Chapitre 15

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Le lendemain, Meton nous réveilla alors que le ciel commençait à s’éclaircir. Je paressais dans mon duvet le temps que les autres se préparent. Dans un instant, mon partenaire allait m’aider à mettre mon harnais en place. Une longue journée nous attendait, cela allait être difficile pour moi. Autant endosser cet engin de torture le plus tard possible. Il laissa nos compagnons de voyage tout ranger avant de s’occuper de moi.

La veille, Dinlirsle avait fabriqué quelques pieux. Elle les avait grossièrement – selon ses critères – polis et taillé en pointe avant de les durcir au feu. Maintenant, huit d’entre nous étaient armés, en plus de Meton qui possédait son arc et pour le moment mon épée.

Meton vérifia une dernière fois que nous ne laissions rien derrière nous – pour la berge piétinée, il ne pouvait rien y faire – puis il donna le signal du départ. Cinq d’entre nous, dont moi, avions la chance de nous déplacer à dos de hofec. Tous les autres voyageaient à pied. Je regrettais le confort des bras de Meton.

Nous allions reprendre la route vers le sud. Mon compagnon n’avait pas l’air très chaud et il hésita longtemps sur la direction.

— Quel est le problème ? demandai-je.

— On va repasser par ce pays qui t’a mis dans cet état, expliqua-t-il. Et il y a les lettres de change.

— Et ?

— Nous risquons de croiser les agents de Staploss. Pire, des soldats envoyés par Staploss pour nous arrêter. Voire des miliciens qui nous cherchent après notre vol.

L’idée de retomber entre les mains de mes tortionnaires m’arracha un frisson. Pendant un moment, je fus incapable de penser. Ce fut la voix de Wotan, au fond de mon esprit, qui me sortit de cette boucle toxique.

— Il existe un autre trajet, annonçais-je enfin à Meton.

— Par où ?

— Nous devrons emprunter le premier chemin vers l’est que l’on trouvera.

Il se remémora notre arrivée dans ce pays.

— Nous avons croisé un embranchement, trois longes plus au sud, rappela-t-il. On devrait voir où il mène, s’il peut nous éviter ces problèmes potentiels tout en passant loin de la ville, il sera parfait.

Le trajet étant décidé, nous nous mîmes en route. Puisque c’était Wotan qui me servait de guide, plus exactement Helaria par l’intermédiaire de Wotan, les hofecy prirent la tête, suivis des femmes, et des hommes non armés. Ceux d’entre nous qui possédaient un pieu de Dinlirsle marchaient en queue de convoi. Nous étions nombreux. Nos traces étaient trop visibles. Aussi, afin qu’un éventuel poursuivant ne puisse déterminer notre nombre, Meton nous disposa en file indienne.

Conformément à nos souvenirs, nous trouvâmes la bifurcation à quelques longes plus au sud. Je m’y engageais, toute la troupe à ma suite. Le vrai voyage commença.

Après un temps qui aurait été court si tout le monde avait été en bonne santé, mais qui dans notre état nous parut long, nous découvrîmes une grande pierre dressée sur le bord du chemin. Selon les indications de Wotan, elle était gravée de multiples inscriptions à moitié effacées dans une écriture que je ne parvins pas à déchiffrer.

— Ces pierres sont très anciennes, m’expliqua Helaria. Un empire aujourd’hui disparu en a disposé partout.

— C’est bon signe ?

— Oui, la route que vous avez prise n’est pas un simple chemin vicinal. Il est ce qui reste d’une des voies majeures de cet empire. Il pourra vous conduire loin d’ici avant que vous soyez livré à vous-même. Et il sera bordé de villages pour le ravitaillement.

Meton dut remarquer mon petit sourire puisqu’il remonta jusqu’à moi. Je lui transmis les informations de nos chefs. Il partagea ma bonne humeur. Il marcha un moment à côté de moi avant de reprendre sa place avec ses compagnons guerriers.

Ces bornes étaient nombreuses. Elles étaient disposées à intervalle constant, avec une précision mathématique. Certaines étaient en mauvais état, d’autres paraissaient plus neuves, d’autres encore étaient tombées ou brisées. Quand cette belle régularité était rompue, je supposais que la pierre avait disparu. Cet ancien empire avait balisé la totalité de ses routes. Quant à comprendre pourquoi on n’en avait pas vu jusqu’à présent, c’était tout simplement parce que ces voies étaient plus récentes. J’étais curieuse de savoir qui les avait bâties. Je ne connaissais pas l’histoire de cette région, mais il y avait certainement des gens qui le savaient. Dans le roman national helarieal, le Vornix était la plus ancienne civilisation stoltz reconnue. Mais, comme me le fit remarquer Wotan, quand les habitants avaient fui le pays, ils avaient trouvé refuge dans des états centralisés et bien organisés.

Les prévisions d’Helaria étaient justes, les villages étaient nombreux le long de la route. Notre arrivée affola plus d’un individu et je trouvais qu’il fallait beaucoup de courage à l’un des leurs pour nous aborder et nous demande ce que nous voulions. Hélas, nous n’avions rien à leur offrir dans ce que nous possédions et nous dûmes acheter notre nourriture. Nous fûmes surpris toutefois d’apprendre que ce qui leur manquait le plus était des outils en bon état pour leurs champs. Dinlirsle se promit de remédier à cela pour que lors de notre prochaine escale, nous disposions d’une monnaie d’échange. Elle s’en occupa dès la première veillée. Avec uniquement du bois, sans métal pour créer des fers de haches ou de pioches, ses possibilités étaient limitées. Heureusement, deux d’entre nous savaient tailler les silex pour confectionner une extrémité d’outils très efficaces. Et nos productions furent bien accueillies lors de nos futures rencontres.

Au bout de quelques jours, nous quittâmes le couvert des arbres. Nous avions atteint une grande plaine qui s’étendait jusqu’au piémont des montagnes. La route continuait vers ce qui ressemblait à une ville en ruine. À moins qu’il s’agît d’une forteresse. Elle était trop dégradée pour qu’on pût se prononcer. J’examinai la ligne de crête qui se présentait devant moi. Soudain, Wotan attira mon attention sur un pic, loin au nord, qui dominait largement les autres. Il avait – ou plutôt son père – identifié un repère connu dans le paysage.

— Va dans sa direction, m’expliqua-t-il. Quand tu seras en face de lui, remonte sa vallée.

— Et après ?

— Tu atteindras un col. Traverse-le et tu devrais te retrouver en sécurité.

Des montagnes ! Nous allions avoir à passer des montagnes ! Ces derniers jours, nous n’avions pensé qu’aux armes et à la nourriture. Nous allions devoir nous équiper. Mes compagnes ne survivraient jamais avec leur tunique en cuir fin. Nous allions devoir nous procurer des vêtements chauds. Il semblait y avoir quantité d’animaux sauvages, aptes à fournir des peaux dans les parages. Mais si nous devions chasser pour habiller quarante personnes, nous allions y passer des douzains entiers. La meilleure solution était de les acheter. Nous décidâmes de bivouaquer dans la cité en ruine et qu’un petit groupe remonterait jusqu’aux villages proches pour nous acquérir le nécessaire. Dinlirsle devait les accompagner. Elle pourrait peut-être louer ses compétences de charpentière pour financer les achats.

Une situation qui ne manquait pas de m’inquiéter. Il y avait eu un peu de grabuge au début. Certains hommes avaient tenté de profiter des femmes sans tenir compte de leur accord. Mais la capacité de Meton a distribué des claques puissantes avaient rapidement faire rentrer dans le rang les plus agressifs. Le départ du guerrier allait leur laisser le champ libre. Et je n’étais pas en état de m’interposer. Pire, j’étais une cible potentielle.

La solution vint de Ksaten. Ce douzain de marche, accompagné de repas copieux et d’un repos suffisant lui avait permis de récupérer. Elle s’était bien remplumée. Et si elle restait encore maigre, elle n’avait plus cet air cadavérique du jour de notre rencontre. Je la sentais capable d’assurer notre protection. Toutefois, elle avait commencé à retrouver les rondeurs qui lui avaient valu de figurer parmi la marchandise de Staploss, maintenant elle risquait gros si elle échouait. Meton lui donna donc un poignard en métal, bien aiguisé, avec la consigne de ne pas hésiter à s’en servir. Pour tuer le cas échéant. Meton la connaissait bien, c’était sa demi-sœur après tout, et il semblait lui faire confiance. C’était un détail que je trouvais particulièrement rassurant. Et pour diminuer encore les risques, il décida d’emmener les deux hommes les plus agressifs avec lui. Avec l’habileté de Ksaten et les six Helariaseny qu’il laissa au camp, nous devrions être capables de faire face à toutes les complications. Et de fait, les deux tentatives de la première nuit et les trois de la suivante furent les seules que nous eûmes à repousser. La longue cicatrice à l’intérieur de la cuisse remontant jusqu’à l’aine du dernier agresseur terrorisa suffisamment les autres pour qu’ils renoncent. Nous jugeâmes cependant prudent de faire dormir Ksaten entre nos six compatriotes mâles pour lui éviter des représailles.

Meton et son groupe revinrent sept jours plus tard. Nous ne’étions pas restés sans nouvelles pendant tout ce temps. Il avait envoyé un de ses compagnons, quelques jours plus tôt pour nous ravitailler. Mais le septième jour, toute la troupe était au complet. Les deux hofecy étaient chargés de ballots alors que les stoltzt marchaient à pied. Tous paraissaient en bonne santé – mais pourquoi en aurait-il été différents – sauf Dinlirsle qui semblait avoir atteint les limites de l’épuisement. Ainsi qu’on l’avait prévu, c’était ses compétences qui avaient été principalement mises à contribution. À l’approche de l’hiver, les villageois avaient dû largement profiter d’elle pour réparer un maximum de toiture. Dès qu’elle arriva, Lassa lui sauta dessus et l’entraîna à l’écart. Elle portait de nombreuses écorchures aux mains et aux avant-bras que la guérisseuse désinfecta.

Meton commença aussitôt la distribution. Il rapportait un jeu complet de vêtement molletonné par personne. Une veste, un pantalon, des bottes, un bonnet et des gants. S’y adjoignaient des sous-vêtements en laine. Cela me semblait faible pour affronter une montagne, mais d’après Wotan se serait suffisant. Le col ne s’élevait pas très haut en altitude. Il ferait froid, mais pas glacial.

Le lendemain, nous repartîmes. Nous suivîmes les indications d’Helaria, remontant vers le nord jusqu’à atteindre le pic, puis nous prîmes à l’est en sa direction. Il n’y avait plus de route, les déplacements devinrent plus lents, plus difficiles. Mais nous rejoignîmes une petite rivière dont les berges nous facilitèrent bien la marche. Surtout quand nous entrâmes dans une nouvelle forêt, nous masquant nos repères. Son cours nous fournit un guide qui ne risquait pas de nous égarer.

La base de la chaîne était constituée d’une série de plateaux chacun plus haut que le précédent. La montée de chacun était difficile, mais ensuite la progression devenait aisée. De temps en temps, nous croisions un affluent à franchir. Nous autres stoltzt sommes de bons nageurs, mais dans cette eau froide cela n’avait rien d’agréable. D’autant plus qu’après la traversée, nous devions nous sécher et nous réchauffer longuement avant de pouvoir repartir.

Sur la dernière marche de cet escalier géant, la forêt laissa place à une steppe herbeuse. Nous pûmes enfin voir notre destination. Le pic s’était bien rapproché bien qu’il s’avère encore lointain. Mais légèrement au nord, les deux montagnes plus petites qu’Helaria m’avait montré dans mon esprit étaient maintenant visibles. Et entre eux, le col à atteindre.

Un soir, alors que nous venions d’emprunter un chemin qui nous avait amenés en haut d’une falaise, Meton me fit signe de le suivre. Il m’accompagna jusqu’au bord du vide. En dessous de nous, la forêt s’étendait à perte de vue.

— Regarde, m’enjoignit-il.

Il me désigna une lueur, sous le couvert des arbres.

— Un feu de camp ? demandai-je.

— Ça m’en a tout l’air.

— Nous n’avons pas découvert de traces de voyageur sur notre route. Ce trajet semble peu, voire pas du tout fréquenté. Je trouve étonnant que des étrangers l’empruntent en même temps que nous.

— Tu penses comme moi que l’on est suivi ?

— On dirait bien.

— Nous nous trouvions là-bas il y a cinq jours. Cela ne fait pas beaucoup d’avance.

— Rien ne dit qu’ils progressent plus vite que nous. Nous avons perdu beaucoup de temps à acquérir des vêtements chauds. N’oublie pas qu’ils doivent nous pister.

— Ils n’en ont pas besoin. Notre direction générale est évidente. Et une fois qu’ils seront sortis des arbres, ils nous verront sur les pentes.

— Tu as raison.

Normalement, j’aime bien avoir raison. Pour le coup, je regrettai que Meton ne me contredît pas.

Il se releva. Je lui tendis une main pour qu’il m’aide. Il me laissa passer devant pour rejoindre le campement.

— Saalyn !

Je m’immobilisai.

— Que t’arrive-t-il ? demandai-je.

— Montre-moi ton dos.

— Tu le vois là.

— Enlève ton chemisier.

Je me tournais lentement vers lui.

— Depuis quand un homme honnête exige-t-il d’une femme de se déshabiller ?

Il croisa les bras. Son visage arborait un air sévère comme je n’en avais jamais vu chez lui. Ma plaisanterie n’avait pas pris.

— Il fait trop froid pour que je me désape, protestai-je.

Et j’avais raison. Mais cela n’eut aucun effet.

— Saalyn ?

Quand mon père prononçait mon nom de cette façon, c’est que l’orage n’était pas loin, qu’il était temps pour moi d’arrêter mes bêtises. Ni lui, ni personne d’autre, n’avais jamais levé la main sur moi, mais ça marchait. Je commençais à déboutonner mon chemisier. Mais je ne parviendrais jamais à l’enlever seul. Meton vint me porter assistance. Puis je soulevais mes cheveux pour qu’il puisse examiner mon dos.

— Bon sang, Saalyn, tu es une imbécile de n’avoir rien dit.

— C’est si moche que ça ?

— Si Lassa voyait ça, elle m’arracherait les yeux. D’ailleurs, pourquoi n’a-t-elle rien remarqué ?

— Elle a beaucoup de travail. Il est facile ces temps-ci d’échapper à sa sagacité.

— Des cicatrices se sont rouvertes. Et infectées. Mais tu cherches quoi ?

— Je ne voulais pas retarder la troupe en nous obligeant à nous arrêter quelque part.

— Et si tu t’effondres et qu’on doit te transporter, tu crois que ça ne nous retardera pas.

Le ton de reproche inquiet m’amena au bord des larmes. Pourtant je n’étais pas du style à pleurer pour rien. Pas depuis mon enfance en tout cas. C’était la deuxième fois que je pensais à mon père en quelques instants. Meton le comprit puisqu’il me serra contre lui. Je posais mon visage sur son épaule. Il me recouvrit avec ma chemise.

— Tu trembles, remarqua-t-il, il ne manquerait plus que tu tombes malade.

Je restais un moment contre lui, à me retenir de ne pas pleurer. Quand il estima que je m’étais assez reprise, il me souleva le menton pour me regarder droit dans les yeux. Comme il était plus grand que moi, je dus lever la tête.

— N’oublie pas, dit-il, que tu es la plus importante de nous tous. Si tu disparaissais, nous ne serions qu’une bande de guerriers sans but. Et tu es notre seul lien avec les pentarques.

— Ils ne le savent pas, répliquais-je.

— En effet, mais moi je le sais. Et c’est ça qui compte.

Je baissais les yeux.

— Maintenant, on va rentrer au camp et montrer ton dos à Lassa.

Je hochais la tête. Il me déposa un baiser sur le front.

— J’ai un peu froid, dis-je.
Il m’étreignit pour me ramener vers le bivouac.

Dès que nous nous retrouvâmes au milieu de notre troupe, il appela notre guérisseuse et nous entraîna à l’écart pour éviter que je ne me donne en spectacle. Quand nous fûmes suffisamment isolés, il ôta mon chemisier, juste posé sur mes épaules. J’éprouvais un bref moment de panique. Il le sentit et me serra contre lui, exposant mon dos au regard inquisiteur de Lassa. Elle ne dit rien. Je ressentais ses doigts qui exploraient mes cicatrices en une touche légère, détachant une lanière du harnais chaque fois qu’il la gênait dans son examen.

— Je reviens, dit-elle.

Elle ne s’absenta qu’un court instant, revenant avec un pot d’onguent.

— Tiens-la bien, ordonna-t-elle à Meton, empêche-la de bouger.

Je sentis ses bras se resserrer autour de mes épaules, prêts à m’immobiliser en cas de besoin. Étrangement, cela me rassura. Lassa étala la crème sur mes blessures. Alors que je m’attendais à souffrir atrocement, cela me fit frissonner sans plus.

— Tu ne ressens rien ? demanda Lassa.

— Quasiment rien.

Comme elle n’ajoutait rien, je repris.

— C’est grave. Ne me mens pas, sois honnête.

— Ça devrait te faire mal. Si tu ne sens rien, cela signifie dire que les nerfs sont touchés.

— Ce n’est pas bon donc.

— Il faudrait s’arrêter au moins un douzain pour que tu te rétablisses.

— Nous ne disposons pas de ce douzain, remarqua Meton. Nous sommes suivis, nous n’avons que quelques jours d’avance. Nous allons même devoir augmenter le rythme si nous ne voulons pas nous faire rattraper.

Lassa acheva d’enlever mon harnais.

— Elle ne devrait plus remettre ce truc, dit-elle, cela lui fait plus de mal que de bien.

— Mais je ne peux pas marcher sans, protestai-je.

— Eh bien, tu ne marcheras plus. Voilà.

En clair, j’étais une indigente. J’allais dépendre de mon entourage pour tout.

— En fait, tous les jours tu devras te tenir debout en te faisant aider. La plupart du temps, tu voyageras à dos de hofec. De préférence avec quelqu’un pour te soutenir.

Elle appliqua dans mon dos une grande plaque de tissu qu’elle maintint en place au moyen d’un bandage si serré qui me coupa presque la respiration.

— Tu peux la rhabiller, dit-elle à Meton.

Je remarquais que c’était à mon compagnon qu’elle s’adressait, pas à moi. Elle ne m’en croyait pas capable. Je ne cherchais pas à vérifier si elle avait raison. Je laissais le guerrier glisser mes bras dans les manches de mon chemisier et le reboutonner. Puis il me ramena au milieu du camp.

Comme j’avais toujours froid, il m’enveloppa dans une grande couverture. Lassa revint avec une tasse d’un breuvage fumant.

— Bois ça, du poison coule dans tes veines, ça t’aidera à l’éliminer.

Docilement, je le pris. La chaleur du pot entre mes mains était réconfortante. J’avalais une gorgée. Je fus surprise, jusqu’à présent les décoctions que l’ont me faisait absorber avaient un goût amer. Celle-là au contraire était sucrée, presque sirupeuse.

Il n’y avait pas que du miel dans la tisane de Lassa, puisque quelques stersihons plus tard, je m’endormis comme une masse.

L’ascension proprement dite commença le lendemain. Là, il n’était plus question de plateau, mais nous avions abordé les pentes. Chaque colline que nous gravissions nous en révélait une autre plus élevée. Au bout de trois jours, nous atteignîmes la zone des premières neiges et l’endroit également où le froid devint si intense que la totalité de notre équipement s’avéra nécessaire. En plus de mon chemisier, je portais un maillot de corps en laine, un pull et un manteau molletonné à capuche avec un rabat qui ne laissait visibles que les yeux. Mes jambes étaient tout aussi chaudement couvertes puisque sous mon pantalon, j’avais mis un collant, de grosses chaussettes et des bottes fourrées bien épaisses. Il était inutile de dire que me déshabiller tous les soirs dans cet environnement glacial pour que Lassa puisse me soigner était une épreuve, les bras de Meton avaient cessé d’être doux et rassurants pour devenir contraignants. Par moment, je le détestais de m’infliger cela, et j’étais si frigorifiée que je finissais souvent en larme.

Le cinquième jour, nous étions montés assez haut pour ne plus être géné par les collines et voir le plateau où Meton avait découvert mon état réel. En me promenant pour me muscler le dos, il en profita pour me montrer les silhouettes qui se déplaçaient dessus. Nos poursuivants étaient presque aussi nombreux que nous, et ce n’était que des guerriers alors que seul un tiers des nôtres l’étaient. Ils présentaient l’avantage du nombre. Mais nos efforts avaient payé, ils ne nous avaient pas rattrapés.

Le lendemain, plus motivés que jamais, nous repartîmes. Ce fut une des jeunes femmes que nous avions acheté le premier jour qui monta avec moi pour m’assister. Je me laissais aller contre elle. Elle était bien plus vigoureuse que lors de notre rencontre : elle parvint à me soutenir sans difficulté. Sa maigreur extrême avait laissé place à une sécheresse prometteuse. Ce jour-là, Meton voulait absolument atteindre le col. C’était une longue marche, qui me soumettrait à rude épreuve. Mais nous n’avions pas le choix. Si Lassa ne protesta pas, c’était bien parce qu’elle avait bien compris l’enjeu. C’est pour cela que quand la nuit tomba, nous continuâmes. Nous ne nous arrêtâmes que le temps de manger et de quelques courtes pauses pendant lesquelles je ne démontais pas ? Je finis même par m’endormir, à tel point que je ne me rendis pas compte que mon assistant avait changé.

Le matin, quand le ciel commença à s’éclaircir, nous étions arrivés en vue des deux pics. Meton me réveilla. J’émergeais difficilement. Il me montra l’issue vers la sécurité.

— Je pense que tu ne voudras pas rater cela, me dit-il.

Il avait raison. S’il m’avait laissé dormir pendant que nous franchissions le col, je le lui aurais reproché. Je me forçais à me redresser pour traverser dignement ce passage, ignorant les protestations de mon dos. Nous reprîmes notre progression. Le soleil dardait ses premiers rayons au-dessus de l’horizon quand nous l’atteignîmes. Derrière, nous découvrîmes une succession de collines qui descendait jusqu’à une grande plaine en contrebas. Le panorama me parut magnifique, sillonné de milliers de rivières, parsemé de forêts. Nous nous arrêtâmes pour admirer le paysage.

Meton vint se placer à côté de moi, Lassa à ses côtés. Je tournais la tête vers lui, je pus voir des larmes couler sur ses joues. Meton pleurer, voilà un spectacle rare que je n’étais pas prête d’oublier. Nos compagnons se disposèrent autour de nous.

— C’est magnifique, dit quelqu’un, mais où sommes-nous ?

— Vous n’avez toujours pas compris ! s’écria Meton. Saalyn, c’est ton œuvre, annonce-leur.

Je hochais la tête. Et c’est d’une voix pleine d’émotion que je m’adressais à eux :

— Mes compagnons, bienvenue au Vornix.

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