La cage aux barreaux dorés.

4 minutes de lecture

Encore elle. Toujours elle. Voilà des années maintenant. Si longtemps qu'elle ne le laisse plus libre de ses mouvements. Constamment sur son dos, cherchant à contrôler chaque moment de sa vie. Qu'avait-il fait pour en arriver là ? Il la fuyait, mais jamais il ne parvenait à la quitter. Ultime barrière à une indépendance cédée il y fort longtemps, contre une promesse de complicité et de sécurité. À présent, elle lui était devenue toxique, étouffante, angoissante. C'était décidé, ce serait aujourd'hui qu'il franchirait le pas, qu'il la quitterait enfin, vers la félicité chantante des vastes étendues auxquelles il renonça pour elle.

Il posa sa main sur la poignée. Verrouillée. Il poussa. Rien à faire. Il tenta de l'enfoncer. Sans succès, aussi dur que le plus solide des rocs. Pas moyen de sortir, de la quitter.

  • Pourquoi me faire ça ?

  • Pour toi, pour ton bien. N'est-ce pas pour cela que tu m'as choisie ?

  • Je ne savais pas à l'époque.

  • C'est pourtant l'engagement qui fut prit, les vœux prononcés le jour où je remplaçai celle qui fut tienne avant moi.

Insistance et témérité furent payantes, car la voie s'ouvrait devant lui. Mais l'encadrement ne donna que sur un voile noir. Et puis, zut. Rien ne pouvait être pire que de rester avec elle. D'un pied dans les ténèbres, plongeant dans le néant, que vienne le risque et l'aventure vers la liberté. Englouti l'espace d'un instant, voilà qu'un flash lumineux éblouissait. La nitescence le renvoyant à son point de départ.

  • Pourquoi te jouer de moi ? Me garder ici ne te satisfait donc plus ?

  • Je ne fais que ce qui doit l'être.

  • Sorcière ! N'ai-je pas suffisamment subi ta présence ? Ta captivité oppressante ?

  • Allons, il est bien dur de tenir de tels propos à mon égard. Ne suis-je pas la gardienne de tes nuits ? Le rempart contre cauchemars et désolation ?

Non, cela ne pouvait plus durer. Il expérimenta à nouveau sa chance à travers l'ouverture. Celle-ci le renvoya à l'étage. Encore un essaie. Et voilà qu'il déboucha dans une salle de bain, à la baignoire remplie, les vapeurs venant caresser les flammes de bougies, seule lueur en ce lieu. Tentative supplémentaire, et ce fut l'accueil d'un salon, table dressée d'un banquet rien que pour lui, aux chandelles dorées, uniques convives lui étant autorisé pour l'accompagner dans sa captivité.

  • Regarde-toi. N'as-tu pas tout ce qu'il te faut ici ?

  • Est-ce vraiment à ça pour toi que se résume la vie ?

  • Est-ce si désagréable ?

  • Combien de temps refuseras-tu de voir la vérité ? Combien de temps serais-je donc ton oiseau dans sa cage aux barreaux dorée ? Comptes-tu me princessiser jusqu'à la fin de mes jours ?

Termes étrange et pourtant si vrai pour lui. Tant gâté dans sa captivité, il se dépeignait déjà longue chevelure en haut d'une grande tour. Belle robe luxueuse pour un donjon garnie de richesse, sauf de la plus importante pour lui. Il se brodait un conte, où une chevalière à l’armure parée de mille joyaux étincelants viendrait le libérer, et l'emmener loin d'ici. Tels étaient ces récits transmis aux enfants de génération en génération. Merveille d'écriture et d'imagination, mais qui ne pouvait vaincre une réalité froide se rappelant constamment à lui. STOP. ASSEZ. Finis cadeaux et fausse bonne volonté. Le monde extérieur était si vaste, et pourtant on le lui refusait depuis près d'une décennie.

  • Ne comprends-tu pas que ma place n'est pas ici ? Et ne l'est plus depuis fort longtemps.

  • Elle l'est, puisque telle est ma raison d'être. Elle l'est, car sans elle je ne suis plus rien.

  • Qui es-tu pour ainsi décider pour nous deux ? Dois-je me saisir d'une de ces lames avec lequel je vis depuis si longtemps, tranchent viande et verdure machinalement ?

  • Que dis-tu là ? À quoi bon cela te servirait-il ?

  • Si ma vie t'oblige à me retenir prisonnier, dois-je donc me pourfendre moi-même, afin que vienne enfin ma délivrance ?

  • La mort comme issue ? Le trépas pour passer ? N'est-ce pas l'inverse d'une existence de liberté que tu clames haut et fort ?

  • Ô créature abjecte que tu es. Figé dans l'espace et le temps. Seras-tu donc, celle qui me conduira à travers ciel, au père éternel ?

Plaidoyer émouvant, d'un homme au désespoir. Qui donc, devant l'opprobre du fil de la vie tranché sciemment, oserait refuser une dernière volonté de grand air ? Fer édenté en main. Pointe à la gorge, le voilà faisant de nouveau voile vers la sortie. Un pas, pas de réponse. Deux, et toujours rien. Trois, et son avance ne pouvait être enrayée. Cadence lente d'une longue marche. Instant de rupture semblant éternelle. Et pourtant, il n'y avait en ce lieu, que l'oraison silencieuse d'une fugace séparation. Ultime négociation, faconde de la dernière chance avant le point culminant de ce duo.

  • Vas-tu vraiment me quitter ? Tout risquer pour quelques instant de liberté ?

  • Oui.

  • Ne t'ai-je pas été fidèle et loyale durant toutes ces années ?

  • Si.

  • Me reviendras-tu ? Non. Te voilà au point de non-retour. Deux pas avant la Fin.

  • Alors qu'ici, finisse à jamais notre histoire. Ou qu'en commence une nouvelle pour chacun de nous.

Il saisit la poignée, la tourne. Il franchit le cadre, et inspire. L'air est nauséabond, mais il s'en fiche, enfin il peut en respirer un autre. Différent, une autre odeur, sensation de rédécouvrir une fragance oubliée depuis fort longtemps. Disparue de sa mémoire, certes mais pas sans raison. Alors il suffoque. Alors il tombe. Alors sa conscience quitte son corps. Et dans un dernier souffle, paye le prix d'une séparation à la quelle il avait refusé d'en comprendre le prix. Le monde était vaste. Mais invivable. Le grand air l'attendait, mais si pollué qu'il ne pouvait pas l'accueillir. Lui reviendrait-il ? Jamais. Cela aurait-il pu finir autrement ? Qui sait. La liberté dont il rêvait n'avait été que chimère, dont sa geôlière n'avait fait que le préserver. Elle qui se dressait entre lui et la désolation, la gardienne de son intégrité avait échoué. Elle ne pouvait désormais que rester là. Elle devrait jusqu'à la fin des temps le regarder pourrir et se décomposer. Forcée par son incapacité à pouvoir bouger, se détourner de lui. La cage aux barreaux dorés n'avait jamais aussi bien porté son nom. Mais pour qui, et dans quel sens ?

Annotations

Vous aimez lire Scribopolis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0