Chapitre 18

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Après une longue boucle de la route, au fond d’un renflement rocheux, les enfants aperçoivent une grande et triste maison grise aux petites fenêtres mesquines et dont la cheminée crache une fumée noire parcourue de filets verdâtres. Les arbres qui flanquent la bâtisse semblent briller d’une lueur pâle et sinistre et leurs branches ressemblent à des serres de corbeaux maléfiques.

— D’après la description de Jacomo, c’est là, aucun doute, commence Silvio.

— Comment on fait ? Après tout, nous ne sommes que des enfants, rappelle Livia, découragée.

— Les Pères Noël vont bientôt nous rejoindre, soutient Agostino, confiant.

— La dernière fois qu’on les a vus, ils en menaient pas large, objecte Livia avec une moue dubitative, vite remplacée par une expression inquiète.

— Ils vont nous rejoindre, je te dis, réfute Agostino, moins sûr de lui.

— Qu’est-ce qu’on fait si ils viennent pas nous chercher ? demande Livia en essayant de donner à sa voix le ton du défi, mais n’arrivant qu’à exprimer toute son angoisse.

Les trois enfants se regardent, la crainte les traverse comme un vent glacé, les questions se bousculent et toutes les réponses renforcent leur inquiétude.

— Je crois que notre seule chance de nous en sortir est de libérer Madame Sgarlatta, tranche Silvio, la mine résolue.

— On en revient à ma question, comment on fait ? reprend Livia.

— Il faut que quelqu’un parte en éclaireur, propose Agostino.

— J’y vais, déclare finalement Silvio en serrant les poings pour se donner du courage.

***

Après une brève conversation avec ses amis, Silvio s’écarte de la route et se dirige vers la forêt malade. Ses jambes s’enfoncent dans l’épaisse couche de neige, chaque mouvement l’essouffle, ses poumons se déchirent lorsqu’ils se remplissent d’air froid.

À proximité des arbres, il s’aperçoit à quel point ceux-ci souffrent. Un petit Vénitien comme lui ne connaît pas grand-chose aux plantes, mais il sent le malheur qui hante ces bois, il ressent leurs blessures. Le cœur envahi de crainte et de compassion, le garçon les longe.

En se rapprochant de la maison, il se rend compte que l’état des habitants de la forêt empire. Il note les profondes cicatrices dans les écorces, les traces de brûlure et les pointes de métal enfoncées dans les troncs. Chacune de ces plaies s’inscrit dans son esprit, les douleurs de la forêt le submergent. La coupe devient rapidement trop pleine pour le garçon, il frôle désormais les arbres torturés et les caresse de ses doigts en leur soufflant des mots apaisants.

Lorsqu’il voit le tronc que perce une épée, il n’y tient plus, il saisit sa poignée et tire de toutes ses forces. La pointe ne bouge pas. Alors Silvio pousse avec ses pieds, placés de part et d’autre de l’arme, et force sur ses bras. D’abord immobile, la lame finit par se mouvoir, un millimètre puis deux. À chaque mouvement le garçon sent la souffrance qui transperce l’arbre, mais il persiste et chuchote à l’arbre qu’il sera mieux sans cette pointe enfoncée dans son cœur. Quand l’épée se décroche, Silvio tombe dans la neige. Un bruissement parcourt les bosquets, comme un courant d’air mêlé de chuchotements, il y entend des remerciements, mais aussi une multitude d’appels à l’aide, d’appels au soin.

L’arme toujours dans sa main, il se dirige vers la plus proche fenêtre de la maison, il se grandit sur la pointe des pieds et regarde.

***

L’ouverture donne sur une pièce basse de plafond, aux dimensions difficiles à discerner tellement elles changent au gré du mouvement des flammes de nombreuses lampes à huile. À une table, assises sur des fauteuils en bois, deux vieilles femmes se font face. L’une, de dos, attachée aux accoudoirs par des cordelettes, l’autre en face, en train de verser une boisson fumante dans une tasse. Elle ressemble à s’y méprendre à madame Sgarlatta, mais ses yeux sombres, son sourire cruel laissent penser à Silvio qu’il s’agit de sa sœur.

Sa reconnaissance terminée, il décide de retourner auprès de ses amis et prend le chemin du retour. Lorsqu’il traverse pour la deuxième fois le bois, les arbres ne se montrent plus menaçants, mais au contraire l’aident en repoussant la neige de leurs branches basses sur son chemin.

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