Chapitre 11

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Finalement, je ne regrettai pas cette journée supplémentaire. Elle me permit de me renforcer un jour de plus. Lassa en profita pour ajouter un exercice destiné à assouplir les muscles et la peau toute neuve de mon dos et à éviter qu’ils se rétractassent. Elle me massa longuement avec une huile qu’elle fit bien pénétrer, un moment qui aurait pu être agréable si j’avais été au mieux de ma forme. Puis elle me fit pencher en avant en arrondissant l’échine. Très peu ce premier jour. Mais de plus en plus les jours suivants. Elle estimait que je devais aller jusqu’à ce que ça fît mal – signe que l’exercice était efficace –, mais pas trop sous peine de déchirer les tissus encore fragiles.

Enfin, le matin de notre départ, j’entrepris de m’habiller, pour la première fois depuis un mois. Lassa m’avait apporté un pantalon qu’elle avait cousu pendant que je me remettais. Elle n’était pas très douée dans ce domaine – ce qui expliquait certainement le bas prix que l’avait payée Meton – mais au moins j’avais de quoi m’isoler du froid. Mon ancien pantalon était taché de sang, elle n’avait pas réussi à le récupérer. Je ne pouvais pas le mettre tel quel, c’était écœurant, même si c’était une partie de moi qui le maculait.

Au bout de plusieurs tentatives, je dus me rendre à l’évidence, je n’y arriverais pas. J’appelais mes compagnons pour qu’ils m’aidassent à me vêtir. Meton me soutint pendant que Lassa glissait mes jambes l’une après l’autre. Je détestais être dans cet état. Ne pas pouvoir m’habiller seule, c’était humiliant. Et la tunique, ce fut impossible, même avec leur assistance. Lassa improvisa pour trouver une solution. Elle prit une grande écharpe en tissu fin qu’elle m’enroula autour du buste. Il lui fallut plusieurs tentatives pour qu’elle s’estimât satisfaite. Quelques épingles judicieusement placées maintinrent l’ensemble en place. Un moment, j’eus l’impression qu’elle avait été frustrée de poupée en étant enfant. Et maintenant qu’elle en avait une grandeur nature sous la main, elle n’allait pas se priver de s’amuser avec. Et effectivement, les jours qui ont suivi, elle allait laisser largement s’exprimer la fibre vestimentaire si longtemps réprimée en elle. Je la laissais faire, quelle que fût la tenue qu’elle avait choisie pour moi. Elle dénicha même, plus tard dans une boutique, une substance brune qui lui permit de dessiner des motifs sur mon visage et les parties dénudées de mon corps. Elle y consacrait beaucoup de temps chaque soir. Et honnêtement, ses attentions ne me déplaisaient pas. Cela faisait longtemps que personne n’avait pris soin de moi comme ça. Ce jour-là, elle avait disposé l’écharpe de façon à bien me couvrir la poitrine tout en la moulant étroitement pour mettre sa rondeur en valeur et en me laissant la taille nue. En soi, ce n’était pas indécent. Peu de pays réprouvaient que le nombril fût visible, sauf bien sûr celui que nous venions de quitter. Le froid me gênait davantage. Mais je m’inquiétai pour rien. Les nuits étaient froides. En revanche, pendant la journée il faisait chaud. Et cette tenue se révéla plus adaptée pour chevaucher que je ne l’avais cru au début.

Nous avions décidé que Lassa monterait mon hofec et que Meton me prendrait devant lui sur le sien. Ce choix était logique. Il était assez costaud pour me retenir si je tombais, ce qui n’était pas le cas de notre nouvelle compagne. Grimper sur le dos de la monture s’avéra complexe. Je n’avais pas la force de me hisser par mes propres moyens, je ne pouvais pas lever les bras assez haut. Et pourtant, le hofec de Meton s’aplatit au sol pour se faire le plus bas possible. Au lieu d’avoir à escalader une montagne, je n’avais plus qu’une colline à gravir. Ce qui était encore trop. Finalement, il fallut toute une collaboration pour atteindre ma place. Meton m’attrapa sous les bras pour m’amener à lui et mon propre hofec me poussa – par les fesses – pour m’aider à m’installer sur l’échine de son compagnon. Je pus prendre place devant mon partenaire qui m’entoura d’un bras pendant que de l’autre il saisissait la longue qui nous servait, non pas à les diriger, mais à nous retenir.

Enfin, nous repartîmes.

Le balancement hypnotique du hofec, la solide poitrine de Meton contre laquelle je m’abandonnais, son bras sécurisant passé autour de moi, sa main posée sur ma taille nue – ce qui loin de me gêner me rassura davantage, tout cela fit que je m’endormis.

Quand je me réveillais, nous étions arrêtés et la nuit commençait même à tomber. Mes compagnons m’avaient laissé dormir, allongée sur ma monture pendant qu’ils préparaient le camp. Je me demandais comment j’allais pouvoir les rejoindre. J’étais ankylosée, et mon dos protestait violemment si je tentais de me relever. Ce fut mon propre animal qui me tira d’affaire. Il me poussa délicatement du museau. Je lâchais un cri de peur quand je me sentis tomber sans avoir la force de me retenir. Mais les solides bras de Meton me réceptionnèrent fort à propos. Je me félicitais plus que jamais de l’avoir choisis comme partenaire. J’avais repéré un jeune stoltzen à Jimip, qui pourrait devenir un bon guerrier libre. Je l’avais pris comme apprenti, le tout premier de cette nouvelle corporation. Mais Helaria m’avait dissuadé de l’emmener aussi tôt sur les routes avec moi. Et j’avais bien fait. Avec lui, je me serais lamentablement écrasée au sol. Mais il est probable que mon hofec ne m’aurait jamais poussé dans de telles conditions.

En m’appuyant sur l’épaule de mon compagnon. Je rejoignis Lassa qui avait pris ma place à la broche. Elle effectuait cette tâche monotone, un sourire réjoui sur le visage. Je l’avais vu évoluer au cours de tous ces jours, au fur et à mesure qu’elle comprenait ce que signifiait qu’être une femme libre. Elle avait pris conscience qu’elle n’était plus obligée d’obéir aveuglément à nos requêtes, qu’elle n’était plus, corps et âme, à l’entière disposition de son maître. J’étais dans les limbes au début de sa présence parmi nous. Mais Meton m’avait raconté que les premiers soirs, elle s’était tenue déshabillée et allongée sur sa paillasse, attendant qu’il assouvît ses instincts. Elle avait paniqué en ne le voyant pas venir. Elle avait cru qu’il n’était pas satisfait d’elle et allait s’en débarrasser. Elle avait alors pris l’initiative de le rejoindre une fois couché. Meton avait dû la rassurer et lui expliquer longuement ce que son nouveau statut impliquait. D’ailleurs, il avait fait évoluer son langage pour bien lui faire comprendre ses obligations. Il ne l’avait pas acheté – même si légalement c’était ce qui s’était passé –, il l’avait engagé comme guérisseuse. Il avait calmé ses craintes en la laissant dormir avec, ce qui avait permis à la jeune femme de découvrir qu’on pouvait passer la nuit entre les bras d’un homme sans avoir besoin de se donner à lui. J’admets cependant que, même pour l’Helaria, Meton était spécial. J’en connais bien peu en dehors de lui qui n’auraient pas abusé de la situation. Toujours est-il que quand j’avais repris connaissance, elle avait déjà cessé ses petits jeux et avait pris plus d’assurance. Mais Meton continuait à surveiller son langage, elle était si imprégnée de cette éducation d’esclave, il était si facile de la faire retomber dans ses travers, qu’il faisait bien attention à ne rien lui dire qu’elle aurait pu interpréter comme un ordre.

Je pensais toutefois que ce qui a le plus contribué à la faire évoluer, c’était de nous voir nous comporter l’un envers l’autre. J’étais une belle femme, il était un bel homme. Il semblait inconcevable aux yeux des autres que nous ne fûmes pas amants. C’était d’ailleurs cette croyance qu’il m’avait valu d’être suppliciée. Découvrir qu’il n’en était rien, sans exclure une certaine tendresse cependant, lui avait permis d’appréhender les relations entre les hommes et les femmes sous un jour nouveau. Et aujourd’hui, nous disposions d’une camarade souriante, effectuant avec joie une tâche que je trouvais rebutante.

Les jours suivants, nous repartions à l’aurore pour essayer de rattraper le retard dû à ma guérison. Mais mon état limitait la durée de nos chevauchées. De plus, il me semblait indispensable pour notre crédibilité que je pusse me déplacer par mes propres moyens à destination. Nous nous arrêtions donc lorsque Fenkys arrivait au zénith. Et l’après-midi était consacré à mes soins, exercices destinés à renforcer les muscles endommagés de mon dos, assouplissements, massages. Le soir, j’étais épuisée. Je tombais comme une masse. Mais je ne progressais pas assez vite. J’avais toujours besoin d’aide pour me tenir droite. La lanière lestée du fouet avait fait des ravages dans les muscles de mon dos. Par comparaison, les dommages infligés à mon ventre ou ma poitrine paraissaient insignifiants. Ils avaient déjà disparu sans aucune séquelle. Le bourreau frappait parfois trop fort, le lien de cuir s’enroulait alors autour de mon corps ce qui s’avérait particulièrement douloureux. Et pourtant il n’en restait plus aucune trace. En revanche, dans le dos les muscles avaient été lacérés. Il faudrait du temps pour que je retrouvasse ma vigueur d’avant. Le plus pénible restait cependant d’être totalement dépendant des autres pour tous les actes de la vie, y compris les plus intimes. Être obligée de demander de l’aide pour faire mes besoins ou procéder à ma toilette était particulièrement humiliant. Je savais bien que Meton s’était occupé de moi quand j’étais inconsciente. Je l’avais déduit et il me l’avait confirmé. Mais il est très différent de savoir une chose et de la vivre.

En tout cas, pour pallier mon incapacité à me déplacer sans aide, j’avais proposé d’utiliser un harnais qui me soutiendrait pour rester droite. Meton pouvait en confectionner un. Lassa s’y était opposée. Selon elle, un tel accessoire m’aiderait, mais gênerait ma guérison. Si mes muscles n’avaient plus à d’efforts à fournir, ils n’auraient aucune raison de se renforcer. Après d’âpres discussions avec elle, elle finit par céder, à condition que je ne m’en servisse que dans de rares cas.

La première ébauche se révéla mal commode. Habitué à travailler pour des hommes, il n’avait pas tenu compte des particularités de l’anatomie féminine. Les sangles m’écrasaient douloureusement la poitrine. Sa seconde version après une longue période d’ajustage ne présentait plus ce défaut. Néanmoins, les bordures de cuir, qu’il avait pourtant adoucies, martyrisaient mes seins et le rendait pénible à porter au-delà d’un monsihon. Je me demandais un moment s’il n’avait pas fait exprès pour m’inciter à m’en servir le moins possible. Le connaissant, c’était envisageable. D’autant plus que jamais je n’ai pu avoir de réponse franche de sa part à ce sujet.

Toujours est-il que la veille d’atteindre notre destination, même si je n’étais pas bien vaillante, nous étions prêts à rencontrer notre prochain contact.

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