Chapitre 9

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Attention : ce chapitre comporte des scènes violentes

Le grossiste que nous avait indiqué Erganel s’appelait Samo. Il vivait très au nord du Segel, dans un pays dont je n’avais jamais entendu parler, pas plus que Wotan ni Helaria d’ailleurs. Soit il était de création récente, soit il se situait trop au nord pour que les réfugiés du Vornix l’aient traversé. Sur le trajet lui-même, notre hôte n’avait pas pu nous donner beaucoup de renseignements. Il n’avait fait que passer dans le pays, ne s’arrêtant que dans les auberges. La milice locale les contrôlait étroitement, ce qui garantissait un voyage sans problème. Avant de partir, il avait tenu à nous offrir une bourse. Malgré nos dénégations, il avait tant insisté que je n’aurai pu refuser davantage sans me montrer insultante. Même si j’étais gênée, je dois admettre que cet argent nous serait bien utile. Mais je pense que son cadeau ne manifestait que son désir de voir Vespef recouvrer la liberté. Elle était une personne aussi retorse dans son métier de pentarque qu’adorable dans le privé. Et si belle – si elle ne l’avait pas été, les pirates ne l’auraient pas capturée. Elle avait dû lui faire une forte impression.

Le Segel était un grand pays. Il nous fallut six jours d’une chevauchée sans histoire pour atteindre sa frontière nord. Notre pécule nous permit de nous arrêter le soir dans une auberge, sans compter que j’arrivais à réduire la note en donnant un tour de chant à chaque fois. Les voyageurs en transit apprécièrent ma prestation et je me couchais souvent tard. En temps normal, je me serais trouvé un bel Apollon pour réchauffer mon lit. Mais j’étais trop préoccupée par le sort de Vespef pour m’abandonner ainsi à la bagatelle. Et pourtant, les aèdes savent combien cela m’aurait fait du bien. Chaque étape que nous effectuons en quelques jours avait pris des mois pour se réaliser. En arrivant chez Erganel, nous étions remontés de presque un an dans le passé. J’avais peur qu’en atteignant le point de départ de sa gemme, ma pentarque ait été envoyée ailleurs et que la piste soit refroidie.

Au nord du Segel se trouvait un royaume qu’Helaria avait traversé pendant l’exode du Vornix et dont il avait gardé un bon souvenir. Bien que très au nord, il se situait dans la zone centrale des grandes plaines, largement irriguées par les fleuves qui descendaient des montagnes, et qui avaient permis aux hauts royaumes de s’établir. Et il faisait partie de l’un d’eux. C’était donc une riche région agricole et partout autour de nous je voyais d’immenses steppes où paissaient les troupeaux. La route était régulièrement jalonnée d’auberges ou nous pûmes nous arrêter. Malheureusement, les tenanciers refusèrent que je paye en chanson. Heureusement que leur prix n’était pas excessif. Mais si la traversée de ce pays durait trop longtemps, nous risquions d’entamer sérieusement notre pécule.

Je compris pourquoi Erganel n’avait pu nous fournir que peu de renseignements, les gens ne se montraient pas très loquaces. Les serveurs venaient prendre les commandes et nous apporter les plats, mais ils ne discutaient pas beaucoup. Cela faisait trois jours que nous avions passé la frontière et nous ne savions toujours pas le nom que donnaient ses habitants à leur terre. Des individus rudes, à l’égal du pays. Parce que si dans la journée le temps était chaud, les nuits étaient particulièrement froides. Pas étonnant que personne ne bivouaqua.

Le troisième soir, je craquais. Quand je me retrouvai dans ma chambre, je fus incapable de rester seule. J’allais frapper à la porte de Meton. Il m’invita à entrer.

— Je peux dormir avec toi ? demandais-je.

Ma voix me parut nasillarde et enfantine. Meton le remarqua aussi, je pense, puisqu’il poussa la couette pour m’offrir à le rejoindre. Il m’enlaça tendrement, tel un grand frère qui protège sa sœur. Je ne tardais pas à m’assoupir entre ses bras réconfortants.

La porte s’ouvrit avec une telle violence qu’elle claqua contre le mur. Elle déversa toute une horde dans la chambre. Surprise, je me réveillais et me plaquais contre la tête de lit. Mon épée était accrochée au pied, trop loin pour que je l’atteigne, mais sous les draps, ma main était refermée autour d’une dague. Je reconnus la tenue des intrus. La milice. Qu’avions nous bien pu faire pour nous attirer leurs foudres ?

— On m’a signalé un comportement indécent dans cet hôtel, déclara celui que j’identifiai comme leur officier.

Son regard se posa alternativement sur Meton et moi-même.

— Je constate qu’on ne m’avait pas menti, continua-t-il.

— Quel comportement indécent ? m’écriai-je.

— Oserez-vous m’affirmer que vous êtes mari et femme ?

— Oui, répondit Meton.

Je ne sais pas s’il avait donné la réponse correcte, mais je me dis que cela pouvait constituer une bonne idée.

— Avez-vous les preuves ? Vos certificats de mariage ?

— Nous ne pensions pas que nous pourrions en avoir besoin. Ils sont restés en sécurité à notre domicile.

— La ferme ! Catin !

Malgré l’envie qui me tenaillait de renvoyer ces quatre vérités à ce grossier personnage, je jugeai opportun de me taire. Comme on dit dans la vie, il existe deux genres de personne, ceux qui possèdent une épée et ceux qui la ferment. Moi, je la fermai.

— Ce n’est pas une catin, protesta Meton, c’est ma femme.

— Vous partagez la même couche !

— Comme tout mari et femme !

— Le temps de la conception ! Puis les époux réintègrent chacun leur chambre, comme le préconise le livre saint.

S’il citait les règles qui régissaient les relations entre homme et femme dans ce pays, il n’était pas étonnant que ce soldat se montre si hargneux.

— Et puis, regardez-moi cette tenue indécente, indigne d’une femme honnête.

Indécente, il ne fallait pas exagérer quand même. Il faisait si froid la nuit que j’avais gardé mes vêtements, et en plus je m’étais engoncé dans une épaisse couverture.

— Je suis habillé, protestai-je.

— On distingue la forme de votre corps à travers vos habits. On voit vos jambes et tout le reste, vos hanches, vos mamelles.

C’est à ce moment-là que je compris que j’allais passer un moment très difficile. Tôt ou tard, j’allais devoir enlever cette couverture, et quand il verrait mon décolleté, pourtant tout à fait décent, il allait péter un câble.

— Vous allez nous suivre, ordonna-t-il. Levez-vous !

Je ne m’étais pas trompé. Quand je me révélais à eux, dans ma tenue de route, quelques miliciens ricanèrent. Quant à leur chef, il devint écarlate.

— Vous pouvez sortir pendant que je me change, demandai-je.

— Nous connaissons déjà toutes les parties de ton corps obscène.

J’abandonnais l’idée de me changer, me contentant de m’envelopper dans un long manteau. Inutile de prendre une arme, je serais fouillée. Et en effet, ce fut le cas. Et aussi humiliant que je l’avais imaginé. Pendant que leurs mains parcouraient mon corps, je croisais le regard de Meton. Il lorgnait vers mon épée. De la tête je lui fis signe de renoncer. Il ne pourrait pas gagner. Et j’avais besoin qu’il reste libre pour qu’il puisse me sortir de là. Leur exploration terminée, je quittais la chambre entourée par les miliciens. Au passage, je remarquais l’aubergiste qui patientait un peu à l’écart. L’officier lui donna quelques pièces, le prix de sa trahison. Je ne sais pas quelle expression j’avais sur le visage, mais quand il me vit, il paniqua et s’enfuit. Mais il ne perdait rien pour attendre.

J’avais bien fait de prendre un manteau. La cellule n’était pas chauffée, son soupirail n’était même pas fermé, une découpe dans le mur, trop petite pour qu’un corps normal pu passer, et de plus bloqué par deux barreaux en croix. L’endroit était glacial. Je m’engonçais davantage dans mon vêtement. J’explorai mon nouveau domaine dans la chiche lueur prodiguée par une lampe à huile située dans le couloir. Une paillasse, simple planche de bois, était fixée à la paroi d’un côté, une couverture crasseuse était abandonnée dessus. À l’opposé, un trou dans le mur servait de latrine. Les lieux étaient sales et empestaient l’urine. J’étais sûre que le sol n’avait jamais rencontré de serpillière. Sur les murs, des graffitis souvent obscènes décoraient le moindre espace libre. J’espérais que Meton allait rapidement me faire sortir de là. Je m’assis sur la paillasse et attendis.

Un prisonnier normal serait devenu fou aussi longtemps sans rien pour s’occuper, les journées ponctuées par la faible lueur qui passait par la lucarne et le repas écœurant servi le soir. Mais je disposais d’un avantage sur eux, j’étais une sensitive liée à un télépathe. Wotan ne restait pas en permanence dans mon esprit. Il se retirait souvent pour préserver mon intimité. Mais dès qu’il découvrit ma situation, je ne fus plus jamais seule. Nous discutâmes à bâton rompu sur les sujets les plus variés. Il me parla de la bibliothèque, la seconde corporation qu’il avait créée en même temps que les guerriers libres. Elle avait lancé quelques scribes à travers tout l’archipel pour retranscrire toutes nos connaissances orales, que ce soit nos techniques ou nos mythes. Helaria y avait un peu participé en racontant le passé de notre royaume, depuis sa jeunesse dans le Vornix jusqu’à son abdication en faveur de ses cinq enfants, nos pentarques. Une autre personne que j’eus souvent en tête, c’était Peffen. Avec la réunion de l’Helaria, du Mustul et de l’Honëga sous une même autorité, l’argent avait commencé à affluer dans la Pentarchie. Pas énormément, mais bien plus qu’autrefois, quand nous dépendions de nos voisins pour écouler notre marchandise. Une économie s’installait doucement. Et il fallait la contrôler. Peffen s’était découvert une passion pour cela. Et elle m’interrogeait constamment sur les systèmes que je croisais dans mes voyages. Aujourd’hui, la Pentarchie est un grand pays. Et tout le monde met cela sur le compte de Wotan et ses innovations ou de la diplomatique Vespef et dans une moindre mesure des jumelles et de leur armée. Mais je pense que tout cela n’aurait jamais été possible sans Peffen. C’était elle qui avait permis de financer tous les projets, c’était elle qui avait payé les navires de guerre, les armes et les inventeurs. Et j’y avais un peu contribué. Naturellement, Wuq et Muy ne furent pas en reste et vinrent me tenir compagnie. Je crois que je n’ai jamais été aussi occupée que pendant mon incarcération.

Le onzième jour, j’avais perdu le fil du temps, mais Wuq me le remémora, le gardien qui apportait la nourriture s’attarda. Il posa l’assiette un peu derrière la barrière, à la limite de ma portée. Puis il me regarda fixement.

— Je savoir quelque chose d’important, baragouina-t-il enfin. Toi vouloir ?
Il avait tenté d’utiliser la langue de la Diacara. Son accent était à la limite de la compréhension, mais au moins il la parlait.

— Quoi donc ? demandai-je dans le même dialecte.

— Ton sort. Toi vouloir ?

Voulait-il dire qu’ils avaient statué sur mon sort ? Les choses allaient enfin bouger. Je n’avais aucune nouvelle de Meton et de ce qu’il avait mis en œuvre pour me sortir de là. Et comme il n’était pas sensitif, les pentarques n’étaient pas mieux renseignés.

— Alors ? demandai-je.

— Ta robe !

Il voulait que je me déshabille devant lui ! Pas question ! Cependant, je m’attendais dans ce genre d’endroit à me faire violer par les gardes et ce n’était pas arrivé. Je pouvais m’estimer chanceuse dans mon malheur. Peut-être sa requête représentait-elle le maximum que leur foi leur permettait pour leur tranquillité d’esprit.

Je cherchais une échappatoire, mais je n’en vis aucune. Wuq, tapie au fond de mon crâne, ne put pas m’aider davantage. Pourtant je devais savoir. La mort dans l’âme, je déposais mon manteau sur la paillasse. Puis je commençais à délacer mon corsage. Je ne m’étais jamais sentie aussi mal. La nudité ne me gênait pas, j’étais une Helariasen après tout. Même les pentarques n’éprouvaient aucune honte à se montrer nus devant leurs sujets. Quel adolescent n’avait pas espionné Vespef ou les jumelles dans leur plage pourtant privée sans que ces dernières ne leur en tiennent rigueur ni ne cherchent à se protéger de leurs regards. Mais se déshabiller, c’était quelque chose d’intime, que je réservais généralement à mes amants. Je décidais de couper la poire en deux. Je n’ôtais pas ma tunique. À la place, je me contentais d’écarter mon décolleté de façon à lui offrir la vue la plus large sur ma poitrine. Mais je me doutais que ce ne serait pas suffisant. Le geste agacé qu’il m’envoya le confirma. Lentement, je dégageai un de mes seins.

— L’autre ! ordonna-t-il.

— Le renseignement.

— Le juge décider pour toi.

Voulait-il dire que le juge avait décidé ou qu’il allait décider ?

— Quand demandais-je ?

— L’autre.

Je m’exécutais. Et fermais les yeux pour ne pas voir son regard posé sur moi.

— Hier, répondit-il.

D’accord, il avait pris sa décision. Je croisais les bras sur ma poitrine.

— Qu’a-t-il décidé ?

— Enlever tout.

Je m’y attendais. Mais cela me fit quand même un choc. Je me retournai pour ôter ma tunique. Puis je me cachais derrière mes mains avant de lui faire face. Il avait une expression avide.

— Enlever mains, ordonna-t-il.

— Le renseignement.

— Enlever mains d’abord.

Je dus me faire violence pour laisser tomber les bras de mon corps. Jamais je ne m’étais sentie aussi salie par un simple regard. Je me raccrochais au lien avec Wuq. Au fond de moi, je sentais grossir sa colère.

— Dix et dix et cinq fouets.

Je fermais les yeux de désespoir. Après une telle sentence, je ne serais bonne à rien, incapable de m’assumer. Si Meton n’était pas en mesure de me prendre en charge, j’étais perdue. Si on me ramenait ici, l’infection me tuerait à coup sûr.

— Et Meton ?

— Approche.

Il ne me demandait pas d’enlever mon pantalon. Je n’en étais pas plus heureuse pour autant. À contrecœur, j’obéis. Au fond de moi, je sentais Wuq bouillir. Paradoxalement, sa colère me donnait la force de continuer. Je m’arrêtais à quelque distance de la barrière, mais à portée de ses mains. Je fermais les yeux. Je savais ce qui allait maintenant se passer. Je ne pouvais pas l’empêcher, mais je n’étais pas obligée de regarder. Mais Wuq se montra impitoyable, elle me força à les rouvrir. Je le vis glisser ses mains à travers les barreaux.

Brusquement, la fureur de Wuq explosa. Je saisis les poignets du garde et tirais violemment. Il percuta la grille métallique, faisant éclater sa lèvre.

— Meton, répétais-je.

Je le repoussais un peu pour pouvoir prendre de l’élan.

— Négociation avec juge, répondit-il à moitié sonné.

— En cours ou terminé ?

— Maintenant.

Donc il n’était pas demeuré inactif. Il n’avait pas pu m’éviter le fouet, mais il n’avait pas renoncé non plus.

— Merci.

Je donnais un nouveau coup au garde, puis je le lâchais. Il tomba à la renverse et resta là, immobile, le visage en sang.

Je fus incapable de bouger. J’étais en état de choc. J’avais été surprise de la facilité avec laquelle Wuq s’était emparée de mon corps et l’avait contrôlé. Et cette séance d’effeuillage m’avait atteinte plus que je ne l’aurai crue. Je me sentais salie. Je tremblais, mais pas de froid. Tout ce que je parvins à faire, c’est à cacher mes seins derrière mes mains et à m’allonger sur la paillasse. Remettre ma tunique était au-dessus de mes forces. Fenkys se levait quand enfin, je me rhabillais.

Le jour de la sentence arriva. Un garde ouvrit la cellule. Je m’enveloppais étroitement dans mon manteau. Non pas à cause du froid, l’extérieur ne pouvait pas l’être autant que cette cellule. À cause de ce que cette sortie impliquait. Dans un moment, j’allais être jetée en pâture aux dégénérés de ce village, j’allais être dénudée, humiliée et torturée. Le garde m’attacha les mains dans le dos avant de me conduire hors du bâtiment.

L’exécution devait avoir lieu dans la cour devant la prison. Au centre, l’échafaud était constitué d’une simple potence en bois posée sur une estrade qui l’isolait du pavage. La foule s’était disposée tout autour. Je jetais un coup d’œil. Meton se tenait au milieu d’eux, au premier rang. Je fis un signe dans sa direction pour lui montrer que je l’avais vu. Il me renvoya un sourire destiné à me rassurer. Mais je le connaissais bien, je devinais son inquiétude. Le fait que lui, qui savait exactement ce qui m’attendait, fût dans cet état me paniqua. J’allais vraiment passer un sale moment.

À gauche de la potence, deux personnes se tenaient debout et me regardaient avancer. L’une d’elles avait le visage masqué d’une cagoule en cuir. Enroulé à sa ceinture, pendait le fouet. Il était lesté de billes de plomb. J’allais déguster. À côté, ce deuxième homme devait être le juge. Ou tout au moins un édile. De l’autre côté de l’engin de supplice, trois gardes attendaient. Ils vinrent prêter main-forte à mon escorte. Ils me détachèrent les poignets. Puis ils me retirèrent mon manteau, ils se mirent à deux pour cela alors que chacun d’eux faisait deux fois mon poids. D’accord, j’étais capable de vaincre chacun d’eux à mains nues, mais ça, ils ne le savaient pas. Un moment, j’envisageais de m’enfuir. Mais la foule qui me séparait de l’issue était trop épaisse pour que ce soit possible.

Il ne me restait que ma tunique. Dans cette cour humide et fraîche, isolée du soleil par le bâtiment de la prison, elle se montrait un peu juste. Dans un instant, je ne l’aurai même plus. Eh bien, j’allais leur montrer comment une guerrière libre de l’Helaria affrontait son destin. Je commençais à dénouer le lacet pour l’enlever. Mais là encore, les gardes intervinrent. Ils me l’ôtèrent sans ménagement.

Jusqu’à présent, je n’avais laissé que mes amants me déshabiller. Je gardais la tête haute devant cette humiliation, mais je manifestais une assurance que j’étais loin de ressentir.

Ils m’attachèrent par les poignets à deux anneaux fixés à la poutre supérieure, face au public. Je me retins de tirer dessus pour éprouver leur résistance. Ils étaient en bronze. Mon regard parcourut la foule avide de sang. Je gonflais la poitrine et arborais un air fier. Ils allaient voir comme un guerrier de l’Helaria encaisse. C’est alors que je le vis. Ancaf ! Celui qui s’était opposé à moi lors de ma première vraie mission, en Ocarian. Je l’avais oublié, mais lui se souvenait bien de moi. Je me demandais dans quelle mesure il était responsable de ma situation. Cela ne pouvait pas être un hasard. Il connaissait mon métier. Il avait dû croire que j’étais à ses trousses. Pour se débarrasser d’un adversaire dangereux, quoi de mieux que de laisser la justice opérer. Je me jurai que si je m’en sortais, il serait ma prochaine mission.

Le juge se plaça devant moi. Il déroula un parchemin qu’il lut. Il était rédigé dans le dialecte local, je ne compris pas un mot. Mais il me le résuma dans la langue de la Diacara.

— Vous avez été condamné à dix coups de fouet pour avoir porté des vêtements d’homme plus quinze pour avoir forniqué en l’absence de conception. Enfin, pour avoir exercé des violences contre un représentant de la loi, vous recevrez à vingt-cinq coups supplémentaires.

Cinquante coups, je ne repartirais pas d’ici par mes propres moyens.

Au fond de mon esprit, je sentis Muy s’agiter. Ces vingt-cinq coups de bonus, c’était à elle que je les devais. Si elle n’était pas intervenue, j’aurais passé un moment très pénible, mais pas mortel. Mais là, même si je m’en sortais vivante, cela me prendrait du temps à m’en remettre. Son sentiment de culpabilité était si palpable qu’il me donnait la nausée. Puis, elle disparut de mon esprit, remplacée par Wotan.

Le bourreau me glissa un morceau de bois dans la bouche, pour éviter que sous la souffrance, je me brise les dents. Je cherchais Meton. Mais il regardait ses pieds. Il ne pouvait pas supporter de me voir en train de me faire torturer. Mais lève les yeux, bon sang ! J’ai besoin de ta force ! Il dut comprendre puisqu’il releva enfin la tête. Je puisais du courage dans ses pupilles.

Le fouet claqua une première fois. Une brûlure me zébra le dos. Sous la souffrance, je me crispais. De justesse, je retins le cri qui voulait sortir. La seconde fut pire. J’eus l’impression que ma peau se déchirait. Au cinquième, mes résolutions s’effondrèrent, je lâchais le morceau de bois et poussais un hurlement. Je ne sais pas à quel moment je perdis connaissance. Mais certainement pas à cinquante. Même pas à la moitié.

À partir de là, je sombrais dans le néant.

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