Les nymphes

de Image de profil de Florent BillardFlorent Billard

Avec le soutien de  Boudiou ! 

   NOTE : voici une nouvelle qui vaut ce qu'elle vaut. Parfois il manque l'accent sur les "a" majuscules, parce que mon traitement de texte est chiant. Bonne lecture.

I

   Si le travail ne prenait pas à ce point sur notre temps, nous irions par le monde ; du moins quelques mots peuvent-ils suppléer à cette envie. Pour ma part, après avoir lu trop de livres, je m’endors et rêve. Je me promène en un séjour merveilleux, écrin de mille beautés.

   A mon réveil, il me semble pouvoir tout conter, tout compter de ce que je vis, et vous transporter par les mots, en une forêt enchanteresse ; pins et chênes millénaires, de leurs feuillages et épines forment une épaisse canopée. Dans le sous bois, touché par des faisceaux de lumière, sur un tapis de fleurs et de mousses, une étrange communauté s’égaie ; on rit, on chante, on murmure sur les accents cristallins d’une eau voisine.

   Les gracieuses nymphes vivaient une de ses journées paresseuses mais sans ennuie. Que d’amusements en cette forêt ! que de motifs à se dissiper joyeusement ! Certes depuis longtemps on n’avait point vu passer de visiteurs ; mais le nombre de nymphes ayant beaucoup crû avec les ans, inutile de s'en aller chasser un homme.

   La douce Diane, toute d’or et d’albâtre, ne partageait pas la joie de ses comparses. Elle avait atteint cet âge où, n’écoutant que son esprit, rejetant les idées qu’on veut y incruster de force, on songe à soi même pour mieux en connaître les tréfonds.

   « Tu es bien soucieuse, remarqua une nymphe.

   —Quand notre reine joue de la lyre, je suis toujours portée à la mélancolie. »

   Cette mélancolie lui venait d’un lointain passé, comme un écho qui ne voulait pas finir. Contrairement à ses sœurs, Diane ne savait de quel ventre elle était née. Elle se souvenait en revanche d’un grand frère aux menottes toujours prêtes à la chatouiller. Ni père ni mère, juste lui.

   « Je voudrais avoir des nouvelles de mon frère... »

   A ses mots, les notes de musique cessèrent brutalement. La reine leva son visage courroucé vers l’importune.

   « Folle ! rabroua-t-elle. Un mâle en ces lieux ?

   —Pas un mâle, mais un parent !

   —Un mâle te dis-je ! Une engeance querelleuse, guerroyant toujours pour un grain de sable !

   —On sait bien ma reine que les femmes aussi se disputent », contredit Diane.

   La reine se radoucit ; dans son ton, elle-même avait usé de la violence réprouvée. Soudain attendrie par la douce tristesse de la nymphe, elle lui livra ce secret :

   « Ton frère te cherche de par la Grèce. On le vit, dit-on, à Sparte puis à Athènes. Connaissant son caractère, je le sais sur toutes les routes ; il plongerait au fond du lac Stymphale, escaladerait l’Erymanthe ou l’Olympe ; il surmonterait les travaux d’Hercules, triompherait du Minotaure, vaincrait Hadès ou Poséidon. Dut-il affronter Zeus, les dieux primordiaux et tout le cosmos, que son ardeur à te trouver ne faiblirait pas !

   —Comment pouvez-vous savoir cela ?

   —Je suis devineresse. »

   Sur le visage des deux femmes, une immense admiration pour l'inconnu se discerna. Une prière fut dite pour Aphrodite et un chant déployé dans le sous-bois. Une nymphe reprit la lyre pour y façonner une délicieuse mélodie.

   « A l’avenir radieux, à la félicité !

   Au séjour merveilleux, écrin de cent beautés !

   Forêt, eaux, fleurs et cieux, nul ne peut les compter;

   Sauf à avoir mille yeux, et cent voix pour conter.

   Tant de sérénité ! Que de continuité,

   Pour la sérénité, ou rien n’est vacuité ;

   Tant de sérénité, à laquelle goûter

   Cette sérénité est notre éternité. »

   En priant, un flot de larmes inondant ses joues, la douce Diane ne demandait qu’à Aphrodite le preste retour de son grand frère. Elle pressa le coquillage pendu à son cou, modeste présent qu’il lui fit jadis. La reine s’en aperçut ; épouvantée, elle exigea qu'on jetât le bijou dans le proche lac. Une nymphe y pourvut ; tandis qu’elle s’éloignait, Diane s’abandonna aux larmes ; elle était tout à fait seul à présent.

II

   Quand chacune fut rendue à ses occupations, Diane traversa plusieurs rideaux de végétations, écarta des pans de lierre, prit garde d’éviter les grappes de fleurs, pour trouver au plus secret de la forêt, un lac d’eau pur. Tout au fond, le coquillage nacré scintillait ; la nymphe se détermina ; déparée de tout apprêt, elle plongea dans l’eau fraîche. C’est alors qu’elle aperçut un homme ! Le voyageur se promenait sur la berge. Il posa ses sacs à terre, ses armes, et sa tunique. Quand il eut jeté ses sandales, il plongea à son tour. Diane nagea vers lui.

   « Monsieur, éloignez-vous ! Vous ne savez pas quel danger vous guette !

   —Dîtes-moi ce qu’il est. Est-ce parce que je suis nu ? Sans arme, sans vêtement, je ne saurais comment me défendre... Ou bien, est-ce toi qui me menace de ta beauté ? Comme je suis nu justement…

   —Oh mes dieux, calmez-vous ! Vous êtes si empressé ! »

   Ils paraissaient aux yeux l’un de l’autre dans un voile de fumée d’eau. Dans ce sfumato, leurs beautés respectives étaient plus idéales, plus des modèles sculptés ; Diane ressemblait à Aphrodite, le sein galbé, la peau blanche, le sourire pensif et timide face au voyageur tout prêt de la chasser.

   « Descends-tu de l’Olympe ? interrogea l’homme ; ou est-ce l’Élysée qui abrita tes jeunes jours ? Sur une barque dorée tu franchis le Styx pour finir ici…

   —Parce que le paradis était ici, où tu me rejoints !

   Ils s’embrassèrent puis pressèrent leurs bouches ; plus rouges que la grenade, plus délicieuses que les pommes d’or des Hespérides, plus délicates que toutes les fleurs de tous les printemps du monde. On ne peut s’aimer comme le firent ces deux-là ; les dieux, mêmes ceux consacrés à l’amour, ne purent, depuis leur séjour, contempler les amants sans rougir ; les oiseaux colorés cessèrent leurs chants fruités, la végétation se fût détournée si assez mobile. Seul le vent ne changea rien ; il rida l’onde du lac pour la transformer en écailles iridescentes sous le souverain soleil.

   Repus du corps l’un de l’autre, mais pas encore de leurs âmes respectives, ils s’allongèrent sur la berge pour se murmurer de doux mots, échanger leurs souffles et leurs soupirs.

   Au séjour merveilleux ! tout de mille beautés.

   Qui saurait les compter ? Qui saurait les conter ?

   Tant de sérénité, à laquelle goûter !

   « Tout est félicité, conclut le voyageur.

   —Mais il faut nous quitter... Si on te surprenait… »

   Un instant plus tard, l’homme reprenait la route ; Diane replongeait dans le lac pour y récupérer son coquillage. Craignant le courroux de sa souveraine, elle se rhabilla à la hâte. Séchée par le vent tiède du midi, la nymphe retourna près des grands arbres, sous les branches desquels ses sœurs sommeillaient. La sieste finirait par un nouveau tour de chant et un festin de fruits.

   Diane s’allongea à l’ombre d’un cèdre. Ses rêves la portaient toujours vers l’inconnu ; une moitié de son être s’extasiait, l’autre pleurait toujours son parent perdu. Bientôt, ses prières et ses désirs, à la fois rêvés et formés en conscience, eurent un chant pour accompagnement.

   « A l’avenir heureux, à la félicité !

   Au séjour merveilleux, écrin de cent beauté.

   Tant de sérénité, la vie est vérité,

   Que de sérénité, à personne conter. »

   Vérité ! Mais où était donc le frère de Diane ? Envolé ! comme son amant, seule lueur dans cette forêt perdue. N’y tenant plus, la nymphe se redressa ; elle devait prier Aphrodite en sa demeure. Ses amies lui déconseillèrent le voyage en pleine journée. On n’écoute point : il faut prier !

III

   Au zénith, Diane sortit de la forêt ; elle s’engagea par la pinède sous une chaleur ardente. Harassée par son périple, elle atteignit son but : le sommet d’une falaise. Un temple dorique se dressait là, son parvis surplombant la méditerranée. Diane formait un projet : prier Aphrodite de lui ramener et son frère et son amant. N’étant pas prêtresse, elle attendit que la reine sortît de la cella pour lui demander, en son nom, de déposer pour offrande un bouquet de fleurs au pied de la statue chryséléphantine.

   L’offrande suprême, pour son cœur, fut le retour inattendu du voyageur. Sa silhouette émergeant du lointain se précisa peu à peu. Il réapparaissait ! si près du territoire des nymphes, tout en sachant ce qu’il encourait.

   « Les dieux, commença-t-il sans préambule, crurent bon de ma ramener à toi ; leurs mains me guident, leurs souffles me projettent contre toi, leurs paroles exigeaient que je te cherchasse en tous lieux, même le plus inaccessible. A peine quelques heures s’écoulent-elles que, déjà, le destin me lie à toi par un sort plus puissant que l’amour. Quitte tes sœurs, repousse la reine et viens ! »

   Diane hocha la tête et ajouta :

   « Que de beautés dans tes yeux ; je ne puis les décompter. J’irai à dix mille lieues, à tous les conter.

   —C’est ce que j’avais escompter : parcourir la terre pour... »

   Un cri de surprise interrompit l’homme ; les amants se tournèrent vers le temple d’où venait d’émerger la reine, stupéfaite, interdite. Le chagrin voilait ses yeux, la honte rougissait ses joues. Elle semblait prête de fuir, mais c’est aux pieds de l’homme que ses jambes la portèrent d’un bond.

   « Toi ! » s’exclama-t-elle.

   Sans rien comprendre du trouble de la rein, Diane la releva doucement.

   « Majesté…

   —Si tu comprends, pardonne à un cœur égaré qui, pour se soumettre aux lois rigoureuses des nymphes, t’abandonna. Ce cœur regrette ! Il regrette en contemplant ce coquillage et cet homme ; le poids de ma faute me tombe sur le crâne !

   —Ma mère ! s’exclama Diane. C’est toi ! Quelle rigueur à mon égard ! Pourquoi m’avoir caché cela ?

   —Pour ne pas me souvenir que j’étais mère et ce faisant que j’avais dû abandonné mon fils ! Je dois me retirer pour expier ! Je contemple l’énormité de mes fautes, la grosseur de nos lois, et ma propre abjection sur ton visage épouvanté ! »

   La belle voix de la reine se transformait en cris désespérés, étouffés par mille sanglots. Tout-à-coup, elle arracha le collier de Diane et s’exclama : « ce maudit collier ! »

   Devenue folle, elle s’enfuit par delà le temple ; on ne la vit jamais plus.

   Diane tremblait. Sonnée ! étourdie ! par l’immense aveu. Quant au voyageur, son visage n’était plus qu’effroi ; il observait les galbes de l’enchanteresse, le visage, la bouche. Il avait reconnu le coquillage ramassé par ses petites mains d’enfants. Ayant retrouvé sa sœur, il tomba en pleurant à ses genoux.

   Diane s’évanouit, terrassée par un amour coupable et abject. Constatons cependant, qu’Aphrodite a accédé aux deux vœux de la nymphe.

FIN

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