Moyen-Âge : suite et FIN !

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Comment ça, « enfin la fin ! » ?

Donc nous voici dans la troisième partie de la première partie de cette histoire d'histoires... Je crois que je commence à m'emmêler les pinceaux, je n'aurais peut-être pas dû reprendre du chouchen, et il est temps qu'on en sorte du Moyen-Âge.

Si je compte bien, nous entrons dans le 13e siècle.

En résumant un peu ce qui s'est passé plus haut, on chante des histoires vraies pas tout à fait vraies et on commence à écrire des livres d'amour courtois pas si courtois. D'ailleurs, on y met les formes. On place même de belles enluminures histoire de faire vendre et de rendre l'objet un peu plus attractif. Au milieu des nombreux textes, une littérature moins noble fait son apparition : les fabliaux. Les animaux y ont une place importante. On y projette les croyances, on s'en sert pour critiquer la société ou pour enseigner la morale... et non, La Fontaine n'était pas né. Ces œuvres satyriques connaissent un grand succès auprès du public bourgeois, certaines étant rédigées en vers, disons... grivois (pour rester dans l'ambiance de l'époque). Le plus célèbre de ces contes satyriques est sans conteste le Roman de Renart (je vous avais dit qu'on en reparlerait.) Cette œuvre est composée de plusieurs récits indépendants, d'auteurs différents d'ailleurs, mais dont la cohérence a permis de les rassembler en une seule et même entité. On la nomme « Roman », car elle se compose de vers en langue romane. On y retrouve toutes sortes de farces animalières et les deux personnages principaux : le loup Ysengrin et le goupil Renart qui donnera plus tard son nom à l'animal, goupil tombant dans l'oubli. D'ailleurs, pour la petite histoire qui ne sert à rien sinon à se la péter lors d'un repas de famille, sachez que les lapins avant s'appelaient « conils » ce qui constitue éthymologiquement l'origine du mot cunnilingus. Aucun rapport, je sais.

Le côté moralisateur et critique du Roman de Renart se retrouve de plus en plus présent au fil des années de sa rédaction, au fur et à mesure que les textes se rajoutent.

En gros, les histoires qui mettent en scène le rusé Renart et le stupide Ysengrin se passent toutes plus ou moins de la même façon. Renart est rusé, certes, mais surtout très fourbe et arrive toujours à faire retomber les conséquences de ses méfaits sur le dos du pauvre et au combien naïf Ysengrin qui finit par se faire battre comme plâtre, laissé presque mort parfois. Et Renart de s'en sortir ainsi, en piégeant son compère. Aucune justice ! Cela dit, le loup est d'une débilité affligeante et on en vient à ne plus avoir pitié de lui, mais à invoquer la sélection naturelle. Disons que si les trophées Darwin avaient existé à l'époque, Ysengrin les aurait remportés trois années d'affilée.

Le 13e siècle est aussi marqué par un auteur très productif et dont on ne sait absolument rien. Mais alors rien de rien, pas même son nom. N'est resté de lui que son pseudonyme : Ruteboeuf. Il a écrit un peu sur tout et n'importe quoi, des saints en veux-tu-en-voilà, des pièces de théâtre et des poèmes. Il fut surtout un des premiers à rompre avec la tradition de la poésie courtoise des ménestrels pour se lancer dans une œuvre tout à fait personnelle. Oui, à peine les codes de la littérature instaurés, on en a déjà un qui décide de ne pas faire comme tout le monde. C'est sans doute ce qui définira le mieux notre histoire littéraire française.

Ruteboeuf fut donc l'un des pionniers d'une poésie égocentrée.

Celui qui prendra cette suite n'est pas moins que le grand, l'éminent, le célèbre, François Villon.

François Villon est sans doute le poète le plus célèbre de la fin du Moyen-Âge. Pour moi, c'est tout de même le meilleur coup marketing du siècle. Même Madonna n'a pas fait mieux pour son image.

Le père Villon est un poète de génie, parfaitement incompréhensible. À notre époque, c'est encore plus difficile parce que la langue a changé, mais il avait tout de même l'art et la manière du double sens et des antiphrases. Du coup, comprendre le sens initial du texte était plutôt coton. D'ailleurs, je mets au défi quiconque ici de me faire une analyse de texte d'un de ses poèmes sans la traduction et les petites notes qui accompagnent en général les versions. Migraine assurée.

Sa Ballade des Pendus reste parmi l'un des plus beaux poèmes de notre patrimoine, faut tout de même saluer l'artiste.

Mais, là où il est très fort, c'est que c'est un malfrat de première. Les bad-boys avaient déjà la côte à l'époque. Il a plus souvent visité les geôles des prisons que sa piaule, pris régulièrement dans des rixes, il a même tué un prêtre, on compte quelques cambriolages à son actif, etc., et le mieux dans cette histoire, c'est qu'on ne sait pas de quoi il est mort. Il s'en est toujours tiré, malgré les multiples condamnations, et il disparaît, comme ça.

Le mystère autour de lui est entier. Son succès, lui, est fulgurant et son œuvre maîtresse, Le Testament, sera éditée en continu jusqu'au 16e siècle. On dira de lui qu'il fut le premier « poète maudit ». Un mythe est né. Ce qui est drôle, c'est que son statut de malfrat n'est apparu qu'il y a peu, fin 19e siècle, et là encore, le personnage intrigue... Véritable assassin ou accident ? Fut-il au mauvais endroit, au mauvais moment, ou était-il réellement un truand ? Et qu'on décortique à nouveau ses vers et ses sens et doubles sens pour percer le mystère de cet homme-là et s'accrocher au moindre mot. Il aurait eu un agent littéraire qu'il n'aurait pas fait mieux !

Ainsi se termine la première partie de cette petite histoire amoureuse de la littérature française, et je pense qu'il faut en garder que le roman est né d'une nécessité : celle de se faire comprendre de son lecteur autant que celui de véhiculer un message (critique sociétale, critique de la morale, rétablissement des légendes païennes, ou encore exploration de son propre personnage).

Mais avant de passer au 16e siècle et à la Renaissance, attardons nous encore un peu dans ce rayon-là de ma bibliothèque et prenons le temps de la découvrir, ou redécouvrir, cette fameuse Ballade des Pendus, écrite (il paraît) en attendant justement la potence qui lui était promise. Poème magnifique où la rédemption est au cœur de tout le texte. Je vous épargne la version originale... Notez une chose : le titre n'est venu que bien plus tard, à l'origine ce texte n'en avait pas et était désigné sous le nom de « Frères humains ».

Frères humains qui après nous vivez,

N'ayez pas le cœur contre nous endurci,

Car, si pitié de nous pauvres avez,

Dieu en aura plus tôt de vous merci.

Vous nous voyez attachés ici, cinq, six :

Quant à notre chair, que nous avons trop nourrie,

Elle est depuis longtemps dévorée et pourrie,

Et nous, les os, devenons cendre et poudre.

De notre malheur, que personne ne se rit,

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Si nous vous appelons frères, vous n'en devez

Avoir dédain, bien que nous ayons été occis

Par justice. Toutefois vous savez

Que tous les hommes n'ont pas l'esprit bien rassis.

Excusez-nous, puisque nous sommes partis,

Auprès du fils de la Vierge Marie,

Que sa grâce pour nous ne soit tarie,

Et qu'il nous préserve de l'infernale foudre.

Nous sommes morts, que personne ne nous tourmente,

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a lessivés et lavés

Et le soleil nous a séchés et noircis ;

Pies, corbeaux nous ont les yeux crevés,

Et arraché la barbe et les sourcils.

Jamais un seul instant nous ne sommes assis ;

De-ci de-là, comme le vent varie,

A son plaisir, sans cesse, nous charrie,

Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.

Ne soyez donc de notre confrérie,

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus qui a puissance sur tous,

Fais que l'enfer n'ait sur nous aucun pouvoir :

N'ayons rien à faire ou à solder avec lui.

Hommes, ici pas de plaisanterie,

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

Y'a pas à dire, ça calme ! Et moi je sais pourquoi je n'écris pas de poésie...

Sur ces belles paroles, je vous dis à bientôt !

K.

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