L'aube arrive

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J’aurais dû mourir.

Tué de ma main, il y a trop longtemps de ça. Mais j’ai traversé les années avariées et les tempêtes en nécrose, oblitéré par le silence, obstrué de larmes. J’ai survécu. J’ai survécu par rage et par peur, j’ai survécu par hargne et par pleur. J’ai survécu, fait de rustine de sourire sur mes amas de plaies putréfiées, entassant les flots de rire pour résorber le pus qui stagnait dans mon âme. J’ai survécu fait de tendresse violente, d’espoir désincarné.

Tu entends ça, ô ma tête inhumaine ? J’ai survécu ! J’ai trainé ma viande décomposée sur des trottoirs trop sales, j’ai élevé ma carcasse comme une fureur endormie, je me suis abandonné à l’horreur et à l’abject, je me suis fait objet pour des folles sans cœur. J’ai survécu en me rêvant monstre, un énième déchu condamné à l’oubli, à l’angoisse, à l’obscur, à l’erreur, à l’opprobre, au sang, à la haine, à l’échec, au désespoir et à l’errance éternelle.

Mais la dernière vérité, c’est que le verbe sauve.

Je suis un mensonge, un être de fiction, rêvé dans un monde affaissé sous ses mythes. J’ai vu des pustules mondaines avilirent des histoires pour être. J’ai entendu mon corps se coaguler à ces légendes pour exister. J’ai cru que la violence était réponse et qu’il fallait demeurer comme une gangrène dans les souvenirs.

J’ai comblé le temps sans vivre, déchet en devenir. Je me suis su interdit d’avenir. Frappé du sceau du siècle, un humain sous pilon qui ne pouvait pas être, écrasé sans cesse par son fantasme de fatalité. Je ne fus prisonnier que de mon âme perforée. Et je demeure aujourd’hui cette myocarde malade, suturée sans soin, engoncée dans sa carcasse molle, dans sa viande triste. L’aube arrive et je ne me suis qu’extrait du pilori de mon passé.

Demain sera noir, néant impalpable, fait de morts et de sang, fait de larmes et de terreur. L’avenir est un abcès obscène inachevable. Je n’ai pas de destin, juste une boursouflure sinistre qui grandit et pourri à mesure que mes rêves sombrent. Je grime mes fantasmes en besoins et plante mon chibre comme cairn en souvenir adénite dans chaque femme qui voudra m’accueillir. Le sexe est une lèpre qui me ronge et m’ingurgite, qui me disloque lentement, digéré par des faunes. Demain ne sera fait que de sperme sur des visages clandestins. Je jouirais incolore et épuisé, sans son ni sens.

Mais la dernière vérité, c’est que le verbe sauve. Il a extrait mon âme scrofuleuse à son présent sans temps. La dernière vérité, c’est que mon sang est fait d’encre et ma peau de papier. Un papier sapé par des tumeurs, dévoré d’œdèmes caverneux et de lambeaux de souvenirs, une encre croupie par les larmes, ravagé par des caries plus noires et méphitiques que l’histoire.

Mais la dernière vérité, c’est que le verbe sauve et il rassasie mon corps de mots et de phrases, offrant à mes tumeurs crispées un lendemain, quelque part, pour vomir encore des années de vie frémissantes enfin affranchi de mes silences.

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