Chapitre 1

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Je rentre des cours en me remémorant les mots de mon petit-ami. « Ce n'est pas comme si tu risquais de tomber enceinte » m'avait-il dit alors qu'il me proposait d'enfin passer à l'acte après un an de relation. Il est évident pour nous deux qu'il n'a pas tort au fond. Mais ses mots m'ont rappelé la dure réalité de la vie : je n'aurais jamais d'enfants. Ce sont ses paroles qui m'ont fait réfléchir sur la vie que l'on mène. Je n'avais que neuf ans lorsque le gouvernement a avoué être la cause de l'infertilité mondiale. Je ne comprenais pas ce que cela changerait à ma vie, étant trop petite pour envisager quoi que ce soit. Mais là je le ressens, cet instinct maternel qui ne demande qu'à procréer.

Je trottine dans ma rue, ayant hâte d'enfin rentrer chez moi et de me préparer un délicieux repas. Mais ma route est barrée par une voiture qui s'arrête à ma hauteur et dont les vitres sont teintées de noir. Je contourne le véhicule et trace ma route, ne souhaitant pas être encore sollicitée. Cela m'arrive bien trop souvent depuis que mon corps s'est développé. Mes courbes féminines attirent les hommes à mon plus grand regret. Ces derniers n'ont plus peur de la loi depuis bien des années maintenant. D'ailleurs, la loi vaut-elle encore quelque chose sachant que notre espèce s'éteint ? Tous les jours je suis spectatrice de délits, parfois même de crimes. Le gouvernement a perdu non seulement la confiance de la population, mais également sa crédibilité.

_S'il vous plait, l'on m'interpelle.

Je souffle d'exaspération et daigne me tourner vers mon interlocuteur. Il n'a pas l'air d'être méchant, quoique légèrement perdu.

_Je ne trouve pas une rue, dit-il en se grattant les cheveux dégarnis.

_Où souhaitez-vous aller ? Demandé-je par politesse.

_Au lac.

_Oh, eh bien il vous suffit de prendre sur la gauche...

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase qu'une piqûre se fait ressentir sur mon bras. À peine ai-je le temps de voir ce qui se passe, qu'un homme me soulève. Je me sens partir.

...

Je me réveille dans un sursaut, ne comprenant pas si je viens de rêver ce qui s'est passé ou non. Suis-je dans ma chambre ?

On retire le voile qui recouvrait mes yeux et la lumière m'arrache un gémissement. Après un temps d'adaptation, mes yeux scrutent tout ce qui m'entoure, et ce que je vois me glace le sang. Cela ressemble à un...

_Camp de fertilité, je murmure.

_C'est exact ! Réponds une voix d'homme.

Le conducteur de la voiture dans mes souvenirs s'approche de moi dans un sourire éclatant avant de se présenter.

_Je m'appelle Tony et tu as été désignée pour apporter ton édifice à notre expérience.

_Quelle expérience ? Demandé-je du tac-au-tac.

En réalité je sais très bien ce dont il me parle. Ces fameux camps sont apparus récemment et ne cessent de faire parler d'eux. En mal mais aussi en bien par certains partisans de cette pratique. Et jamais, au grand jamais je ne souhaite en faire partie.

_Ne fais pas l'ignorante Ilana, tu le sais parfaitement.

Je prends ma tête entre mes mains et commence à prier. Je ne suis pas forcément croyante, la religion n'ayant plus tellement de sens à mes yeux. Mais lorsque les temps sont durs, j'essaye d'y croire pour tenter d'obtenir un miracle. Et c'est ce que je fais maintenant : y croire.

_Je demande à Dieu de venir me sauver de cet enfer, je murmure.

_Stop.

Tony enlève mes mains et me lève de la chaise où j'étais assise. J'en profite pour observer la pièce où je me situe. Cela  ressemble à une chambre d'hôpital à l'exception près d'un lit double entreposé au milieu de la pièce.

_Je vais te laisser lire le règlement du centre ainsi que notre fonctionnement, dit-il. Le livret est sur la table de chevet, une fois que tu auras terminé tu appuieras sur le petit bouton d'appel. Est-ce clair pour toi ?

Je hoche la tête, trop intimidée et apeurée pour prononcer quoi que ce soit. J'ai l'impression d'être en plein cauchemar. Le fameux livret m'interpelle, je me résigne donc à l'appréhender.

_À tout à l'heure ! Lance Tony.

Puis il s'en va en veillant à refermer la porte derrière lui, à double tour. Je soupire et m'installe sur le lit, sentant que mes jambes vont se dérober à tout moment. Ce n'est pas le moment de perdre la face ni même de m'écrouler. Et pourtant il va bien falloir que je lise son règlement afin d'avoir une meilleure idée de ce qu'il va m'arriver. J'effleure du bout des doigts la couverture du livret et me décide à l'ouvrir.

Livret d'accueil

« Fertility Center »

Bienvenue au sein de notre centre de fertilité. Tu as été choisi(e) parmi de nombreux citoyens pour faire partie d'une expérience exceptionnelle ! Le "Fertility Center" a été créé en 2040, soit trois ans après l'annonce du gouvernement sur notre situation. Voici comment ce centre fonctionne :

Dès ton arrivée, tu seras automatiquement redirigé(e) dans une chambre que tu partageras avec ton binôme. Une fois bien installé(e), tu subiras des tests sanguins par mesure de sécurité ainsi qu'un test de fertilité.

Dès lors que tes résultats apparaîtront, l'expérience de procréation débutera. La première semaine des préservatifs vous seront distribués afin que votre binôme apprenne à se connaître.

À partir de la seconde semaine, les préservatifs vous seront retirés et le binôme devra obligatoirement copuler tous les trois jours jusqu'à ce que grossesse s'ensuive.

Des tests seront alors effectués tous les dimanches pour vérifier s'il y a grossesse ou non.

Au bout d'un mois, si les résultats ne sont pas escomptés, une insémination artificielle sera réalisée sur la femme ainsi qu'une étude sur la sécrétion de l'homme.

Je jette le livret sur le lit, j'en ai trop lu. Ils sont encore plus tordus que ce que je croyais. Il est absolument hors de question que je participe à ces pratiques monstrueuses. Je dois partir de cet endroit au plus vite.

J'appuie sur le bouton et Tony entre dans ma chambre dans les cinq minutes qui suivent. Comme s'il attendait derrière la porte. Toujours élégant et d'une droiture exemplaire, il garde une expression joviale.

_As-tu des questions ? Demande-t-il.

_C'est du viol, dis-je fermement.

Il lève les yeux au ciel et reporte ensuite son regard -glacial cette fois ci- sur moi.

_Nous faisons tout ça pour sauver l'espèce humaine, tu ne mesures donc pas l'ampleur de cet acte ?

_Bien sûr que si ! Mais étiez-vous nécessairement obligé de recourir à ça ? D'être aussi malsains ? Crié-je.

_Il le fallait, réplique-t-il. Quoi qu'il en soit, tu dois me suivre dans la salle principale. Ta présence ici n'est pas négociable.

Il me prend le bras et je couine un « aie » lorsque ses ongles me transpercent. Nous sortons de la pièce et je ne peux m'empêcher de contempler le bâtiment. Mes yeux repèrent les différentes portes qui entourent le couloir où nous marchons. Certaines m'ont l'air bien plus intéressantes que d'autres, notamment celles surplombées d'un panneau lumineux « SORTIE ».  À mon plus grand regret, je ne croise que des gardes qui vont et viennent dans les couloirs, mains derrière le dos. 

Tony desserre son emprise lorsque nous arrivons face à une porte. Devant celle-ci, une secrétaire est postée derrière son bureau où un petit appareil est posé.

_Tony, peux-tu la faire avancer ? dit-elle d'une voix agaçante.

Il me pousse machinalement vers elle. La « gentille » secrétaire prend de force ma main et l'insère dans la machine.

_Qu'est-ce que vous me faites ?

_Tu comprendras plus tard, répond-elle exaspérée.

Toujours sans m'adresser un regard amical, elle appuie sur deux boutons. L'appareil s'allume et une vive douleur au poignet me fait crier. Mes yeux dévient vers Tony, sûrement dans l'espoir de trouver un quelconque réconfort. Monsieur semble se réjouir tandis que je souffre la martyre. Lorsque la douleur s'arrête enfin, la secrétaire me rend ma liberté, ou plutôt celle de ma main. Je la retire vivement et contemple mon poignet meurtri. « 501 » y est inscrit au fer rouge.

_C'est quoi ça ? Crié-je en indiquant ma brûlure.

_Ton numéro d'identification, désormais tu ne répondras qu'à ce nom, me répond Tony.

Je m'indigne de stupéfaction. Alors voilà comment les centres traitent les humains ? Je ne m'attendais pas à cela. Ceux-ci étaient pourtant signe d'espoir pour notre humanité selon certains dires, bien que leurs pratiques furent inconnues. Maintenant je comprends mieux pourquoi les « victimes » de ces centres n'ont jamais souhaité parler.

_Vous nous prenez pour des animaux...

_C'est tout comme, répond la secrétaire en roulant des yeux.

Je me mords la lèvre pour ne pas répliquer, mais je n'en pense pas moins. Tony me reprend par le bras et m'emmène non loin de là. Deux gigantesques portes s'ouvrent et j'y découvre une tout autre vision. Femmes, enfants et bébés jouent, mangent ou parlent entre eux. Les bébés gazouillent, pleurent, me comblent de bonheur. Ce spectacle devant mes yeux redonne espoir et me pousse à la curiosité. Les centres de fertilité fonctionnent, j'en ai désormais la preuve sous les yeux.

_Tu vois ça ? dit Tony. C'est l'avenir de notre Terre, nous allons réussir à combattre le gouvernement.

Je hoche la tête, toujours bouche bée. Bien que cette vision soit idéaliste, je n'en oublie pas les manières exécrables pour y parvenir.

Mon bourreau desserre sa prise et me laisse découvrir les lieux. Je m'avance vers le centre de la pièce qui ressemble à une garderie avec tous ces jouets et enfants. Les jeunes femmes ici présentes ne semblent ni apeurées ni même choquées. Juste heureuses. Mais où sont les hommes ? Un groupe de femmes m'interpelle, celles-ci discutent ensemble et rient gaiement. En me voyant les dévisager, elles sourient en chœur et comblent l'espace qui nous sépare.

_Une nouvelle ! s'exclame une femme d'environ une trentaine d'années.

_Bonjour, dis-je timidement.

_N'aie pas peur, au départ c'est toujours inquiétant de venir dans cet endroit mais au final il n'en est rien ! Tente de me rassurer une autre femme.

_Merci... Vous vous appelez comment si ce n'est pas indiscret ?

_256, répond la trentenaire.

_308.

_341, termine la plus jeune des femmes.

J'arque un sourcil et secoue ma tête en rigolant. Elles n'ont pas dû comprendre ma question, je la reformule :

_Je parlais de vos vrais prénoms, ris-je maladroitement.

Elles me regardent toutes les trois, ne comprenant pas où je veux en venir. C'est très étrange. Mon rire s'éteint, remplacé par de l'inquiétude. Je tente une nouvelle approche, plus directe.

_Moi c'est Ilana.

_Non, c'est impossible, dit 256.

_Comment ça ? Demandé-je en perdant patience.

_Ça n'existe pas voyons ! Haha tu nous fais une blague c'est ça ? Rit la trentenaire.

Voyant leur air sérieux mais un peu perdu de ces femmes, je décide de m'éloigner d'elles. Il se passe clairement quelque chose d'anormal en ces lieux, et j'ai peur de finir comme ces mamans. Les droguent-elles ? 

Je décide de m'agenouiller sur un coussin par terre et d'attendre que le temps passe. Il doit bien y avoir un moyen de ne pas rester ici, peut-être de s'enfuir qui sais-je. J'ai plusieurs solutions qui s'offrent à moi. La première étant de prendre mes jambes à mon cou, sans connaître les potentielles sorties. La deuxième étant d'attendre d'en connaître plus sur cet endroit, pour m'enfuir plus tard. Mais cela est assez risqué, et impliquerait une potentielle grossesse ainsi que d'abandonner ma virginité. Je dois à tout prix réfléchir à une troisième alternative, et ce le plus rapidement possible.

Une alarme assourdissante me fait sursauter. Je me bouche les oreilles avec mes mains, le son étant particulièrement strident. Un rapide coup d'œil à la porte m'indique qu'un homme entre dans la salle. L'alarme cesse lorsque ce dernier monte sur une des tables au centre de la pièce. Il prend la parole :

_Aujourd'hui est un grand jour pour notre centre. Douze nouvelles recrues sont arrivées ce matin pour mener à bien cette fabuleuse expérience, dit-il. Je vous prie de les accueillir chaleureusement et de les encourager à se regrouper autour de moi.

Les femmes commencent à frapper des mains et à hurler en cœur « Les recrues, les recrues ! ». Je me lève donc de mon coussin et m'approche, accompagnée d'autres femmes. Nous ne sommes que six, où est l'autre moitié ?

_Et maintenant, un tonnerre d'applaudissements pour les hommes !

Il est vrai que depuis mon arrivée je n'ai pas vu d'hommes, hormis ceux qui travaillent entre ces murs. La porte s'ouvre et un défilé de mâles vient nous rejoindre. Leurs traits montrent qu'ils sont aussi désemparés que nous. Certains sont d'ailleurs pétrifiés.

_Il est grand temps de constituer les binômes, reprend l'homme imposant.

Il sort un papier de sa poche et commence à énumérer des numéros : les fameux binômes de cette expérience. Ceux-ci sont amenés à se rendre immédiatement dans leur chambre « parentale » respective.

_501 avec 497.

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