Chapitre 6

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Ma tournée des tavernes s’était révélée productive. J’avais empoché la somme de quarante-sept ocars. Avec une telle fortune, je pouvais vivre seule pendant plusieurs mois en économisant. Et plusieurs douzains dans un luxe relatif en compagnie de Meton. Il faut dire que ma dernière acquisition vestimentaire avait rencontré beaucoup de succès. Je l’avais dégotée il y avait quelques années en Diacara. Bien qu’elle m’avait coûté cher à l’époque, son prix se justifiait largement. C’était un boléro très court, fait dans une sorte de tissu d’une douceur inouïe. Là où le concepteur s’était montré ingénieux, c’était en lestant le bas de petits poids, de plomb certainement, qui lui permettait de rester en place sans s’ouvrir. J’avais remarqué que ce vêtement produisait un effet incroyable sur les hommes, les tenant en haleine. Ils attendaient que l’étoffe s’écarte suffisamment pour dévoiler ce qu’ils désiraient voir, ce qui n’arrivait jamais. Quand je le mettais, je choisissais des chansons calmes et généralement connues que l’assistance pouvait entonner avec moi. Soyons honnêtes, il ne cachait pas grand-chose. Il aurait mieux convenu à une femme plus gracile telle que mes pentarques Wuq ou Muy. Sur moi, il était à la limite de la décence. Toutefois, j’étais une Helariasen. Laa nudité, même en public, ne m’avait jamais gênée, ni personne d’ailleurs dans mon pays. L’Ocarian possédait des lois sur la morale que la Pentarchie ignorait, ce morceau de tissu suffisait heureusement à satisfaire les policiers les plus pointilleux.

Meton aussi s’était montré efficace. Il nous avait trouvé une caravane qui partait deux jours plus tard, juste le temps de réparer notre matériel. Comme prévu, je me suis présentée au dernier moment. Le chef du convoi a tiqué en constatant que j’étais une femme. Il n’avait pas le temps de rechercher quelqu’un d’autre. Il a voulu un moment renégocier mon salaire. Je lui ai rappelé qu’on s’était mis d’accord sur une somme, et il ne pouvait pas revenir sur la parole donnée. Un demi-cel par jour donc. Il a jeté un regard hostile à Meton.

Le voyage lui-même n’a rien présenté rien de particulier. Marche pendant la journée, bivouac la nuit. Mes dons de chanteuses ont été bien appréciés le soir à la veillée. J’ai bien reçu quelques avances de la part de mes compagnons, mais ils se sont montrés bien peu empressés. Était-ce la présence de Meton à mes côtés ? Ces gens ne pouvaient concevoir que deux personnes de sexes opposés puissent se montrer si proches sans être amants. Ils ne comprenaient pas l’amitié entre un homme et une femme. C’était trop étranger à leur mode de pensées. Ou alors, était-ce la fatigue du voyage, le froid qui nous engourdissait l’esprit, les dénivelés importants qui pompaient toute leur énergie, en laissant bien peu pour la bagatelle. En tout cas, ce n’était pas mon habileté à l’épée. Le trajet s’est avéré si tranquille que je n’ai pas eu l’occasion de faire mes preuves dans une bataille. Ce qui m’a ôté toute chance de faire revenir ce chef de convoi sur ses idées préconçues à l’égard de mon sexe. Et puis après tout, j’avais d’autres combats à mener que de changer la mentalité du monde.

Une fois arrivés de l’autre côté des montagnes, nous avons quitté la caravane. Ma première action a consisté à trouver une place dans un hôtel. Je ne connaissais pas ce pays, n’ayant jamais eu l’occasion d’y passer. Dans mon métier, j’empruntais surtout la voie du sud. J’ignorais donc si des voyageurs y étaient en sécurité. Par précaution, je préférais prendre une seule chambre avec deux lits plutôt que deux. De cette façon, l’un de nous pourrait veiller sur l’autre pendant son sommeil.

Nos affaires déposées, nos montures dans une l’écurie, nous nous mime en quête de notre correspondant. De ma poche de poitrine, j’ai sorti le morceau de papier que m’avait donné le receleur d’Ocar. De mauvaise qualité, par le simple frottement du tissu, il commençait à partir en miette, et l’encre à s’effacer, après à peine plus d’un douzain seulement. Heureusement, je pouvais encore lire le texte.

« Le fournisseur de Drat s’appelle Ekekele, ai-je déchiffré.

— C’est quoi ce nom ? s’est amusé Meton.

— Ce pays n’est pas apparenté au Vornix. Il est normal que les noms y paraissent étranges.

— Ce qui ne va pas manquer de nous poser un problème.

— Lequel ? »

Pour toute réponse, il m’a montré les devantures des magasins. Même l’hôtel qui nous hébergeait. Je ne suis pas parvenue à les lire. L’alphabet était différent. L’hôtelier, habitué avec des voyageurs en provenance de l’empire, avait parlé un Ocarmen impeccable, quoiqu’affublé d’un léger accent. Aussi je ne m’étais rendu compte de rien. Maintenant que nous étions livrés à nous même, les problèmes commençaient. J’écoutais les discussions autour de moi, sans rien y comprendre. Les consonances m’étaient inconnues, je n’arrivais pas à identifier les mots. Une fois face à Ekekele, nous pourrions probablement parler avec lui, il commerçait avec l’étranger. Seulement, comment le trouver si on ne pouvait se renseigner sur son chemin auprès de personne ?

« C’est dommage que nous ne connaissions pas de vieux Mustulsen, a relevé Meton.

— Pourquoi ? ai-je demandé distraitement. »

Préoccupée par notre problème, sa réponse ne m’intéressait pas. Et pourtant…

« Quand le peuple du Mustul a quitté le Vornix, il a certainement traversé ce pays.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? »

Sa remarque m’avait appâtée. J’étais soudain devenue très attentive.

« Il venait du nord et s’est installé au sud. Ils sont forcement passé par là. C’était il y a si longtemps qu’il n’y a aucun survivant de cette époque, on doit quand même encore trouver des personnes qui connaissent un peu la langue. »

J’étais à la fois épatée par sa déduction et effarée par son manque de connaissance sur l’histoire de son propre pays.

« Et pendant la descente vers le sud, que s’est-il passé ? demandais-je. »

Il a réfléchi un instant.

« Oh ! s’est-il enfin exclamé. Une partie de la tribu a fait sécession autour d’Helaria.

— Ce qui veut dire qu’il existe encore des locuteurs vivants de cette époque. »

Wotan, mon pentarque, était un des télépathes les plus puissants de notre monde. Et il avait établi un lien permanent avec moi. Cela ne signifiait pas qu’il farfouillait en tout le temps dans mon esprit, mais que je devrais pouvoir attirer son attention.

Pendant que, je me concentrais sur son nom, je déplorais qu’un tel lien n’ait pas été activé avec Vespef avant sa disparition. Il m’aurait permis de la retrouver depuis longtemps. Au bout d’un moment, j’ai senti le chatouillement familier au fond de mon crâne qui indiquait qu’il avait réactivé notre connexion.

« Bonjour Saalyn.

— Wotan, je suis heureuse de te parler.

— Moi aussi. Cela fait un moment que tu n’as pas fait ton rapport. Tu me contactes pour cela.

— Non, je suis une piste au Segel. Et j’ai besoin de ton aide.

— Dis-moi tout.

— Parles-tu le Segelmen ?

— Parce que j’y ai résidé un temps, autrefois, tu as pensé que je connaissais cette langue ?

— C’est mon idée.

— À mon arrivée, je n’étais âgé que de quelques douzains. Et j’avais moins de huit ans quand je l’ai quitté. »

Effectivement. J’aurais dû l’envisager. Seulement, imaginer Wotan tel un bébé était si… contre nature.

« Tu as de la chance, je connais quelqu’un d’encore vivant qui était adulte à époque, a-t-il repris.

— Qui donc ? C’est si lointain.

— Mon père, Helaria. »

Helaria, le père de Wotan, n’était pas, contrairement à moi, un sensitif. Il ne pouvait pas établir de lien permanent qui lui aurait permis de le joindre télépathiquement même quand il se situait hors de son champ de vision. Il a donc dû se mettre en quête pour le trouver. C’est ainsi que j’ai traduit sa disparition soudaine de mon cerveau pendant plusieurs stersihons. Il est resté absent moins longtemps que je ne l’aurai craint. Les pensées du doyen, fondateur de la tribu, se sont insinuées dans ma tête. Tout au fond, je sentais l’esprit de Wotan qui établissait le lien entre nous deux. Je me suis rendu compte qu’il n’était pas seul. Peffen participait aussi à la discussion. C’était donc ainsi qu’il avait procédé. Il avait contacté ses sœurs et par chance, l’une d’elles ne se trouvait pas loin d’Helaria. Les deux pentarques faisaient relais entre le patriarche et moi. Helaria, tout comme Wotan, aimait que l’on rentre dans le vif du sujet. Aussi, après les salutations d’usage, je passais à mon problème.

« Je dois donc trouver cet Ekekele pour qu’il me dise où il a acquis ces biens, ai-je conclu.

— Cette Ekekele, a corrigé Helaria.

— Cette ?

— Ekekele est un prénom féminin. »

Ça, c’était une surprise à laquelle je ne m’attendais pas, ayant toujours voyagé dans des nations de culture vornixal.

« Certains pays utilisent des prénoms différents pour les hommes et les femmes ?

— La majorité d’entre eux en fait, m’a répondu Helaria. Même le Mustul, que l’on considère souvent comme un État frère distingue les deux genres. »

Je n’y avais jamais fait attention, mais il avait raison.

Dans le calsihon qui a suivi, le doyen m’a transmis les rudiments de la langue Segelensi. En fait, dans un délai aussi court, il s’est borné à m’apprendre quelques phrases par cœur : la politesse de base, demander mon chemin, à manger ou à boire. J’ai assimilé cela comme des suites de sons sans en comprendre la structure.

Dès que j’eus mémorisé toutes ces phrases, j’ai pu reprendre ma traque. Il n’a pas quitté mon esprit pour autant, prêt à intervenir si j’avais quelque chose de plus complexe à dire. Ma première demande à un passant, une jeune femme s’est révélée non concluante. Elle n’a pu répondre à ma requête sans que je pusse déterminer si elle ignorait la réponse ou n’avait pas compris la question. Ma seconde tentative m’a donné une direction.

Pendant que je suivais les indications reçues, Helaria m’a donné un petit cours de linguistique. Il a décortiqué pour moi la phrase que j’avais utilisée. L’ordre des mots n’avait rien à voir avec notre langue. Mettre l’objet puis le sujet et finir par le verbe me semblait peu naturel. Et pourtant, les habitants de ce pays parvenaient à communiquer entre eux sans difficulté.

De proche en proche, j’arrivais dans le quartier où vivait ma destination. J’ai pu passer à l’étape suivante. J’ai demandé à un badaud où trouver, non plus la zone de la ville, mais Ekekele elle-même. Sa réaction a été inattendue. L’individu m’a jeté un regard hostile. Puis il a craché au sol juste à mes pieds.

« Salue-le et excuse-toi, m’a aussitôt ordonné Helaria.

— Comment ça ? Il vient de m’insulter, lui ai-je répondu.

— Non, c’est toi qui l’as insulté selon ses critères. Excuse-toi si tu ne veux pas qu’il te défie. »

Humiliée, je me suis inclinée devant ce grossier personnage. J’espérais qu’Helaria savait ce qu’il faisait.

Une deuxième tentative a abouti à un résultat très proche. La personne m’a envoyé quelques paroles bien senties que j’ai interprété comme des injures et s’est éloigné, visiblement en colère.

« Je crois qu’elle vient d’émettre des doutes sur les mœurs de ta mère et l’identité de ton père, m’a signalé Helaria. »

Elle s’était trompée de génération. Ma mère n’avait jamais eu à vendre son corps pour vivre. D’ailleurs, vu sa carrure, autrement plus imposante que la mienne, c’était la peur plutôt que la concupiscence qu’elle inspirait, c’était moi qui avais dû y recourir, beaucoup plus souvent d’ailleurs depuis que j’étais devenue guerrière libre : la Pentarchie n’était pas riche et ne pouvait me donner que peu de fond pour mes enquêtes. Wotan désapprouvait cette forme de rémunération. Je trouvais toutefois moins pénible d’endurer ses reproches que de dormir sous un pont pour me réveiller dans un froid glacial le matin.

Nous avons changé de tactiques. Helaria m’a transmis une image, celle de la graphie du nom Ekekele dans l’écriture locale et j’ai entrepris de la rechercher sur toutes les devantures que je croisais.

Je finis par la trouver quelques rues plus loin. Je me reculais pour disposer d’un champ de vision suffisamment large et permettre à Helaria de traduire.

« Je comprends pourquoi tu t’es fait insulter, a-t-il remarqué.

— Pourquoi ?

— Cette boutique est celle d’un exécuteur judiciaire.

— C’est quoi ?

— Une profession qui j’espère n’arrivera jamais en Helaria. Il vide les maisons des personnes endettées pour les vendre et régler leurs créanciers. Si la somme obtenue est insuffisante, il peut vendre les personnes elles-mêmes. »

Une trafiquante d’esclave. Je comprenais pourquoi tous ces gens la détestaient. J’allais devoir négocier avec ça ! Cette enquête sentait de plus en plus l’étron de hofec diarrhéique. Si Vespef n’avait pas été au bout de cette route, j’aurais abandonné depuis longtemps.

Meton et moi sommes entrés dans la boutique. Nous nous sommes retrouvés dans une pièce étroite. Je n’y ai vu qu’un seul bureau, et installée derrière lui, une femme. À première vue, elle semblait insignifiante, une simple secrétaire penchée sur les registres. Cependant, j’enregistrais certains détails révélateurs : la bague fine en or ouvragé, le collier de perles commun au sud, mais plus rare au nord vu l’éloignement des zones de culture. Et surtout la vêture, apparemment sobre, mais étroitement ajustée. Un individu aisé cherchant à paraître humble.

Notre entrée n’avait entraîné aucune réaction de sa part. Nous avions affaire à une personne si imbue d’elle-même qu’elle estimait son temps plus précieux que le nôtre. D’habitude, j’aurai patienté. Sauf que c’était de Vespef qu’il s’agissait. Après avoir attendu un délai que j’ai considéré comme raisonnable, je me suis approchée d’elle et lui ai brutalement retiré la feuille sur laquelle elle était en train d’écrire.

« Vous êtes folle ! s’est-elle écriée. »

En tout cas, c’est ainsi que j’ai interprété ses paroles. Le but était atteint, elle a daigné enfin lever les yeux sur moi.

« Je suis désolée, je n’avais pas le temps d’attendre plus longtemps. Je veux vous poser quelques questions. »

J’avais parlé en dialecte Ocarianal et c’est dans cette langue qu’elle m’a répondu.

« Mon temps est précieux. Je ne peux pas vous recevoir maintenant.

— Le mien aussi. Des vies sont en jeu.

— Et moi, je travaille sur de fortes sommes. »

J’allais devoir lui apprendre le sens des priorités.

« J’enquête sur un meurtre, ai-je dit. Et j’ai besoin de renseignements.

— Si votre victime est morte, il n’y a plus d’urgence, a-t-elle répliqué. »

Je lui ai montré la gemme de Vespef que je portais autour du cou depuis notre départ d’Ocar. Elle ne l’a pas regardé, se contentant de prendre une feuille vierge. Je lui ai confisqué son encrier. L’œillade qu’elle m’a envoyée aurait gelé l’enfer diacareal.

« La gemme, ai-je dit en me penchant vers elle, et je vous rends votre fiole.

— Quoi la gemme ! À première vue, c’est un morceau de quartz. Beau, mais sans aucune valeur.

— Ce pendentif a été volé. Et celui qui l’a volé a également tué la fille de mon employeur. Et ce dernier est prêt à tout pour retrouver son meurtrier et la venger. Si je dois pour cela bousculer une déménageuse un peu lente d’esprit, cela ne dérangera pas outre mesure. »

Tout individu normal aurait compris le message pourtant assené avec la légèreté d’un sauropode. Soit vous répondez, soit vous allez passer un douloureux moment. Pas elle. Elle n’a manifesté aucune peur, pas même la moindre inquiétude. Avait-elle trop l’habitude, étant gardée par les forces de l’ordre pendant l’exercice de ses fonctions, de l’absence de réaction de ses victimes ? Ou alors, elle était bien protégée.

Je jetais un bref regard à Meton qui a aussitôt compris. C’était ça que j’aimais chez lui. Pas besoin de long discours. Il connaissait son métier. Il s’est placé juste à côté de l’autre porte de la pièce, de façon à être masqué par le battant quand il s’ouvrirait. Ce qui n’a pas tardé pas.

L’homme qui est entré se tenait sur ses gardes. Quand il m’a vue, seule, face à sa patronne, il s’est détendu. J’étais une femme, je ne pouvais pas me montrer dangereuse. Dites donc les mecs, quand est-ce que vous allez comprendre que ce n’est pas le sexe qui détermine la valeur au combat, c’est l’entraînement ? Si mes pairs m’ont accordé le titre de maître guerrier, ce n’est pas pour mon charme. Meton n’a même pas eu à intervenir. Et mon adversaire s’est révélé si nonchalant que je l’ai neutralisé sans effort. En moins d’un tösihon, mon poignard a quitté sa place dans ma botte et s’est planté dans le ventre de l’arrivant. Se planter, n’exagérons rien. Une simple égratignure, tout au plus. Je ne désirais pas le tuer, juste le mettre hors de combat. Il a aussitôt pressé la blessure pour arrêter l’épanchement de sang. Je me suis baissée juste ce qu’il fallait pour récupérer mon arme.
Un second homme de main est arrivé. Voyant son compagnon à terre, il est devenu méfiant. Enfin, ils apprenaient. Et un troisième. J’ai eu plus de mal, malgré mes deux poignards, un dans chaque main. Plutôt que de les saigner, je préférais me servir de mes pieds. Un coup dans l’entrejambe du premier et en pleine poitrine du second m’a rendu maître de la zone de combat.

« Tu aurais pu m’aider, ai-je lancé à Meton.

— Pourquoi ? Tu maîtrisais la situation, a-t-il rétorqué. Et le spectacle valait le coup. »

Je me suis tourné vers la femme.

« Avant j’étais calme. Maintenant, je suis en pétard. Alors vous allez me donner le renseignement que je veux ou je m’occupe de vous personnellement. J’ai suivi des cours d’anatomie. Je sais situer les zones les plus sensibles. »

L’attitude d’Ekekele avait changé. Son métier l’exposait aux menaces. Elle avait l’habitude. Voir ses gardes du corps se faire vaincre aussi facilement constituait cependant une expérience inédite pour elle. Et bien qu’étant elle-même une stoltzin, elle était victime des préjugés de sa culture. Une femme pouvait commander, oui, mais pas se battre. En fin de compte, mon intervention allait avoir un effet salutaire sur elle, elle allait ouvrir son esprit à de nouvelles perspectives.

Gardant ma dague à la main, je me dirigeais vers elle. Puis je la posais sur son bureau, à égale distance entre nous.

« Vous avez deux possibilités pour vous en sortir vivante, vous pouvez répondre à mes questions, vous pouvez aussi essayer de vous emparer de ce couteau. Seulement, vous voyez, des pirates se sont abattus sur les côtes de mon pays. Ils ont capturé des esclaves. Et parmi eux, une personne très chère à mon cœur, et aussi à celle de mon roi. Alors ma réserve de patience est épuisée. »

Ekekele ne réfléchit pas bien longtemps. J’avais gagné.

« Que voulez-vous savoir ? a-t-elle demandé.

— Où avez-vous trouvé ce pendentif ?

— Je n’en sais rien, il n’a aucune valeur, je ne l’ai même pas référencé. Comment l’avez-vous obtenu ?

— Il faisait partie d’un colis expédié à Drat, en Ocarian.

— Vous pouvez me donner une date ?

— C’était il y a un an. »

Elle s’est levée pour aller examiner les registres rangés sur l’étagère derrière elle. Malgré moi, je l’admirais. Elle était terrorisée. Pourtant, elle restait calme, en vraie femme d’affaires menant une opération commerciale. Pas de larmoiement ou de gémissements pour implorer ma pitié. Elle est revenue avec un gros livre qu’elle a posé sur son bureau pour le consulter. Après de longs stersihons à parcourir les pages remplies de noms et de chiffres, elle a trouvé ce qu’elle cherchait.

« Tout ce que j’ai expédié à Drat l’année dernière provenait d’une saisie de justice.

— Quelle personne avez-vous saisie ?

— Je n’en sais rien. Je ne disposais que de l’emplacement de la maison. Pour en savoir plus, vous devrez vous adresser à l’huissier qui a ordonné l’acte d’exécution.

— Son nom ! »

Elle a ouvert son tiroir et en a sorti une petite carte qu’elle m’a tendue. Le papier était lisse, bien découpé et d’une blancheur immaculée, l’écriture parfaitement dessinée avec une encre d’un noir profond. Un travail de prix. Huissier rapportait bien dans ce pays.

Je glissais le morceau de carton dans ma poche de poitrine, rangeait le pendentif de Vespef sous ma tunique puis mon poignard dans sa botte. La Segelensi a suivi très attentivement ce dernier geste. J’ai été obligée d’enjamber le corps d’un des hommes, celui qui pleurait en se tenant les parties intimes, pour rejoindre Meton.

« Je vous souhaite une bonne journée, lançais-je avant de sortir.

— Allez crever en enfer, a-t-elle répondu. »

Une fois dehors, Meton n’a pu se retenir de s’esclaffer. Moi, je suis restée de marbre.

— « Que t’arrive-t-il ? demandais-je.

— La frousse que tu lui as flanquée. Un peu plus et elle aurait pissé dans son froc. Un moment, j’ai cru que tu allais vraiment la tuer.

— C’était mon intention. »

Ma répartie l’a cloué sur place. Il a mis un instant avant de courir me rattraper. Sa bonne humeur s’était envolée. Il a calé son pas sur le mien.

« Tu n’as pas peur des représailles ? m’a demandé. Elle a certainement des protecteurs puissants.

— Elle ? Non, ce n’est qu’une exécutante, remplaçable facilement. Non, à mon avis, le gros morceau c’est l’huissier. Avec lui, nous allons devoir jouer sur du velours. »

J’ai sorti la carte de ma poche et l’ai lue. Le nom me restait mystérieux, et sans Helaria qui traînait encore dans mon esprit, jamais je ne l’aurais déchiffré.

« À nous deux, maître Estanelfir, ai-je pensé. »

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