Chapitre 3

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 À l’aube du sixième jour, Amselume se dressait devant nous. La falaise silencieuse paraissait avoir un renfoncement dans son roc. Nous avions pénétré dans une forêt encore plus dense que celle qui entourait l’orphelinat. Elle commençait presque à la lisière de l’escarpement de pierre puis s’étendait sur près de six kilomètres. Dans cette sylve fournie, les arbres aux tailles démesurées nous dirigeaient dans leur labyrinthe de branchages et de feuilles. Je commençais vraiment à me demander pourquoi le général Daserion voulait qu’on exécute une halte à la capitale elfique. Pourquoi n’allons-nous pas directement à Mhala ? Quoi qu’il en soit, mes pieds et mes jambes pouvaient le remercier pour ce répit après quatre jours de marche.

 Le soir venu, nous mettions pied dans la cité. Je ne faisais que m'émerveiller en voyant l'endroit. Faite à la fois dans le roc et dans la forêt, elle n'en était pas moins magnifique. Des arches et des arabesques de pierre nous surplombaient et à certaines pendaient des voiles de couleurs vives. Certaines branches d'arbres s'entremêlaient pour faire de petites barrières naturelles. Les arbres, aussi grands fussent-ils, laissaient passer la douce lumière froide et bleutée de l’astre lunaire, formant de petits halos sur le sol et les végétaux. Il y avait des plates-bandes de fleurs un peu partout. Toutes remplies de bourgeons - éclots ou non- colorés. Il y avait beaucoup de plantes et de fleurs que je n’avais jamais vues. Il y avait tant de choses à voir que mes yeux ne savaient pas où se poser. En voyant mon air hébété et ma bouche ouverte devant ce qui paraissait irréel, Elize mit sa main en dessous de mon menton.

— Tu ne voudrais pas avaler des mouches, non ? Me demanda-t-elle en gloussant et en fermant ma bouche en même temps.

— Je suis certain qu’elle adorerait cela : c’est rempli de protéines.

 Mon amie abattit son poing sur le bras du triton, ce qui le fit rire de plus belle. Je finis par rire en chœur avec eux. Une fois qu'on eûmes eu terminé, Telrym Daserion nous ramena à l'ordre durement. Il commence vraiment à me taper sur le système cet elfe, pensais-je en maugréant. Il prit alors la parole.

— Ce soir, nous dormirons en dehors de la cité, car les tavernes et les baraquements ne peuvent pas contenir autant de personnes. Nous ferons donc comme les autres soirs, dit-il froidement. Demain matin à l’aube, je dois me rendre au palais pour faire un rapport au roi, mais je vous laisse sous la garde de mes sous-généraux. Vous êtes libre de vous promener comme vous le voulez, mais je vous veux tous de retour autour des feux avant minuit.

 Cela faisait une semaine que j'étais partie de l'orphelinat. Une ! J'avais l'impression que cela faisait une éternité. Je commençais à penser que tout cela avait été vite. Pourquoi soudainement un groupe viendrait à l'orphelinat ? Cela ne pouvait qu’être une simple coïncidence. L'endroit où j'avais grandi était caché parmi les arbres. Son emplacement n’était pas connu de tous. Peut-être que cette garnison, celle que Telrym Daserion menait, devait venir. Mais pourquoi ?, me demandais-je. Y avait-il une raison ? Y avait-il quelque chose qu’on ne nous disait pas ?

 Après une dizaine de minutes à ne rien faire, Nyra vient nous rejoindre près de l’entrée faite de métal et de végétaux en battant légèrement des ailes. En atterrissant, elle se rua vers nous pour nous étreindre vigoureusement. En nous lâchant, elle nous sourit avant d’entrer dans Amselume. Elle eut presque la même réaction que moi tout à l’heure. Au loin, on pouvait apercevoir une statue de femme majestueuse au milieu d’un parc entouré de bancs en pierre. Ils ne seront certainement pas en bois. Elize nous tira par les bras moi, Kaleb et Nyra. Elle nous força à nous assoir sur une des banquettes faites de pierre. Précisément celle qui faisait face à la statue. La dame était vêtue d’une armure gravée de motifs complexes faisant penser à des serpents de métal glissant sur sa cuirasse. Sa longue chevelure dépassait de son heaume surmonté d’ailes d’anges sur chaque côté de sa tête. Une cape flottait dans son dos. De plus, elle tenait une épée à la garde ressemblant à un entrelacs de branches au-dessus de sa tête en signe de victoire. Bien que ce ne fût qu’une statue, elle n’en était pas moins majestueuse.

— Regardez cette statue, nous indiqua Elize soudainement excitée.

— Dans un des livres que j'ai lus, il y avait mention de cette femme. Elle s'appelait Myrianni Plyrion. C'était la première elfe qui fut nommée reine d'Amselume sans avoir été mariée à un roi. Elle combattit aussi dans plusieurs grandes guerres lors de la deuxième ère dont l’invasion de Doroth, ces créatures ressemblant à la fois à une araignée géante et une chauve-souris. Elle est un symbole important pour les elfes, nous informa Nyra en observant la statue de bronze.

— Tous les elfes, ou presque, savent l’histoire de la reine Plyrion, affirma Kaleb. C’est une grande figure historique que beaucoup admirent, du moins nos amis aux oreilles pointues, dit-il en jetant un coup d’œil à Elize qui semblait obnubilée par le monument.

— Je n’étais pas au courant qu’il y avait une femme aussi importante parmi les elfes. Elle est très belle, observa Nyra.

— Elle est magnifique, souffla doucement Elize.

 L’attitude de mon amie me fit sourire puis je me levai du banc inconfortable. Je crois que des bancs en cuivre seraient plus adaptés, me dis-je en me frottant le bas du dos.

— Je pense que nous devrions profiter de la soirée tant que nous en avons encore le temps. Peut-être aurions-nous la chance de revenir plus tard ?

— Bonne idée ! s’exclama Nyra en bondissant gaiement sur ses pieds, battant vigoureusement des ailes.

— Fais attention ! Il ne faudrait pas les froisser en sautant de la sorte ma petite Nyra, l'avertit Elize en se levant à son tour du banc.

 Nyra était fragile et plus petite que nous. Étant une fée, mon amie était naturellement moins grande que les enfants de son âge. Les fées dépassaient rarement la taille d’un enfant de douze ou treize ans. De plus, elle était un an plus jeune que nous - elle avait 16 ans alors que nous en avions 17. Sa petite taille ainsi que la fragilité de ses ailes de papillon poussait les autres personnes à faire attention. Une fois une aile de fée déchirée, il n’y a aucun moyen pour la réparer. Je me demandais pourquoi elle avait voulu s'embarquer dans quelque chose d'aussi dangereux que la guerre. Ce n'était pas pour les fées. Ces créatures devaient se trouver dans leurs bois pour s'affairer à leurs activités et non sur un champ de bataille où, à la moindre occasion, elles risqueraient de se faire arracher leurs précieux appendices. Elles n'avaient pas la constitution désirée pour se battre et ne l’auront jamais.

— Puisque je suis née ici et que j’y ai vécu quelques années, je devrais être en mesure de nous guider à travers la cité.

 En visitant Amselume, je me rendis compte que les elfes étaient une race de gens gracieux et discrets. Ces traits se reflétaient sur leurs bâtiments et leurs créations. J'avais côtoyé des elfes toute ma vie mais jamais je n'aurais cru qu'ils étaient comme ça. Elize est tout le contraire, pensais-je en souriant à cette pensée. Leurs habitations, construites avec un assemblage de mousse et de morceaux de bois, étaient si solides et souples. Malgré le peu de matériaux requis pour ces constructions, elles étaient à l'épreuve de toutes intempéries. Spacieuses et confortables, j'admirais ces maisons. Parfois, elles se trouvaient entre les branches des arbres ou pendaient tout simplement des hauts rameaux. La ville était plutôt construite en hauteur qu’en largeur en raison des grands arborescences. Comment faisaient-elles pour tenir de la sorte ? Me demandais-je en les observant. C'est à ce moment que je réalisai que je ne connaissais rien du monde et que j'avais encore beaucoup de choses à découvrir et à apprendre.

 Après plusieurs heures à errer comme des fantômes dans la ville elfique, nous avions enfin décidé de nous rendre au campement pour y manger notre ration du soir et aller dormir. Pendant une trentaine de minutes, nous mangions en retrait tout en parlant de l’architecture d’Amselume. Au loin, la voix de Telrym Daserion retentit. Il parlait assez fort pour que tout le monde soit en mesure de l’entendre.

— Je ne sais pas si les gardiens de votre orphelinat vous en ont informé, mais si ce n’est pas le cas, laissez-moi vous éclaircir. Il a été décidé que chaque enfant devra prendre le nom du soldat qui l’a choisi. À partir de maintenant, ils seront vos tuteurs. Puisque j’ai moi-même sélectionné une personne, cette dernière devra à présent s’appeler Aeris Daserion.

 L'entendre prononcer mon prénom pour la première fois avec son nom de famille sonnait faux. Comment pouvait-il me forcer à adopter son nom seulement parce qu'il m'avait choisie lors du recrutement ? Ses propos m’irritèrent énormément. Ne pouvant rester assise, je me levai et le regarda droit dans les yeux.

— Je m'excuse général Daserion, il est hors de question que j'ajoute votre nom au mien. J'étais bien sans alors je n'en ai aucunement de besoin, lui dis-je avec un air de défi et de colère dans les yeux. Ce n'est pas parce que vous vous êtes autoproclamé mon tuteur sans ma permission que cela vous donne le droit de changer mon nom.

— À ce que je sache, j'ai signé un papier pour être votre tuteur et tous les autres soldats ont fait la même chose. Vos professeurs n'ont probablement pas jugé utile de vous en faire part avant notre départ. De plus, je ne change pas votre nom, j'en ajoute un, me dit-il durement, ses yeux bleus me transperçant d'une manière stricte.

 Plusieurs orphelins s’indignèrent et commencèrent à lui envoyer des jurons ainsi que d’autres noms dont personnes ne voudraient être traité. Le général restait stoïque et ne bougeait pas. Il ne semblait point se soucier de ce qu’il avait fait. Un regard glacial, sans émotion. Je ne serais pas surprise d’apprendre le fait qu’il n’a probablement pas de cœur. Déjà que j’éprouvais du mépris envers cet elfe arrogant, il venait de se transformer en colère après ce qu’il venait d’annoncer. Comme si une bête avait prise possession de mon esprit, une énorme vague de chaleur me submergea et dans ma colère, elle prit la forme d’une vague qui quittait mon corps. Je fus incapable de la contenir à l’intérieur de mon enveloppe charnelle. Le flux de chaleur diminua de plus en plus jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien. Soudainement, je perdis le contrôle sur mon corps puis m’écroulai sur le sol terreux comme un enfant qui aurait lâché sa poupée de chiffon. L’impact ne se fit pas ressentir, car le sommeil m’avait déjà enveloppée lorsqu’il survint.

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