chapitre 16

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Le soleil caresse doucement la joue de Silvio, il ouvre les yeux sous la lumière éclatante. Détendu, l’esprit calme, il se souvient d’une chute interminable et sourit à la pensée de la main de Livia dans la sienne.

Il ne comprend pas vraiment où ni quand il s’est endormi. Le bleu intense du ciel occupe tout son champ de vision. Un filet glacé s’insinue dans son manteau et ses doigts ne brassent qu’une masse froide et mouillée.

Silvio se relève d’un coup. Autour de lui, une immensité blanche, des sapins recouverts de boules brillantes. Son cœur se serre, les souvenirs lui reviennent, les Pères Noël, les monstres, la chute…

Panique ! Son regard court autour de lui. Livia ? Les mots ne parviennent pas à franchir ses lèvres, mais il aimerait l’appeler, crier son nom.

À quelques pas, la petite fille relève la tête, le bonnet recouvert de neige. Son visage s’éclaire d’un large sourire dès qu’elle aperçoit le garçon.

— Silvio, dit-elle d’une voix rauque et affaiblie.

— Silvio ! Livia ! hurle la voix d’Agostino, surgie de nulle part.

Silvio suit sa première impulsion et se lance vers elle, l’aide à se mettre debout. Il s’apprête à la serrer dans ses bras, mais la timidité l’arrête. Il se contente d’épousseter la neige qui recouvre ses vêtements. Livia enlève son gant de laine et d’une caresse retire un flocon de la joue de Silvio.

— Que… commence-t-elle.

Agostino les interrompt, en se tapant bruyamment le corps, à la fois pour se réchauffer et pour ôter la couche de poudre qui le transforme en bonhomme de neige.

— Whouuu, quelle chute ! crie-t-il à tue-tête.

Ses deux amis se tournent vers lui et le voient s’agiter, une manche de son anorak à moitié déchirée, des traces de griffure sur le visage. Il ressemble à un héros de film d’action après une scène épique. Un sourire fier éclaire sa face tuméfiée.

— Vous avez vu ? La neige a un goût sucré, ici.

Livia regarde Silvio. Heureuse que personne ne soit blessé, elle sourit.

***

— En fait, nous sommes perdus, déclare Agostino, du haut de la petite butte.

— On le savait déjà avant que tu le dises, rétorque Livia.

— Bah, quoi, euh.

— Si nous évitions de nous chamailler, je pense que nous n’irions pas plus mal, se mêle Silvio.

Autour d’eux, la vallée continue de briller sous un soleil qui les réchauffe, mais ne fait pas fondre l’épaisse couche de neige.

— Il faudrait trouver un endroit où s’abriter avant la nuit, continue Silvio.

— Les Pères Noël vont venir nous chercher, affirme Agostino en descendant de son promontoire.

— S’ils nous trouvent, dit Livia.

— T’aurais vu ! C’était la folie sur le traîneau, continue Agostino, sans l’écouter. Saint-Nicolas se battait comme un diable, le Père Noël faisait des manœuvres pour éloigner les monstres. Quand j’ai vu que vous tombiez, j’ai essayé de vous rattraper.

— Et tu es tombé avec nous. Super ! le coupe Livia, fatiguée d’entendre la même rengaine depuis leurs retrouvailles.

— Est-ce que tu as vu quelque chose d’intéressant, là-haut ? interroge Silvio qui souhaite éviter que la discussion dégénère.

— Il y a une sorte de route, ou une masse plus sombre par là, indique son ami en tendant le bras dans la direction de la butte.

— Est-ce que vous voyez mieux à faire qu’y aller ? les sonde Silvio en regardant tour à tour ses compagnons.

***

La neige épaisse entrave le pas des enfants qui peinent à tenir un bon rythme. Au-dessus d’eux, le soleil ne semble jamais décroître et continue de briller. La chaude lumière les guide et les encourage.

— Dis Agostino, à ton avis, il est quelle heure ? Demande Silvio à son ami qui ouvre la marche.

— Je ne sais pas. Pourquoi ?

— Parce qu’on marche depuis beaucoup de temps, répond Silvio.

— Vous ne trouvez pas ça bizarre qu’on ait ni faim ni soif ? intervient Livia.

Comme si en parler allait réveiller leurs besoins naturels, les deux garçons restent muets et c’est dans le silence qu’ils poursuivent leur trajet.

***

Ils parviennent enfin à la route, une chaussée surélevée découpe le paysage en deux étendues blanches. Sans se concerter, les enfants se mettent en marche.

Alors que le soleil commence de décliner, ils arrivent devant une grande gorge creusée entre deux flancs de montagnes. Un pont de pierre sombre, une arche étroite, mais solide franchit le précipice.

— On va plus loin, ou on retourne en arrière ? Interroge Agostino en se tournant vers les deux autres.

— Nous n’avons vu personne, hésite Livia.

— Ni la moindre habitation, renchérit Silvio.

— Ça ne répond pas à ma question, termine Agostino, boudeur.

Indécis, Silvio s’avance d’un pas sur le pont. Quelle que soit la façon de retourner le problème, ils se retrouvent perdus dans un monde inconnu et ignorent si les Pères Noël sauront les rejoindre.

Soudain, il aperçoit un léger filet de fumée qui se découpe dans le ciel, de l’autre côté d’une colline.

— Il y a de la fumée là-bas, dit-il.

— Qui dit fumée dit feu, intervient Livia.

— Qui dit feu dit gens, reprend Silvio.

— Alors, qu’est-ce qu’on attend ? Allons-y ! termine Agostino, fier de prendre la décision.

Ils avancent prudemment sur la chaussée, Agostino en tête, suivi de Livia, Silvio ferme la marche. Sous leur pas, les pavés montent sur les bords pour former un parapet arrivant au niveau du torse d’Agostino.

À mi-chemin, entre les deux rives, le pont leur semble une fragile et ridicule protection face à la profondeur de la gorge qu’il surplombe de sa fine arche. Soudain, une des pierres du garde-fou commence à trembler avec un bruit strident.

— Qu’est-ce que se passe ? gémit Livia.

Silvio se porte à ses côtés. Devant lui, la roche se dote soudain d’yeux brillants, enfouis entre deux lames sombres qui s’écartent doucement. Le bloc se soulève sur deux jambes semblables à des colonnes de granit, tandis que deux bras longs et épais, dotés de poings puissants, jaillissent de part et d’autre du cube de roc.

— Vous passez pas ! hurle la créature.

Sa bouche révèle de nombreuses dents granuleuses et grisâtres.

— Vous devriez vous brossez les dents plus souvent, déclare Livia. Vous avez des plaques de lichen…

— Vous passez pas ! répète la bestiole en agitant ses membres vers le ciel.

— Bah si, on va passer, intervient Agostino. Tu n’es pas très grand et on est trois.

— Une pièce chacun. Sinon vous passez pas ! Rétorque le monstre.

Les enfants restent le plus éloignés possible de la créature qui commence à taper des poings sur les pierres qui l’entourent, tout en hurlant son ordre. Silvio saisit la main de Livia et l’attire vers la rive, à petits pas.

La bestiole gesticule, elle jette des regards furieux sur les trois compagnons et continue de battre le parapet de ses coups.

— On court ! crie Agostino.

Les enfants se lancent, Silvio entraîne Livia à sa suite. Agostino les précède.

Sur les côtés du pont, d’autres paires de bras surgissent de la roche, des figures difformes se dessinent, bouches ouvertes et dents saillantes.

À chaque pas, dix êtres de pierre apparaissent, les plus hardis posent un pied sur la chaussée. Bientôt, les enfants seront coincés, ils accélèrent.

Plus que dix mètres. La lourde course des agresseurs talonne Silvio et Livia. Dans le fracas de la poursuite, le garçon perçoit les menaces des monstres de pierre.

« Payer, pièce, pas passer », scandent les monstres.

Il ne reste plus que deux mètres avant la fin du pont, quand la marée de roche finit par submerger les enfants.

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