voulait dire non.

Quelques instants plus tard, notre embarcation était prête. Yann dé-scotcha les rames en kit pour les visser ensemble. Nous étions prêts.

- Bye bye la nuit pourrie sur l’île, dit-il en poussant le kayak à l’eau.

Nous ramâmes en bon moment, le courant à étal nous facilitant la tâche. Revenus sur la plage, il hissa nos affaires hors de l’eau. Avisant un coin d’herbe plate, sous les pins à l’abri du vent, il décida d’en faire notre aire de campement.

- Sors la tente, s’il te plaît. Que je dégonfle ce foutu machin tant que j’ai encore de l’énergie.

- à tes ordres ! lançai-je tout content à l’idée de ne pas avoir à passer la nuit là-bas.

- Eh, je ne voulais pas avoir l’air de commander…

- T’inquiète, je suis aussi heureux que toi d’échapper à leur plan pourri ! Bien joué, au fait. Je m’étais résigné, mais là, franchement, tu me sauves. Je pense que leur idée est la pire qu’ils aient jamais eu. Ça mérite une vengeance, je pense…

- Tu peux toujours y réfléchir, ça ne coûte rien ! Et en général tu n’es pas mauvais dans ce genre de plans… !

Nous installâmes la tente en deux secondes comme son nom l’indiquait. Les fesses dans l’herbe, le visage bercé par la brise douce du soir, je me perdis dans la contemplation des vagues qui ondulaient tranquillement en face de nous.

Yann vint s’asseoir à côté de moi. Il me tendit de quoi manger, à base de pâté en croûte et de tomate.

- Je veux un vrai repas après tout ça, dis-je en croquant dans la chair ferme qui dégoulina sur ma joue.

- C’est vrai qu’il y a quelques inconvénients, mais il y a également des avantages, répondit-il en me léchant la joue, là où le jus avait coulé.

- Qu’est-ce que tu fabriques?

- Tu n’aimes pas? demanda-t-il d’un air faussement déçu, l’œil brillant d’idées déplacées.

- Je préfère comme ça, dis-je en posant mon repas, attrapant son menton dans une main pour l’embrasser pleinement, le basculant sur l’herbe sous mon poids.

Notre pique nique de fortune attendrait. Depuis notre après midi dans la lande, il m’avait tant tardé de le retrouver. Rien que lui pour moi.

Seuls tous les deux, loin des oreilles indiscrètes et des parois de chambre étroites, j’avais dans l’idée que cette nuit serait différente des autres.

De toutes les autres.

* * *

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