Chapitre 6

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Après le repas, Silvio passe dans sa chambre, il a hâte de retrouver ses amis, mais la neige qui tombe dehors l’encourage à rester plus longtemps au chaud. Il a reçu une belle maquette de bateau à Noël et souhaite en avancer la construction.

Alors qu’il s’apprête à assembler le deuxième mât de son vaisseau, la sonnerie de la porte retentit. Il se précipite et ouvre.

— Il faut qu’on sorte ! déclare Agostino, sans saluer.

— Attends, il faut que j’enfile des vêtements.

— Dépêche-toi ! J’ai fait d’importantes découvertes.

Intrigué, Silvio retourne dans sa chambre et met deux pulls. Ses gants en laine et son manteau ont séché sur le radiateur brûlant de la salle de bain et il se glisse avec plaisir dans ses habits chauds.

Sur le parvis de l’immeuble, Agostino s’arrête, les flocons s’accumulent déjà sur son bonnet. La redingote blanche dont se pare le quartier assourdit tous les bruits.

— Il faut enquêter sur la vieille de ce matin, il se trame quelque chose de pas très clair à son sujet, commence Agostino.

— C’est juste une gentille vieille dame… tout le monde la connaît depuis toujours.

En prononçant ces mots, Silvio ressent un léger trouble et se rend compte qu’il y a quelque chose d’anormal dans cette histoire de très, très vieille dame.

— Comment tu expliques qu’elle connaisse nos prénoms ? On ne lui a jamais parlé, renchérit Agostino. Et puis, il y a toutes ces rumeurs à son sujet.

— C’est bon, on y va, mais avant, on va chercher Livia, cède Silvio, la mise soucieuse.

Lorsqu’ils arrivent au pied de l’immeuble de leur amie, elle dévale déjà les escaliers.

Le petit groupe se rassemble et chacun raconte ses découvertes. De peur de décourager ses compagnons, Agostino évite de parler des disparitions et du mystérieux engrais qu’utiliserait la vieille dame. Après discussion, ils parviennent rapidement à une décision et se mettent en route.

***

Le Campo de la Celestia s’ouvre devant eux et ils aperçoivent la silhouette fluette de madame Sgarlatta, avec son manteau noir et son foulard sur la tête, elle se protège sous un grand parapluie. Une sacoche à la main, ses petits pas prudents la guident vers le Rio San Francisco de la Vigna.

— C’est louche, elle nous parle le matin et s’enfuit dans la foulée, déclare Agostino.

— Ou alors, elle part juste en voyage, rétorque Livia.

— Livia a probablement raison, mais suivons-la pour nous en assurer, tranche Silvio, songeur.

Les enfants se mettent en marche, une couche de neige fraîche recouvre les dalles de la place et crisse sous leurs pieds. Forts de l’expérience du matin, ils ne courent pas, mais avancent d’un bon pas pour rattraper leur retard sur la vieille dame. Agostino, enthousiasmé par cette filature, prend les devants et tente de rester discret en se collant aux murs.

Lorsqu’ils franchissent le pont, ils aperçoivent madame Sgarlatta qui s’engouffre dans le labyrinthe que forment les ruelles du quartier. Les trois amis se rapprochent assez pour ne pas la perdre de vue, mais pas trop pour ne pas être repérés. Madame Sgarlatta marche vite et semble connaître son chemin.

Alors qu’elle tourne à l’angle du Ramo Dei Re Magi[1], Livia ne peut s’empêcher de penser à l’histoire que lui a contée son grand-père lors du repas. Elle note que seules les empreintes de la vieille dame rompent la couche de neige qui recouvre le sol.

La ruelle passe entre des maisons sombres et sales et aux portes murées. Personne ne semble plus vivre ici depuis de nombreuses années.

Chacun élabore sa propre théorie. Livia songe au nom de la rue, à la Befana et à sa quête inachevée pour retrouver les trois rois. Silvio se demande si elle ne s’est pas perdue. Agostino quant à lui, s’attend à un piège. Ses sens se tendent, il adopte une démarche féline de chasseur, rase les murs aveugles, prêt à faire face à la sorcière maléfique qu’il voit dans madame Sgarlatta.

Il est le premier à atteindre l’angle de la ruelle, jette un coup d’œil et se retourne, les traits figés par l’incertitude.

— Elle a disparu, halète-t-il.

— Ne dis pas n’importe quoi, il n’y a pas d’issue, lui répond Livia, hésitante.

Plutôt que de parler, Silvio se précipite au coin du mur et regarde. Nulle trace de la vieille dame, alors que le Ramo ne dispose d’aucune cachette.

— Allons-y, vite, elle a dû tomber, déclare-t-il, une pointe d’angoisse dans la voix.

Tous trois se ruent dans l’allée et courent jusqu’au canal, mais il faut se rendre à l’évidence, madame Sgarlatta a disparu.

La panique gagne les enfants, la peur commence à marquer leur visage. Silvio se penche au-dessus de l’eau. Agostino s’accroupit sur les empreintes de souliers de la vieille dame, mais elles lui semblent incohérentes : elles conduisent à un mur de briques, totalement hermétique. Derrière, les restes calcinés d’une maison, abandonnée depuis longtemps.

— Elle ne peut pas être tombée dans la flotte, elle n’a pas laissé de traces dans la neige près du canal, déclare Agostino d’un air savant.

— Elle a sans doute dû s’envoler avec son parapluie, comme Mary Poppins, réplique Livia.

— Sherlock Holmes dit toujours que lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité, répond le garçon en la snobant.

— Qu’est-ce qu’en déduit notre grand détective ? demande Silvio en se rangeant du côté de Livia dans cette querelle naissante.

— Je ne sais pas. Les traces de pas s’arrêtent devant ce mur, peut-être a-t-elle grimpé dessus.

— Une vieille femme qui grimpe aux murs ? interroge Livia, sarcastique.

— Regardons s’il y a des traces, rétorque Agostino.

— On a assez perdu de temps. Si elle est tombée dans le canal, il faut prévenir des adultes, décide Silvio en s’élançant vers la sortie du Ramo.

[1] Ramo Dei Re Magi : Impasse des rois mages.

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